Perspectives européennes : 12 jeunes nous racontent la chute du mur de Berlin telle qu’ils l’ont vécue dans leur pays

Ce que l’Europe a hérité de 1989

, par Arnisa Halili, Basile Desvignes, Cecilio Pedro Secunza Schott, Flavia-Gabriela Sandu, Guillermo Íñiguez, Gytis Nakvosas, Jan Sztanka-Tóth, Madelaine Pitt, Magdalena Janžić, Marie Menke, Traduit par Lorène Weber

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Ce que l'Europe a hérité de 1989
De 1961 à 1989, le mur divisait Berlin Ouest avec la République Démocratique d’Allemagne. Source : Unsplash / Alberto Bigoni / Unsplash License

Entre 1961 et 1989, le Mur divisait Berlin-Ouest de la République démocratique allemande (RDA).

La chute du mur de Berlin en 1989 n’a pas seulement été à la source de nombreux changements en Allemagne, des deux côtés de sa frontière aujourd’hui disparue entre l’Est et l’Ouest. Elle a aussi façonné l’Europe en tant que continent et a ouvert la voie à l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Raconter la nuit du 9 au 10 novembre 1989 peut se faire d’innombrables façons, mais nous avons choisi de donner la parole à de jeunes gens, d’Europe et d’ailleurs, pour avoir leurs perspectives sur l’impact de cet événement historique dans leurs différents pays. Cet article rassemble les perspectives uniques de 12 auteurs, issus de 12 pays différents, qui explorent ce que la fin du communisme en Europe a signifié pour leurs pays, voire pour leurs familles, et comment ces ramifications peuvent encore être observées aujourd’hui.



Flavia Sandu, Roumanie

La Roumanie a été le seul pays du bloc de l’Est dont les citoyens ont renversé le régime communiste par la violence.

Ma mère avait 16 ans en 1989. Les évènements de la Révolution ont eu lieu pendant les vacances d’hiver. La ville dans laquelle vivait ma mère n’a pas vraiment connu d’incidents violents, mais Bucarest, où le gros des actions s’est déroulé, se trouvait à moins de deux heures de route. Ma mère adorait les films historiques, ou, du moins, le peu que la population était autorisée à regarder. Pour elle, voir des fusillades, des morts et des barricades en feu au journal télévisé et non dans un film paraissait incroyablement surréaliste. Elle ne pouvait pas croire que la Révolution était bel et bien en train de se passer.

Sa première pensée fut que, si le communisme devait tomber, elle n’aurait plus à suivre de cours d’économie politique à l’école ! Elle avait un professeur excentrique qui passait la plupart de son temps à citer des discours de Ceaușescu prononcés lors des Congrès du Parti communiste roumain. Ensuite, elle réalisa qu’elle pourrait s’exprimer librement, pas seulement à la maison, mais partout, sans avoir peur. Elle passa de nombreuses longues nuits sans pouvoir dormir. Elle regardait inlassablement les nouvelles, parce qu’elle ne voulait rien manquer de ce qui était en train de se passer. La télévision en continu était quelque chose de nouveau ; jusqu’alors, ils ne l’avaient qu’une ou deux heures par jour.

Beaucoup de gens rêvaient de manger du chocolat venu de l’étranger ou des fruits exotiques, qui étaient très rares sous le communisme. Ce n’était pas le cas pour ma mère. Elle disait que sa famille avait de la chance de ce côté-là : mon grand-père avait des contacts qui lui permettaient parfois d’obtenir ce genre de produits au marché noir. Au lieu de cela, ma mère voulait avoir accès à l’information et, par-dessus tout, pouvoir voyager.

C’est étrange de penser que, en ce mois de novembre 2019, la Roumanie ira aux urnes pour choisir son président pour la huitième fois depuis la chute du communisme.


Madelaine Pitt, Royaume-Uni

Mes parents se sont mariés à l’été 1989. Pour le Royaume-Uni, cette année-là partage des similitudes importantes avec la situation actuelle. À l’époque comme maintenant, nous avions assisté à des changements drastiques lors d’une décennie de gouvernements conservateurs de droite. En 1989, l’ère de l’ancienne Première ministre Margaret Thatcher s’achevait. Les syndicats avaient cédé, les services publics avaient été privatisés, et l’industrie manufacturière négligée. Alors que la place financière de la City à Londres commençait son plein essor après une dérégulation agressive, la pauvreté et les inégalités augmentaient dans une société profondément divisée. Aujourd’hui, après des années d’austérité, la Grande-Bretagne est de nouveau amèrement divisée – en particulier concernant son appartenance à l’Union européenne.

