Selon vous, quel est le plus gros obstacle à la confiance des citoyennes et des citoyens dans les institutions européennes ? Quel rôle l’éthique a-t-elle à jouer là-dedans ?
« Il y a pour moi trois obstacles majeurs à la confiance des citoyens et des citoyennes en l’Europe.
C’est d’abord le manque d’information sur cette dernière. Il faut plus de médias de proximité qui parlent d’Europe. Pour cela, il faut avoir une représentation médiatique suffisante, c’est-à-dire des journalistes français et françaises à Bruxelles comme à Strasbourg. Actuellement, cette représentation est insuffisante pour couvrir tout le travail. C’est le premier point à souligner.
Le second obstacle serait le fait, qu’aujourd’hui, les députés et députées sont élus sur des listes nationales faites par des partis politiques. Cela contribue à les éloigner du terrain. Or, les gens ont besoin de les connaître. Ils veulent pouvoir faire appel à eux, pouvoir les faire intervenir. Vous savez, je vais intervenir dans des lycées, des prisons … Il n’y a pas de petites réunions. Cette proximité de terrain est très importante.
Enfin, le dernier obstacle à cette confiance se situe par-dessus tout dans l’éthique des élus. C’est pour moi un point primordial. Malheureusement, comme dans tout groupe, il y a des gens qui travaillent énormément et dont on parle peu, et des gens qui ne font pas grand chose et qui mobilisent la présence dans les médias.
L’éthique est une valeur profonde d’une personne. Quand on est élu, on doit d’autant plus être exemplaire car c’est une mission qui vous est confiée, elle ne vous appartient pas et vous devez être à la hauteur de cette confiance. Et je voudrais ici rejoindre mon second point : quand vous êtes élu de terrain, vos méthodes de travail et votre éthique sont déjà connues. Il n’y a pas de surprise. En somme, il y a des valeurs que vous emportez avec vous quand vous êtes nommé, mais vous vous adaptez également aux valeurs de l’institution que vous intégrez. Il est évident qu’il y a des variations selon que vous soyez juge à la Cour de justice de l’Union européenne, fonctionnaire ou commissaire à la Commission européenne. »
La Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a montré son inquiétude quant à la modestie des moyens alloués à l’éthique publique. Pourquoi un Comité d’éthique indépendant de la Commission européenne à trois membres « seulement » ? Avez-vous une équipe pour vous soutenir dans votre travail ?
« Tout d’abord, les trois membres du Comité d’éthique indépendant, dont je fais partie, sont nommés par la présidente de la Commission européenne au regard de leurs précédentes fonctions de haut niveau au niveau européen. Par exemple, il y a actuellement un ancien membre de la Cour de justice de l’Union européenne, un ancien directeur général de la Commission européenne et moi-même, ancienne première questeur du Parlement européen. Nous avons été sélectionnés sur notre conduite professionnelle, mais également sur notre expérience. Nous avons déjà des profils avec une longue carrière derrière nous déjà.
De plus, ces trois membres s’appuient sur un service auquel ils peuvent avoir recours autant que de besoin. Ce service est directement rattaché au plus haut niveau. Trois membres et un service dédié sont suffisants pour veiller sur vingt-sept commissaires, la vice-présidente et la présidente de la Commission européenne elle-même.
Madame O’Reilly aurait des idées sur ce que doit être un corps d’éthique, mais il n’empêche qu’être médiateur n’est pas la même chose que d’assurer une fonction au Comité d’éthique. »
A quoi ressemble une journée dans la peau d’une membre du Comité ? Et quelle(s) responsabilité(s) recouvre(nt) cette fonction ?
« Globalement, mon travail est soumis au devoir de réserve. Ça fait partie de notre éthique. Je peux cependant vous dire qu’elle commence par un travail de veille et de prise d’informations dans la presse locale, nationale, internationale et européenne. Cela représente quotidiennement trois bonnes heures de travail. Ensuite, j’ai aussi une mission de veille avec ce qui se passe à la Commission européenne.
Comment travaillons-nous ? Je peux également vous dire que nous avons des séminaires de travail commun entre membres du Comité. Et sur ce point, nous avons beaucoup de chance ; nous ne nous connaissions pas avant et pourtant nous nous découvrons sur la même longueur d’onde parce que nous partageons les mêmes valeurs. D’autre part, nous sommes dotés de travaux en commun avec notre service support. Chacun et chacune d’entre nous est également équipé d’un matériel informatique sécurisé et exclusivement réservé à notre travail. Cela est nécessaire car nous travaillons énormément en visioconférence et en réseau. »
Dans quelle proportion êtes-vous sollicitée ? Auriez-vous quelques chiffres en tête ?
