Conseil européen des 19 et 20 septembre : les négociations autour du Brexit dans l’impasse

, par Marine Delgrange

Conseil européen des 19 et 20 septembre : les négociations autour du Brexit dans l'impasse
Les chefs d’Etat et de gouvernement étaient réunis à Salzbourg, les 19 et 20 septembre, pour un Conseil européen informel. Photo : Tiocfaidh ár lá 1916 - Flickr - CC BY-ND 2.0

Réunis à Salzbourg pour un conseil informel (signifiant qu’aucune décision formelle ne peut être prise), les chefs d’Etat des 28 pays membres ont discuté du plan présenté par la première ministre anglaise Theresa May, qui propose les termes sous lesquels le Royaume-Uni sortira de l’Union européenne. A l’issue de ce Conseil Européen, le président Donald Tusk s’est montré très ferme sur le sujet, annonçant que le plan de Theresa May n’est pour le moment pas en mesure de satisfaire les membres de l’Union. La Première ministre se retrouve isolée sur de nombreux plans, alors que le temps pour parvenir à un accord se réduit.

Un Conseil européen monopolisé par la question du Brexit

Ces 19 et 20 septembre, les chefs d’États des 28 pays membres de l’Union européenne se sont réunis à Salzbourg (Autriche), lieu de résidence du président du Conseil du l’UE et chancelier fédéral de l’Autriche, Sebastian Kurz. Si trois sujets étaient à l’ordre du jour pour ces réunions et dîners de travail - migration, sécurité intérieure et Brexit – c’est véritablement ce dernier qui a occupé la quasi-totalité de l’espace médiatique. Pour cause, il semblerait que ce Conseil ait révélé au grand jour des divergences fondamentales entre la vision portée par Theresa May et celle défendue par les autres Etats membres de l’Union, et soutenue par le président du Conseil européen, Donald Tusk.

Le Chequers plan, présenté par Theresa May et préparé avec son Cabinet au cours de l’été, proposait un modèle de futur partenariat économique entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. A travers ce schéma, le gouvernement anglais cherche notamment à éviter la création d’une frontière physique entre la République d’Irlande, membre de l’Union, et l’Irlande du Nord, appartenant au Royaume-Uni. Cela afin de garantir, selon Theresa May, les « engagements faits par le gouvernement anglais envers l’Irlande du Nord ».

Theresa May chercherait-elle à avoir le beurre et l’argent du beurre ?

Lors de la conférence de presse suivant les négociations, Donald Tusk a été sans équivoque sur le sujet : pour lui, le plan proposé par Theresa May « ne fonctionnera pas ». Même s’il note des points positifs, il reste fermé sur le cadre de coopération économique mis en avant, qui risquerait de fragiliser le marché unique sur lequel repose le fonctionnement économique de l’Union européenne. De son côté, Theresa May pense que son plan reste « la seule proposition crédible » afin de résoudre la question irlandaise, et déplore l’absence de critiques constructives et d’options alternatives de la part des détracteurs du Chequers plan.

Pourtant, c’est bel et bien la Première ministre du Royaume-Uni qui se trouve dans une impasse. L’Union européenne n’acceptera clairement pas le plan dans son état actuel, et Theresa May ne pourra pas compter sur beaucoup de soutien à l’intérieur de son propre pays. D’un côté, les partis pro-Union en profitent pour pointer du doigt les limites du Brexit : pour le Parti Travailliste, mené par Jeremy Corbyn, il est à présent nécessaire que Theresa May abandonne les « lignes rouges irresponsables » qu’elle s’est fixées. De l’autre, les partisans du Brexit désapprouvent certaines propositions du Chequers plan, comme l’idée que la douane ou certaines règles commerciales resteraient communes avec l’UE, puisque cela mettrait en danger la souveraineté nationale. Selon le député britannique conservateur Jacob Rees-Mogg, figure importante de la campagne pour le Brexit, il est temps pour Theresa May d’avouer à son tour que son plan est voué à l’échec.

La position de Theresa May, isolée de tout soutien mais tentant de garder une façade courageuse, à recours de « il y a encore beaucoup de travail » mais « nous nous tenons prêts », pose question quant à la légitimité de ses revendications. Par le passé, Donald Tusk avait fait figure de diplomate, tentant de tirer davantage de flexibilité des membres de l’Union qui souhaitaient faire le moins de concessions possibles au Royaume-Uni. Pourtant, il se fait aujourd’hui porte-parole de l’inflexibilité des autres chefs d’État. En effet, la difficulté à résoudre la question irlandaise tient au fait que ce territoire pourrait bien être le dernier point d’ancrage du Royaume-Uni à l’Union européenne et qu’une frontière trop poreuse pourrait donner lieu à des dérives et avantager le pays sur la question du partenariat économique avec les pays membres.