Bien que Margaret Thatcher ait soutenu l’idée d’un élargissement de l’Europe à l’Est, même avant la fin du communisme, son discours sur l’Europe alimentait à foison l’euroscepticisme britannique. Sa réaction à la chute du mur de Berlin en est la preuve indéniable. Alors que mes parents se souviennent que l’érosion accélérée du rideau de fer fut accueillie par les Britanniques par l’espoir et l’optimisme d’un avenir de paix, cette attitude ne trouva pas d’écho chez nos responsables politiques. L’ancien chancelier d’Allemagne de l’Est Helmut Kohl rapporta que, lors d’une réunion entre dirigeants européens, Margaret Thatcher déclara que la Grande-Bretagne avait « battu les Allemands deux fois, et à présent ils sont de retour ».

Cela en dit long sur l’incapacité du Parti conservateur à voir nos voisins européens comme nos partenaires et amis, et sur leur insistance à les considérer comme des concurrents, voire des ennemis. Margaret Thatcher était plus connue pour nouer des liens avec Ronald Reagan, partisan du libre-échange de l’autre côté de l’Atlantique, que pour chercher à construire une famille européenne forte. Et il est aujourd’hui douloureux de voir Boris Johnson cirer les bottes de Donald Trump en méprisant l’UE. La rhétorique de Margaret Thatcher reflète aussi la jalousie du Parti conservateur quant au succès économique allemand et, plus largement, un complexe d’insécurité de la Grande-Bretagne du fait de son déclin en Europe et dans le monde. Trente ans plus tard, le débat entourant le Brexit montre que les choses n’ont pas beaucoup changé.


Marie Menke, Allemagne

Ce qui est arrivé en 1989 a changé l’Allemagne des deux côtés de l’ancienne frontière trop profondément pour être résumé par des mots. Entre 23h30 le 9 novembre et minuit et quart le 10 novembre, environ 20 000 citoyens d’Allemagne de l’Est traversèrent la frontière vers Berlin-Ouest. Un responsable du Parti de l’unité socialiste de l’ancienne Allemagne de l’Est (ou « République démocratique d’Allemagne » (RDA)), venait de déclarer accidentellement que de nouvelles réglementations sur les voyages prenaient immédiatement effet. Le mur qui avait divisé la ville pendant 28 ans et 88 jours était tombé.

Parmi ceux qui traversèrent la frontière cette nuit-là et dans les semaines et années qui suivirent, plusieurs avaient désiré la réunification. Certains étaient descendus dans la rue pour se battre pour la démocratie ou avaient même fui le pays, certains avaient soutenu des solutions différentes, parmi lesquelles le maintien de deux États allemands séparés. Si d’autres estimaient que l’Allemagne de l’Est connaissait trop de difficultés pour survivre plus longtemps, d’autres encore furent réellement surpris par la chute du Mur. Les récits varient considérablement.

Aujourd’hui, ce sont surtout les « Allemands de l’Est » qui estiment que c’est l’Allemagne de l’Ouest qui a bénéficié de la réunification, alors que les « Allemands de l’Ouest » pensent l’inverse. Ayant grandi en « Allemagne de l’Ouest », l’école a passé plus de temps à m’apprendre des choses sur la Rome antique que sur la RDA. Les divisions n’existent pas que sur des cartes, elles existent dans nos esprits. Les statistiques dépeignent un pays inégal, sur bien des aspects. Même depuis ce que les Allemands appellent la « Wende », littéralement « le tournant », les salaires sont plus élevés en « Allemagne de l’Ouest », alors que le chômage est plus élevé en « Allemagne de l’Est ». En outre, aussi bien les chiffres que d’innombrables expériences personnelles racontent l’histoire d’un pays qui n’a pas encore complètement réussi à se connaître lui-même.


