Dans quel état d’esprit abordez-vous cette campagne, et quel regard portez-vous sur l’Europe d’aujourd’hui ?
Je suis dans un état d’esprit extrêmement combattif ! Il nous faudra beaucoup de détermination pour envoyer des députés socialistes au Parlement européen, surtout après les élections municipales difficiles que nous venons de traverser. Mais il faut rester positif : notre campagne se déroule pour la première fois à l’échelle européenne, avec notre candidat commun Martin Schulz ! Il a convaincu les socialistes français de sa capacité à présider la Commission européenne et à entraîner l’ensemble des sociaux-démocrates européens vers la victoire. Notre objectif est de changer la politique telle qu’elle est faite en Europe : avec un Parlement européen à gauche, nous pourrons enfin peser sur la nomination d’un Président de la Commission qui puisse changer la donne européenne.
Les Français seront-ils sensibles à cette opportunité qui s’offre à eux ?
Ce ne sera pas simple de les sensibiliser ! Je crois que les Français ont l’Histoire la plus difficilement compatible avec l’Europe, avec une forte tradition de souveraineté nationale. Et puis beaucoup de responsables politiques français ont souvent considéré l’Europe comme la cause de nos problèmes : ce n’est évidemment pas le cas ! Mon rôle, dans la campagne électorale qui s’annonce, sera de rendre l’Europe plus concrète, lisible et attractive.
Quelles orientations préconisez-vous pour la gouvernance de l’Union européenne ? Vous sentez-vous guidée par un idéal fédéraliste ?
Nous serons confrontés un jour ou l’autre à cette question de la souveraineté des nations européennes. Mais je ne crois pas que nous soyons aujourd’hui en capacité politique de transférer davantage de pouvoirs vers l’Europe. Nous devons d’abord réfléchir à la façon dont l’Europe peut mieux fonctionner et protéger ses citoyens. Avant de parler de fédéralisme, montrons d’abord à nos concitoyens que l’UE peut être autre chose qu’une instance technocratique et éloignée des peuples ! L’Europe ne doit pas se résumer à un marché : sa gouvernance économique doit être associée à une gouvernance sociale !
Vous évoquez l’importance de mettre en place une ’Europe sociale’ : qu’est-ce que cela représente pour vous concrètement ?
C’est une Europe qui protège ! Une Europe qui évite le dumping social entre ses États membres ! Une Europe qui porte un horizon de réindustrialisation pour créer des emplois ! Une Europe où l’on peut s’entendre sur un certain nombre de droits, comme celui d’un Smic européen ! Il ne s’agit évidemment pas que tous les pays aient le même Smic, mais que cette idée s’impose progressivement dans les pays de la zone euro. Par ailleurs, nous pouvons commencer à réfléchir à un ’fonds européen d’assurance-chômage’ qui pourrait financer une partie des indemnités chômage des citoyens. L’Europe qui protège, c’est enfin celle qui régule le statut des travailleurs détachés, et lutte contre la fraude fiscale d’employeurs indélicats. Même s’il faudrait aller plus loin en la matière, il faut saluer les progrès accomplis qui peuvent redonner confiance dans notre projet européen !
Vous venez d’évoquer l’enjeu de la réindustrialisation de l’Europe, mais de grands efforts restent à faire pour réduire les écarts de compétitivité industrielle entre États membres...
Oui, c’est pour cela qu’il faut une politique industrielle à l’échelle européenne ! Les Allemands disposent d’une puissante industrie tournée vers l’exportation, moderne, avec des produits de très grande qualité. Mais les disparités restent énormes, même entre pays riches ! Prenons l’exemple de la robotique : la France compte trois fois moins de robots qu’en Allemagne, et deux fois moins qu’en Italie...Notre industrie ne s’est pas suffisamment modernisée ! Certes, l’Allemagne est à l’heure actuelle le cœur battant de l’industrie européenne : mais pour combien de temps encore ? Avec leur décision de sortir du nucléaire, la question du coût de l’énergie posera bientôt aux Allemands un certain nombre de problèmes... Cette décision est une impasse pour l’Europe entière ! Il faudra un jour qu’une politique industrielle prenne véritablement en compte les enjeux énergétiques de notre continent. De cette bonne structuration de notre tissu industriel dépendra notre résistance à la concurrence mondiale ! À mon avis, ces enjeux ne relèvent plus seulement de souverainetés nationales, mais aussi d’une souveraineté élargie européenne…
L’Allemagne est le cœur industriel de l’Europe : pensez-vous que leur système éducatif ait pu y contribuer ? Peut-il être une source d’inspiration pour d’autres systèmes éducatifs européens ?
Des choix très pertinents ont été faits pour maintenir une industrie prospère en Allemagne, au niveau de la qualité de sa formation professionnelle notamment. Ce sont des questions qu’il faudra sans doute poser, parce qu’il n’y a pas d’identité européenne qui puisse se construire sans aborder les questions d’éducation et de formation. Mais les systèmes éducatifs sont très compliqués à appréhender : ils sont souvent l’héritage d’une Histoire nationale !
Soutenez-vous l’idée d’une gouvernance différenciée entre la zone euro et le reste de l’Union européenne ?
Oui ! C’est d’ailleurs la théorie des cercles concentriques de Jacques Delors : pour faire progresser l’Europe, il ne faut pas forcément faire avancer tous les États membres au même rythme. C’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier ! Nous avons besoin d’un noyau de pays dynamiques qui puissent avancer sur certains dossiers. Autrement, nous resterons dans un climat politique démobilisateur, où les peuples rejetteront l’Europe lors des élections européennes ! Nous voyons en ce moment monter les populismes qui font croire qu’il suffirait de sortir de l’Europe pour que tous nos problèmes disparaissent... L’Europe doit offrir un nouvel horizon politique pour lutter contre cette menace !
De nombreux dirigeants nous ont abreuvé du discours TINA (There Is No Alternative) sur l’austérité... N’est-ce pas en partie l’origine du problème ?
Tout à fait ! Personne ne peut se satisfaire de ce genre de discours : si cela continue, l’Europe risque d’aller tout droit dans le mur ! En France, aux élections européennes de 2009 seulement 40% des Français sont allés voter ! Vous vous rendez compte ? On ne peut pas construire d’horizon politique sans que le peuple ne soit un minimum impliqué ! Martin Schulz l’a bien compris, et mènera la campagne du Parti Socialiste Européen en conséquence. Pour que les peuples adhèrent enfin à sa construction politique, l’Europe doit devenir un véritable horizon progressiste !
1. Le 25 avril 2014 à 08:54, par Lame En réponse à : Claude Roiron : « Pour une politique industrielle européenne ! »
J’entend souvent parler de « politique industrielle européenne » mais, curieusement, personne ne propose jamais d’actions concrètes relevant de cette politique. Du coup, la notion devient aussi opaque que celle de « politique d’immigration européenne ».
J’aurais aimé que Claude Roiron nous éclaire sur le contenu de cette politique mais il apparaît que c’est plutôt une étiquette accolée à une série d’objectifs relevant de différents segments de la politique générale de l’UE.
Le PSE ne veut pas toucher à certaines vaches sacrées des institutions communautaires - dérégulations, privatisations, libertés entrepreneuriales et ouverture du marché aux exportations étrangères - mais essaye de faire croire à l’électeur qu’il va mettre en oeuvre les politiques incompatibles avec celles-ci.
Suivre les commentaires : |