L’intransigeance de l’UE cache probablement une logique de dissuasion

Dans un contexte de montée en puissance des mouvements nationalistes, il est aussi légitime de se demander s’il n’y a pas également une volonté de la part des chefs d’État de refuser des concessions au Royaume-Uni afin de montrer aux détracteurs de l’Union qu’une sortie n’est ni facile, ni avantageuse pour le pays qui en sort.

Pour Emmanuel Macron, la façon dont se déroulent ces négociations montrent déjà que ceux qui disaient que sans l’Europe tout irait mieux et l’économie reprendrait étaient « des menteurs », et que les partisans du Brexit prédisaient « des solutions faciles » mais irréelles.

Le temps presse ! Mais l’agenda est chargé…

Le fait que les négociations semblent pour le moment bloquées pose problème, puisque le Royaume-Uni a, selon l’article 50 du traité de l’UE, exactement deux ans avant de quitter l’Union, à partir du moment où le gouvernement en fait l’annonce. Ce qui fixe la date au…29 mars 2019. Soit un plus de six mois pour se mettre d’accord sur les conditions de sortie.

Un accord devait voir le jour lors du sommet européen des 18 et 19 octobre prochains, qualifié de « moment de vérité » par Donald Tusk, puisque si les conditions sont réunies, le sommet de novembre devrait être mis en place pour formaliser l’accord. Pourtant, aux vues de l’aboutissement des négociations de septembre, il sera sûrement trop tôt pour Theresa May de revenir avec un nouveau plan, et le sommet de novembre fera davantage figure de sommet d’urgence.

Enfin, le conseil du 13-14 décembre sera pour Theresa May la dernière chance de conclure un accord, puisqu’avant le mois de mars, il faudra encore qu’il soit approuvé par la Chambre des Communes, afin de l’inscrire dans la loi, et ratifié par les 27 états membres, avec la nécessité d’une super-majorité de 20 pays et 65% de la population. En plus de cela, le Parlement européen devra lui aussi le valider en séance plénière, sans négliger la probabilité que des questions soient posées à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

A l’issue de ces évènements, le Royaume-Uni devrait entamer une période de transition de 21 mois, au cours desquels la libre circulation des personnes et le marché unique resteront plus ou moins intacts. « Malheureusement, un scénario d’absence d’accord reste parfaitement possible » selon Theresa May, qui serait prête à cette éventualité. Pour Nicola Sturgeon, premier ministre d’Ecosse, ce serait une erreur : il faut que Theresa May négocie un report de la sortie.

Les Travaillistes en faveur d’un second référendum ?

Le Brexit était évidemment au coeur des discussions à la conférence annuelle du Parti Travailliste qui se tenait à Liverpool, ce dimanche 23 septembre. Les Travaillistes détiennent 262 sièges à la Chambre des Communes et pourraient envisager de déposer une motion de défiance à l’égard du gouvernement de Theresa May, menant alors à de nouvelles élections si elle est adoptée . Jeremy Corbyn, leader du Parti Travailliste, préfère le scénario des élections législatives à celui d’un nouveau référendum sur le Brexit. Il a cependant affirmé qu’il suivrait la position définie par le membres du parti. Par ailleurs, si l’accord final proposé par Theresa May est rejeté par le Parlement britannique, ou par l’Union européenne, le Parti travailliste pourrait soutenir l’organisation d’un nouveau référendum sur le Brexit. Le parti se refuse pour l’instant à soutenir un seul scénario et affirme que toutes les options doivent être considérées... Il reste donc une éventualité, certes minime, qu’un second référendum annule la décision de sortie de l’Union, si de nombreux électeurs revenaient sur leur choix initial.

De la réussite des négociations dépend le sort du Royaume-Uni : le Brexit pourrait amener à une transition sans secousse pour les Britanniques, ou une transition brutale « au bord du gouffre ». Reste à savoir si cette crise donnera une impulsion nouvelle aux négociations, ou si elle marque le début d’une période très difficile pour le gouvernement anglais.

Plus de deux ans après le référendum du 23 juin 2016, le Brexit fait toujours l’objet de nombreuses spéculations...

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