Jan Sztanka-Tóth, Hongrie

En Hongrie, la transition du communisme vers la démocratie, en comparaison avec d’autres pays, a été plus pacifique que tumultueuse. Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a pas eu de protestation ou d’activisme politique en Hongrie en 1989. Par exemple, plusieurs centaines de milliers de personnes ont assisté au ré-enterrement d’Imre Nagy, le Premier ministre hongrois qui dirigea le pays durant la Révolution (sans succès) de 1956 contre le régime communiste. Cependant, la Hongrie communiste fut surnommée « la plus heureuse caserne du bloc soviétique », ou « Gulyáskomunizmus » (une combinaison du mot « Gulyás », une soupe traditionnelle riche en viande, et « communisme »). En raison de réformes économiques introduites dans les années 1960, la vie en Hongrie n’était pas aussi mauvaise que dans les autres États voisins, ce qui eut pour résultat une motivation moindre pour le changement quand le temps de se soulever est venu en 1989.

Néanmoins, l’activisme d’opposition parmi les étudiants et les élites amenant à 1989 grandissait. Quand le régime communiste se retrouva sous pression du fait de l’activisme interne et des changements sur la scène mondiale, il décida d’abandonner, ouvrant ainsi la voie à l’opposition pro-démocratique. Le parti communiste fut démantelé en 1989, mais son aile modérée, composée de communistes qui avaient appelé au changement lors des années précédentes, fonda un parti réformé. En 1990 eurent lieu les premières élections démocratiques depuis 43 ans, et un gouvernement de partis pro-démocratiques fut formé.

Ce changement graduel du pouvoir hante encore le paysage politique de la Hongrie aujourd’hui. L’actuel parti au pouvoir, le Fidesz, a longtemps avancé que, puisqu’il n’y avait eu que des amendements plutôt que des changements majeurs à la Constitution en 1990, la transition n’était pas un « vrai » changement. Si, à première vue, il est difficile de ne pas être d’accord, c’est cependant précisément cet argument qui donna lieu à la réécriture de la Constitution hongroise en 2011, à la base de la « démocratie illibérale » d’Orbán aujourd’hui.


Basile Desvignes, France

Le 10 novembre 1989, lors d’une conférence sur l’Europe à Copenhague, le Président de la République française François Mitterrand exprima sa joie devant la chute du Mur : « C’est un évènement heureux qui marque un progrès de la liberté en Europe ». Tout au long de la nuit, la radio française suivit les événements, qui, comme nous le savons aujourd’hui, changeraient le cours de l’Histoire. Les jours suivants, des images de foules débordant de joie passaient à la télévision, sous les regards fascinés des Français.

Aujourd’hui, une lecture rapide des articles publiés pour le trentième anniversaire de la chute du mur de Belin nous permet de mesurer combien l’image de l’Europe dépeinte par la presse française a changé depuis 1989. « Anniversaire sombre », « ambiance lourde »… La plupart des articles des journaux français se concentrent sur la persistance d’inégalités sociales, économiques et culturelles entre l’Allemagne de l’Est et de l’Ouest.

L’anniversaire de la chute du Mur est aussi l’opportunité d’évaluer trente ans de construction européenne. L’image dépeinte est sombre, entre la montée de l’extrême droite, le Brexit, la tentation de la démocratie illibérale et les tensions avec la Russie. Il semblerait presque que, au niveau géopolitique, la guerre froide soit de retour avec différents types de murs.

Cependant, les dernières élections européennes ont été marquées par une hausse inattendue de la participation, démontrant un intérêt réel des électeurs pour les questions européennes. Bien que les eurosceptiques progressent encore, en particulier en France, leur rhétorique s’est bien adoucie. Si le Front national appelait au Frexit, le Rassemblement National promeut à présent une « Europe des Nations ». Même les partis eurosceptiques doivent avoir une vision claire pour l’Europe s’ils veulent de bons résultats électoraux.

Malgré l’image négative dépeinte par la presse, les citoyens français d’aujourd’hui s’intéressent davantage à leurs voisins européens, qu’ils connaissent et comprennent également mieux qu’en 1989.


Cecilio Pedro Secunza Schott, Mexique

La dernière année des « années 1980 », qui fut une période de transformations importantes sur le plan technologique, musical et, bien sûr, social, n’a pas seulement signifié la chute du mur de Berlin, mais aussi le début de la fin de la guerre froide. De l’autre côté de l’Atlantique, le Mexique n’a pas été passif dans la confrontation politique entre les blocs de l’Ouest et de l’Est. Il s’est allié aux pays capitalistes menés par les États-Unis en signant le traité de Rio, un pacte de défense mutuelle. En pratique, le Mexique a tenu une position plutôt neutre, en maintenant des relations non officielles avec quelques pays socialistes et non alignés.

