COP 27 : « Il faut restaurer la confiance des pays en développement envers les pays développés »

, par Cécile Marchant

COP 27 : « Il faut restaurer la confiance des pays en développement envers les pays développés »
Kari de Pryck

Interview. Kari de Pryck est docteure en sciences politiques et internationales à l’Université de Genève, spécialiste des politiques internationales de l’environnement et du rôle des scientifiques dans la gouvernance globale du climat. Elle a répondu aux questions du Taurillon sur les conclusions de la COP 27 qui s’est tenue à Sharm el-Sheik, en Egypte du 6 au 20 novembre derniers.

Le Taurillon : La Conférence des Nations unies (COP) 27 s’est conclue dimanche 20 novembre par l’adoption du "plan de mise en œuvre de Sharm el-Sheik". Comment qualifiez-vous ce texte ?

Kari de Pryck : Cette COP a été présentée comme étant celle "de la mise en œuvre" mais on a du mal à la percevoir. Peu de choses ont été discutées, surtout du point de vue de la diminution des émissions de gaz à effet de serre. Les parties n’ont pas rehaussé leurs ambitions. Il y a eu une volonté de certains Etats comme l’Inde de mettre dans l’accord une mention pour acter la sortie des énergies fossiles, mais ça n’a pas été accepté.

Mais il y a eu un rebondissement majeur avec la décision d’établir un fonds pour la réparation des pertes et dommages causés par le dérèglement climatique. C’est une mesure que les pays insulaires et vulnérables attendaient depuis longtemps. Les pays en développement ont fait front commun sur ce sujet, c’est une belle victoire pour eux. Il y a toutefois encore des questions sans réponses : qui va le financer ? Qui aura droit aux financements ?

Quel est l’enjeu de ce fond ? Il est voué à financer des réparations mais pourra-t-il aussi servir à la transition des territoires en développement ?

Dans les pays développés comme dans les pays du Sud du monde, le dérèglement climatique fait partie du quotidien. Ces derniers font face de plein fouet aux impacts du changement climatique, alors qu’ils en sont les moins responsables. Ça fait plusieurs décennies qu’ils demandent des compensations.

Ce fonds-ci est vraiment voué à la réparation des pertes et dommages. D’autres fonds existent déjà pour aider les pays à opérer leur transition. Historiquement, les fonds de finance climatique sont principalement fléchés sur les réductions des émissions de gaz à effets de serre.

La COP s’est tenue dans un pays sur fonds de crise mondiale, dans un pays accusé de violation des droits humains. Quelle crédibilité ont les mesures de “justice climatique” et sociale adoptées dans ce contexte ?

Beaucoup de COP ont été organisées dans des pays qui dépendent et financent des énergies fossiles, comme la Pologne par exemple, et l’Egypte cette année. Que ce soit en amont de la COP, lors de la distribution des visas, ou pendant la COP et la négociation du document final, il y a eu beaucoup de critiques de non transparence. Ça fait partie de l’hypocrisie des relations internationales. On considère que chaque Etat est souverain, alors on n’essaie pas de regarder la politique nationale des autres, on ne la critique pas. L’an prochain, la COP est aux Emirats arabes unis, on se posera une question similaire.

Je ne pense pas que les pays développés soient les meilleurs en matière d’ambition climatique, quel sens pourrait-on donner à leur accueil des COP ? Quel serait un territoire neutre, transparent, inclusif ? La question de l’emplacement des COP est intéressante. Peut-être que les COP pourraient se passer à Bonn où se trouve la convention-cadre…

Une COP peut-elle être efficace ? Les consensus sont difficiles à obtenir, faudrait-il une planète qui va à deux vitesses sur la crise écologique ?

C’est déjà ce qu’annonce l’accord de Paris. Chaque pays a différentes manières, circonstances, responsabilités, ressources pour aborder cette transition. Chaque État fait le mieux qu’il peut en fonction de tout ça. Les pays développés s’étaient engagés à servir de locomotive dans l’action climatique mais il y a de gros débats pour déterminer s’ils ont vraiment joué ce rôle. Il faut restaurer la confiance des pays en développement envers les pays développés car ils pensent, assez justement, qu’ils ne l’ont pas fait. Il faut aussi que les pays émergents comme le Brésil ou la Chine endossent leur responsabilité.

On sait que les COP rassemblent des responsables étatiques, des collectivités ainsi que des acteurs non-étatiques. Les experts scientifiques sont-ils invités à assister et/ou à prendre la parole lors des COP ? Quelle place occupent-ils dans les débats politiques avec les Etats ?

Les scientifiques sont très présents dans les COP, mais on les a peut-être moins vus à celle-ci. Officiellement ils étaient là, les membres du GIEC prennent part dans différentes discussions. On les retrouve dans les couloirs. Ils jouent un rôle assez important pour rappeler les conclusions de leurs travaux. Certains pays ont des auteurs du GIEC dans leurs délégations mais ils sont évidemment moins impliqués dans les discussions diplomatiques et politiques. Ils sont plutôt appelés en back-up s’il faut vérifier certains points.

Une délégation de 636 employés de l’industrie fossile était présente à Charm el-Cheikh, soit 25% de plus qu’à Glasgow, l’an passé. Les lobbyistes ont-ils leur place dans les COP ?

Si les COP veulent être transparentes, ouvertes à tous, les experts, les représentants société civile et les lobbyistes doivent pouvoir y avoir accès. Certains disent qu’il faudrait que ces acteurs privés soient moins présents. Les COP sont devenues de telles foires, il y a un risque de greenwashing. Les COP, c’est aussi les pavillons présidés par des Etats, des acteurs de la société civile comme des grandes boîtes ou des compagnies d’énergie, qui montrent tout ce qu’elles sont en train de mettre en place sur les énergies renouvelables alors qu’elles signent des contrats pour l’expansion des énergies fossiles. Il faut faire attention aux doubles discours, à la façade verte. Mais qu’ils soient là ou non, leurs intérêts sont de toutes façons représentés par les États, comme l’Arabie Saoudite ou les États-Unis.

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