Le royaume bientôt peuplé de 6 millions d’habitants et ayant longtemps suivi l’ombre de son allié britannique montre depuis quelques années un réel changement de cap européen - un des derniers exemples en date étant la victoire au référendum de juin 2022 sur la participation à la Politique de sécurité et de défense commune (67 % de personnes en faveur). Prise de conscience face au Brexit ? Réveil à la suite de la crise de la Covid-19 ? Menace de la guerre en Ukraine ? L’heure n’est pas d’analyser les multiples raisons qui pourraient expliquer ce volte-face danois mais plutôt de se demander ce que l’on peut attendre de la présidence danoise du Conseil de l’UE.
Une mise en route progressive de la présidence à venir
Autant éviter les fausses surprises dès à présent : non, le gouvernement danois n’est pas prêt de devenir un partisan de n’importe quelle forme de fédéralisme européen. Mais plusieurs signes dévoilent un certain intérêt européen, à commencer par la désignation d’une ministre des Affaires européennes - première depuis la présidence danoise de 2012 du Conseil de l’UE - lors du remaniement ministériel d’août 2024. Fraîchement nommée, Marie Bjerre (Parti libéral - RE) a entamé sa tournée européenne - ou en danois son « Europa-turné » - afin de sonder les Etats membres sur leurs attentes et commencer à disséminer ses objectifs.
L’occasion pour nous de faire un tour sur les priorités divulguées et d’abord celles de son trio, aux côtés de la Pologne et de Chypre, qui par ailleurs sera chargé des premières négociations du cadre financier pluriannuel (CFP) 2028 - 2034, pour en définir les priorités et leurs financements pour les 7 ans à venir. Pour résumer le programme du trio pour les 18 prochains mois, les mots d’ordre sont : sécurité, élargissement, politique migratoire et compétitivité. Il ne s’agit pas d’une grande nouveauté si l’on s’intéresse aux positions danoises vis-à-vis de l’intégration européenne.
Le pragmatisme danois vis-à-vis de l’Union européenne
Le pragmatisme danois est à cet égard assez simple : respecter le strict partage des compétences. Ainsi, d’un côté, certains sujets nécessitent indéniablement d’être traités au niveau européen, selon le Danemark. C’est le cas par exemple de la maîtrise de l’immigration, qui est centrale dans l’agenda politique national, bien qu’il faut noter que le pays admet une clause d’exemption (opt out) en matière d’immigration et de politique d’asile au sein de l’UE. Le gouvernement danois considère également que la défense de l’Ukraine est une compétence clé à garder au niveau européen - le Danemark étant par ailleurs parmi les plus grands pays fournisseurs de soutien militaire dans l’Union européenne. Cependant, de l’autre côté, le Danemark peut paraître très réservé vis-à-vis de toute question, par exemple relative au marché du travail, qui doit, selon lui, rester hors de portée de Bruxelles. Interprétée comme une intrusion dans le système de négociations collectives, l’Europe sociale fait face à un résistance danoise sans équivoque. Le récent recours en annulation auprès de la CJUE sur la directive salaires minimaux adéquats, pour laquelle l’avocat général Emilou s’est prononcé favorable en janvier, en est une illustration.
Pour autant, la position européenne du gouvernement danois ne cesse de nous surprendre. Lors de ses voeux du Nouvel an 2025, la Première ministre danoise, Mette Frederiksen (Parti social-démocrate - S&D), a annoncé être en faveur des aides d’Etat au sein de l’UE, plaidant pour la compétitivité européenne et appelant à « repenser l’économie européenne ». Plus tôt, au courant du mois de décembre, elle avait également mentionné soutenir l’idée d’une dette commune européenne et d’une augmentation du budget européen. Rien à voir donc avec la frugalité danoise, durant la crise de la Covid-19, lorsqu’aux côtés des Pays-Bas, la Suède et l’Autriche, Mette Frederiksen se battait vivement contre toute idée de solidarité financière européenne. La présidence du Conseil à venir se distingue d’autant plus de la précédente , car en 2012, le Danemark prônait au contraire pour une austérité budgétaire dans les Etats membres de la zone euro notamment avec son slogan « L’Europe au travail ».
« Je me suis déplacée - et le Danemark s’est déplacé - parce que l’Europe, voire le monde, est complètement différent de ce qu’il était lorsque nous nous sommes assis et avons établi un budget la dernière fois. »[« Jeg har flyttet mig – og Danmark har flyttet sig – fordi Europa, ja verden, er en helt anden, end da vi sad og lavede budget sidste gang. »]la Première ministre, Mette Frederiksen (Parti social-démocrate), entretien à Information etd’autres journaux le 17 mai 2024
Ce pragmatisme danois prend place dans un contexte international, duquel Mette Frederiksen ne cesse de dresser un sombre portrait. Dans son discours de Nouvel an 2025, elle a insisté sur cet « axe du mal », composé de la Russie, de la Corée du Nord et de l’Iran et non sans négliger l’influence de la Chine. Ce discours aux connotations d’un monde bipolaire prend place alors que l’arrivée de Donald Trump au pouvoir semble compromettre les relations transatlantiques, pourtant chères aux dirigeants politiques danois. Dès janvier, le Danemark a occupé contre son gré une place prépondérante dans l’actualité internationale avec les revendications belliqueuses de Donald Trump sur le Groenland. A voir si les Danois arriveront à garder leur crédibilité dans les mois à venir face aux pressions indépendantistes croissantes groenlandaises et aux menaces transatlantiques.
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