Le Mur a atteint le Mexique par le biais du cinéma, en particulier via le film hispano-mexicain « El niño y el muro » (« Le garçon, le ballon et le trou dans le Mur ») de 1965, dirigé par le réalisateur mexicain Ismael Rodríguez. Le film raconte un épisode de fiction de la vie quotidienne dans Berlin divisée : Dieter, un enfant de cinq ans vivant dans la partie ouest de la ville, jette accidentellement son ballon de l’autre côté du Mur, dans la partie est. Le ballon est récupéré par Marta, une petite fille vivant dans l’ouest de Berlin, qui refuse de la rendre. À partir de là, les deux enfants nouent une amitié à travers un trou qu’ils creusent dans le Mur, qui devient parfois lui-même un protagoniste de l’histoire.

Trente ans après la chute de ce mur, un nouveau « mur de la honte » s’est établi à la frontière entre le Mexique et les États-Unis : une barrière physique de grande ampleur. C’était l’une des propositions phares de la campagne de l’actuel président américain : stopper, selon ses propres mots, le flux de migrants sans papiers venus du Mexique. « Build that wall ! » (« Construisons ce mur ! »), pouvait-on entendre lors de ses rassemblements politiques. Dans un contraste frappant, le fameux « Knock down this wall ! » (« Abattez ce mur ! ») était prononcé par Ronald Reagan pour demander la fin du mur de Berlin.


Thomas Cassar Ruggier, Malte

De nombreux Maltais craignaient que la chute du mur de Berlin ne mène à une guerre majeure. À l’époque, les Maltais faisaient une fixation sur la neutralité, n’étant indépendants de l’Angleterre que depuis 25 ans. Pour Malte, passer de sa fonction historique de base militaire à un pays neutre était un grand pas. Les Maltais espéraient que la neutralité leur garantirait leur indépendance, étant donné que l’île avait été occupée par des puissances étrangères pendant des millénaires. Alors, confrontés à la chute du Mur, la possibilité d’une guerre les traumatisait.

Au lieu de cela, survint la fin de la guerre froide. La déclaration se fit sur le sol maltais, quand les États-Unis et l’URSS s’y rencontrèrent pour un sommet en décembre 1989. Pendant un moment, le sommet exacerba les tensions politiques à Malte : le Parti travailliste, dans l’opposition, voyait la tenue du sommet à Malte comme une tentative du Parti nationaliste au pouvoir de faire du pays un membre de l’OTAN, ce qui mettrait ainsi un terme à sa neutralité.

En 2019, la situation est différente en matière de politique intérieure. La question de savoir si Malte est le « meilleur pays d’Europe » (selon le gouvernement actuel) ou une « dictature qui fonctionne » (selon l’opposition) divise les Maltais. Une autre cause de débat interne est la situation migratoire en Méditerranée. La situation en dehors des eaux maltaises a rendu les gens nerveux, mais Malte ne verra pas l’extrême droite au Parlement. La loyauté politique envers les deux partis majoritaires est un pilier de la société maltaise et, jusqu’à présent, le système électoral a empêché l’extrême droite d’entrer au Parlement. Cependant, un mouvement potentiel vers la droite au sein de la structure des deux partis majoritaires est une possibilité. Tout comme 1989, 2019 est un moment intéressant pour les Maltais.


Arnisa Halili, Kosovo

Les images télévisées de la chute du mur émeuvent encore le monde aujourd’hui. Lors d’une conversation avec mon oncle, qui avait 37 ans à l’époque et vivait en Yougoslavie (dans la partie du territoire correspondant aujourd’hui à la République du Kosovo), j’ai voulu connaître son expérience de la chute du mur de Berlin en tant qu’Albanais du Kosovo.

