Conflit au Haut-Karabakh : La diplomatie européenne sacrifiée sur l’autel du gaz azerbaïdjanais

, par Marc-Aurèle Barez

Conflit au Haut-Karabakh : La diplomatie européenne sacrifiée sur l'autel du gaz azerbaïdjanais
La Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le Président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, lors d’un sommet gazier en juillet 2022. ©Présidence de la République d’Azerbaïdjan

Suite à l’invasion russe de l’Ukraine, l’Union européenne (UE) a cherché à diversifier ses sources d’approvisionnement en gaz pour réduire sa dépendance énergétique envers la Russie.C’est dans ce contexte, qu’elle a signé un accord avec l’Azerbaïdjan en 2022, entraînant une augmentation significative des exportations de gaz azéri vers l’Europe. Face au retour du conflit au Haut-Karabakh, la faible réaction d’une Union européenne soucieuse de ne pas s’aliéner Bakou a largement été critiquée.

Mardi 19 septembre 2023, l’Azerbaïdjan lance une nouvelle offensive militaire dans l’enclave du Haut-Karabakh, région sécessionniste majoritairement peuplée d’Arméniens, que Bakou et Erevan se disputent depuis plusieurs décennies. Affirmant mener une opération « antiterroriste » contre les forces pro-arméniennes qui la contrôlent, l’Azerbaïdjan a, à son tour, été accusé par l’Arménie de procéder à un « nettoyage ethnique ». Le jour suivant, alors que l’attaque faisait resurgir les sanglants souvenirs de la guerre de 2020, un cessez-le-feu est négocié entre les forces belligérantes. Prévoyant « le retrait des unités et des militaires restants des forces armées de l’Arménie », ainsi que leur « dissolution » et leur « désarmement complet », l’accord permet d’entrapercevoir un règlement pacifique du conflit, même si le salut de la population arménienne au Haut-Karabakh reste en suspens.

Une Union européenne en retrait

Si les forces séparatistes arméniennes ont accepté jeudi d’envisager « la réintégration » à l’Azerbaïdjan de ce territoire contesté, la possible résolution par la négociation du conflit est loin d’être le fait de la diplomatie européenne. En effet, depuis la reprise des hostilités, l’Union européenne s’est contentée de symboliquement condamner l’attaque, sans pour autant prendre des mesures coercitives concrètes. Pourtant, l’Arménie et l’Azerbaïdjan font partie intégrante de la Politique européenne de voisinage (PEV), dont l’essence même est d’offrir, aux pays périphériques de l’UE, les conditions nécessaires à leur stabilité politique et sécuritaire. Son autre objectif est de « promouvoir les intérêts essentiels de l’UE en matière de bonne gouvernance, de démocratie, d’État de droit et de droits de l’Homme ». Il semblerait donc que l’UE soit incapable de traduire ses ambitions politiques en actes concrets dans le Caucase. L’inexistence de la diplomatie européenne dans le dossier du Haut-Karabakh - et plus largement l’incapacité chronique de l’Union à désamorcer ce conflit vieux de plusieurs décennies - a conduit à d’acerbes critiques à son encontre. Mercredi, au Parlement européen, nombreux sont les eurodéputés de toutes étiquettes politiques qui se sont indignés : François-Xavier Bellamy, vice-président français du Parti Républicain, a notamment averti que « si l’Europe [restait] passive devant la guerre lancée par l’Azerbaïdjan contre les Arméniens du Haut-Karabakh, elle [serait] coupable devant l’histoire ».

Mais alors comment expliquer les réticences de l’Union européenne à s’impliquer davantage dans un conflit qui se déroule à sa porte ? Comment comprendre son laxisme face à un régime politique dictatorial connu pour son tropisme vers le bellicisme ?

La faute aux impératifs énergétiques

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Europe politique a cherché à créer de nouveaux canaux d’approvisionnement énergétique, pour s’émanciper de la tutelle russe. Privés du gaz du Kremlin, les Européens décidèrent donc de se tourner vers l’Azerbaïdjan pour maintenir leur tête hors de l’eau. Ils signèrent en juillet 2022 l’accord qui allait conduire, entre 2021 et 2022, à une augmentation de près de 30% des exportations de gaz azéri vers l’Europe. En somme, si l’Union européenne rechigne à s’opposer à la politique de Bakou au Haut-Karabakh, c’est parce qu’elle ne saurait, disons-le familièrement, “mordre la main qui la nourrit”. D’après Nerses Kopalyan, professeur de sciences politiques à l’université du Nevada à Las Vegas, le fait que l’Europe n’ait rien « trouvé de mieux que d’aller mendier auprès de l’Azerbaïdjan » explique le malaise européen qui entoure la reprise des hostilités au Haut-Karabakh.

Mais nul besoin d’attendre le retour du conflit pour voir l’accord susciter la controverse : au lendemain de sa signature, dans une tribune au Monde, plus de cinquante élus de tous bords politiques avaient pris la parole pour dénoncer les conséquences néfastes qu’aurait l’accord sur la conjoncture internationale. Ils dénoncèrent les risques d’une nouvelle dépendance énergétique, — arguant qu’« en choisissant l’Azerbaïdjan comme fournisseur de gaz, Ursula von der Leyen [avait] affaibli l’Union européenne » — mais aussi du financement d’un régime « qui s’adonne à toutes les exactions possibles et imaginables en matière de droits humains ». Pour eux, le contrat ne faisait que déplacer le problème de la dépendance énergétique et risquait de renforcer un régime qui n’a pas hésité par le passé à faire usage de bombes au phosphore, tout à fait illégales.

Quel futur pour la diplomatie européenne ?

Bakou envisage de doubler ses livraisons vers l’Europe d’ici 2027. D’après le magazine The Economist, la promesse est intenable, d’abord parce qu’il estime que l’Azerbaïdjan sera incapable de suivre la cadence d’une demande locale et internationale en pleine expansion, mais aussi parce que doubler ses exportations lui demandera des investissements colossaux : le gazoduc Trans Adriatic Pipeline tournant déjà à plein régime, il faudrait en construire un autre. Si l’accord est donc politiquement discutable, il l’est tout autant économiquement. Toujours est-il que le président azerbaïdjanais Ilham Aliev n’a actuellement pas de quoi être inquiet, il peut d’après Dominique Baillard, journaliste chez RFI, « compter sur l’appui de ses clients et alliés » que sont la Hongrie et l’Italie.

Au-delà du conflit dans le Caucase, cet épisode nous rappelle à quelle point, il est difficile pour l’Union européenne d’agir en tant qu’acteur politique cohérent à l’échelle internationale. Dépendante d’autres États en matière d’approvisionnement énergétique, sa diplomatie internationale en subit les conséquences. Elle peine souvent à s’affranchir des diktats économiques, aux dépens des considérations politiques et normatives qu’elle prétend défendre. Si l’Union européenne souhaite désormais faire preuve d’une vraie « autonomie stratégique » en matière politique et sécuritaire, force est de constater qu’elle n’en a pas encore les moyens. Les différents projets de redéploiement stratégique européen, notamment le développement des mines de lithium sur le Vieux-Continent, ont pour but d’inverser la tendance. L’avenir seul nous dira si ces politiques seront réellement impactantes.

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