« Pour bien comprendre, notre travail est de voir si un ou une commissaire qui part de la Commission européenne a de nouvelles fonctions compatibles avec son portefeuille passé. Autrement dit, nous examinons son poste pour savoir s’il pourrait être amené à divulguer des informations importantes et internes à la Commission européenne. C’est vrai pour les commissaires qui partent comme pour ceux qui rentrent. Vous savez, en cours de route, il y en a toujours un ou une qui va se présenter à des élections nationales dans tel ou tel pays. Il y a un possible renouvellement constamment ; la Commission n’est pas figée du premier jour de son élection à son dernier jour de mandat. Et puis il se trouve qu’en 2024 va avoir lieu un pic d’activité parce que la Commission européenne est renouvelée juste après le Parlement européen, en novembre. Donc nous allons avoir un afflux de dossiers à traiter à cette période. Et puis il faut que nos concitoyens et concitoyennes sachent qu’à mi-mandat, au niveau européen, tous les postes sont remis en jeu. Le travail qu’on aura fait au-delà du tout courant pour novembre, et bien il nous faudra le refaire deux ans et demi plus tard. »
Les différents scandales apparus ces dernières années laissent penser, qu’en l’état, l’éthique publique n’est pas efficiente. D’où pensez-vous que le problème vienne ? A quels types d’amélioration pensez-vous ?
« On sent bien que l’éthique est un problème qui est pris à bras le corps par Ursula von der Leyen : elle a vraiment la volonté de mettre en place ce Comité d’éthique interinstitutionnel sur des bases transversales. Et il y a beaucoup d’institutions aujourd’hui qui souhaitent y adhérer — au moins dix — dont la BCE et la Banque européenne d’investissement. C’est un mouvement éthique au niveau de l’Europe. Et à partir de ce mouvement à l’échelle de l’Union européenne, vous verrez que les États membres vont devoir s’y mettre également. L’éthique va être monnaie courante et la règle de travail en Europe. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de démocratie sans éthique, sans confiance des citoyens et des citoyennes. Et l’éthique, c’est la clef de voûte de la confiance. »
En juin 2023, Věra Jourová fait la proposition d’un nouvel organisme d’éthique indépendant, un avis sur ce dernier ? Cela viendrait-il supplanter, complémenter ou rénover le Comité d’éthique indépendant de la Commission ?
« Qu’il y ait un Comité d’éthique transversale est une excellente chose car il va y avoir une visibilité de l’éthique bien plus importante. Mais ensuite, à l’intérieur de chaque institution, ce ne sera pas ce Comité d’éthique transversale qui fera tout. Donc ce n’est pas un service contre l’autre, mais tous ensemble. Et plus on sera nombreux à tirer la lourde tâche de stimuler l’éthique, mieux ça fonctionnera. »
La proposition de ce nouvel organisme a été jugée décevante dans l’hémicycle : trop peu de moyens pour certains, aucun pouvoir exécutif pour d’autres. Pensez-vous qu’il relève de l’éthique de faire respecter les règles ? Autrement dit, l’éthique publique peut-elle et doit-elle contraindre ?
« On comprend pourquoi tout le monde ne partage pas cet optimisme. Qu’on soit bien clair, j’entends tout ce qui se dit : j’étais connectée pour suivre la présentation de Madame Věra Jourová, et j’ai écouté la position des uns et des autres. Cette prise d’information fait partie de mon travail. Mais le Comité d’éthique transversale et les Comités d’éthique indépendants de chaque institution ne travaillent pas tout seul : vous avez l’OLAF pour la lutte anti-fraude, le Parquet européen et d’autres organismes au niveau européen. Ce sont des rouages dans un ensemble. »
Quelle(s) voie(s) d’amélioration pour l’éthique institutionnelle ? Pouvons-nous parier sur un approfondissement continuel de la transparence ? Par exemple, la déclaration d’honneur sur l’absence de conflit d’intérêt que vous avez signée pose autant le devoir de discrétion vis-à-vis de l’institution que le devoir de transparence vis-à-vis des citoyens, citoyennes et autres organisations.
« Quand j’ai mis en place toute la démarche de lutte contre le harcèlement au Parlement européen, aucun dossier n’a fui avant d’être instruit et jugé correctement. Il faut vous dire que quand on est sur des dossiers extrêmement complexes, c’est normal qu’il y ait un devoir de réserve. La transparence ne peut pas être systématique de la base au sommet. Tout dire tout de suite sur la place publique est le frein à l’action. »
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