Il a appris la nouvelle extraordinaire à la télévision. Il décrit la situation comme un moment de changement et d’espoir après presque 29 ans de séparation d’un peuple entre deux États. La chute du mur de Berlin et l’unification de deux pays allemands eurent bien sûr également un effet sur l’ancienne République de Yougoslavie. Mon oncle fut personnellement très ému parce que les Albanais étaient divisés dans les Balkans tout aussi arbitrairement. De nouveaux vents politiques soufflaient sur le bloc de l’Est, et le mouvement démocratique gagna du terrain dans presque tous ses États. Au Kosovo aussi, certains virent soudainement une opportunité de réaliser leurs aspirations à la liberté et à la démocratie.


Niclas Hüttemann, Italie

Les histoires de l’Allemagne et de l’Italie ont toujours été étroitement liées. S’élevant en tant que nations à moins d’une décennie d’intervalle, elles ont succombé à l’autoritarisme et ont été frères d’armes soixante ans plus tard.

À partir de là, les similitudes entre l’Italie et l’Allemagne se sont surtout limitées à des liens historiques. Il fallut plus de quarante ans à l’ex-RDA pour créer un incident politique qui amènerait Berlin et Rome à se rapprocher une fois de plus.

Suite à une question posée par un journaliste italien, un responsable du Parti socialiste unitaire d’Allemagne, Günter Schabowski, remit par erreur considérablement en doute les obstacles à la réunification lorsqu’il improvisa une réponse. Cela engendra le rassemblement de foules près du Mur.

Quand les Italiens se rassemblèrent autour de la télévision pour écouter la diffusion des évènements du 9 novembre en Allemagne, ils ne savaient pas que, seulement trois jours plus tard, ils assisteraient à la proclamation de la dissolution du Parti communiste italien (PCI). Cela fut un grand choc pour l’Italie : le PCI était le parti d’opposition, le plus grand parti communiste dans l’hémisphère ouest, et avait souvent été à deux doigts d’arracher le pouvoir aux démocrates-chrétiens.

Le 12 novembre, le « svolta », la « Wende », ou le « turning point » de Bologne eut lieu. Le PCI, sous l’égide d’Achille Occhetto, accepta le vent du changement. Désormais, 30 ans après les conférences de presse d’Occhetto et de Schabowski, les deux pays sont une fois de plus unis, discutant pour savoir si la « Wende » a bel et bien réuni l’Est et l’Ouest, et si la « svolta » a effectivement mené à la création d’un successeur fort et stable au PCI.


Magdalena Janžić, Croatie

À la fin des années 1980, d’après mes parents, il était évident que la fin de l’ère socialiste était proche. La République fédérative socialiste de Yougoslavie (RFSY) faisait face à ce qui semblait être des conflits internes insolubles entre ses États membres. Le 9 novembre 1989, mes parents étaient deux étudiants travaillant en Suisse. Ce jour-là, toutes les chaînes de télévision du pays montraient une masse de gens grimpant sur un mur de béton divisant Berlin. Pour eux, et pour les autres qui eurent l’opportunité d’assister à la chute de la perspective des médias occidentaux, le Mur démoli renforça la volonté déjà forte d’avancer vers la démocratie. Cependant, la Yougoslavie n’avait jamais été confinée derrière le rideau de fer, et les turbulences politiques nationales de cette année-là éclipsèrent l’importance de l’évènement.

Vus d’aujourd’hui, les événements des deux pays, même s’ils n’étaient pas interdépendants, ont façonné la carte d’une Europe ouverte et démocratique. Quelques années après la dislocation de l’ex-Yougoslavie, la nouvelle République de Croatie s’est fixé un nouveau but : rejoindre l’Union européenne. Et nous avons été accueillis en 2013. Étudiante croate parmi tant d’autres en Allemagne (en ancienne Allemagne de l’Est, qui plus est), je considère à présent la chute du Mur comme un pont pour l’unification, non seulement allemande, mais aussi européenne. La signification de ces 9 et 10 novembre 1989 devrait être commémorée et appréciée. Nous serions bien avisés de constater que les murs empêchant la libre circulation des personnes ne durent pas.


Guillermo Íñiguez, Espagne

En 1989, l’Espagne était une jeune démocratie : sa Constitution avait onze ans, et le pays n’avait survécu à son dernier coup d’État militaire que depuis huit ans. Pourtant, la mort de Franco, suivie de la victoire du Parti ouvrier socialiste d’Espagne en 1982, avait ouvert les vannes d’une profonde transformation politique, économique et sociale.

Beaucoup de choses ont eu lieu au cours des trente dernières années. Le groupe ultranationaliste ETA, qui a tué plus de 800 personnes, a été vaincu pacifiquement. Le début des années 2000 vit l’expansion des libertés civiles et des droits sociaux, avec l’Espagne devenant le troisième pays au monde à légaliser le mariage homosexuel. Une crise financière brutale et l’austérité conséquente, qui mirent à rude épreuve le tissu social du pays, déclenchèrent non seulement un nationalisme xénophobe, mais aussi une vague d’indignados appelant à une société plus juste et plus démocratique. Comme pour les années précédentes, ses manifestations féministes annuelles ont suscité l’admiration mondiale. Malgré les reculs temporaires, l’Espagne contemporaine – un produit de sa démocratie, de sa Constitution libérale et de sa société tolérante – a constamment, sinon graduellement, progressé et mûri.

Pourtant, 2019 est une année d’incertitude. Trente ans après la chute du mur de Berlin, une société de plus en plus polarisée est, encore une fois, mise à l’épreuve du nationalisme : par une extrême droite qui désire sans honte un passé franquiste, et par un mouvement sécessionniste catalan qui, clamant représenter le peuple, s’est lui-même mis au-dessus de l’état de droit. Pour la première fois dans l’histoire moderne du pays, des échos d’euroscepticisme et des murmures de « Spain First » peuvent être entendus dans l’arène politique.

Si la chute du mur de Berlin doit nous enseigner une chose, c’est que l’objectif à poursuivre doit être celui de plus de liberté, de plus de pluralisme et de plus de démocratie. Que nous ne pouvons pas prendre nos droits politiques pour acquis. Que le meilleur moyen de combattre l’extrême droite et de vaincre le nationalisme est l’Europe unie. Et que le temps pour cette Europe unie est venu. Alors que l’Espagne connaît l’élection la plus importante depuis une génération, et à un moment où notre continent se trouve à un carrefour idéologique, nous ne pouvons pas nous permettre d’oublier l’Histoire de l’Europe.


Gytis Nakvosas, Lituanie

La chute du mur de Berlin fut l’évènement marquant de l’année 1989, l’une des années qui transformèrent le plus l’histoire de l’Europe. Avant le célèbre soir du 9 novembre à Berlin, presque tous les régimes socialistes étaient mis sous pression par la société civile pour mettre un terme à l’oppression et au retard de leurs pays, et pour commencer une nouvelle ère de liberté, d’honneur et d’opportunités. Ce changement rapide avait déjà commencé à menacer la stabilité de l’Union soviétique elle-même. Les habitants des républiques baltes s’efforçaient non seulement d’obtenir des droits démocratiques, mais aussi de réclamer la souveraineté que leur avait prise Staline en 1940. Le 23 août 1989, la plus grande manifestation pacifique, connue comme la « Voie balte », a réuni des habitants des trois nations via une géante chaîne humaine, main dans la main. Cela a prouvé, sans équivoque, que la volonté d’obtenir l’indépendance de l’Union soviétique était irrépressible.

À un moment où les Occidentaux célébraient la chute du mur avec les citoyens de l’Est, les Lituaniens avaient également de nombreuses raisons d’être euphoriques. Le succès des manifestations de masse qui avaient rassemblé des centaines de milliers des gens avait placé un espoir immense dans les cœurs des citoyens. Les Lituaniens suivaient activement les changements rapides qui se produisaient dans les pays d’Europe centrale, et la solidarité avec les nations voisines était immense. Les messages reçus par télégramme des nouvelles de Berlin apportèrent un sentiment de liberté et de courage. Après avoir assisté à la chute pacifique du mur de Berlin, les Lituaniens savaient déjà que le régime ne pourrait plus user de violence pour résister à la volonté du peuple. Le rideau de fer enfin brisé laissait présager que Moscou était prêt à accepter le changement. Puisque le mur de Berlin ne divisait plus les territoires libres de l’Europe des territoires oppressés, il était évident pour notre nation qu’une nouvelle ère se profilait pour la Lituanie.


À l’occasion de l’anniversaire des 30 ans de la Chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, Laura Mercier, Louise Guillot et Agathe Ramade ont enregistré un podcast. Écoutez par ici :


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