COVID-19 : Le coût de la non-Europe

, par Céline Geissmann, Hervé Moritz

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COVID-19 : Le coût de la non-Europe
Charles Michel, président du Conseil européen, a animé la réunion des chefs d’Etat et de gouvernement du jeudi 26 mars sur la crise du coronavirus. Sans accord, la réunion apparaît comme un échec. - Photo : European Union

Bien que l’Union européenne tente de mettre en place des mesures sanitaires et économiques pour lutter contre l’épidémie de COVID-19 et que les exemples de coopération entre Etats se multiplient, cette catastrophe révèle dramatiquement les divisions au sein de l’Union. Elle témoigne surtout d’une incapacité à agir ensemble et de l’absence de vision commune. Explications.

Une solidarité désorganisée : Chacun pour soi et sauf qui peut ?

Ces dernières semaines, la crise sanitaire engendrée par le COVID-19 a été le théâtre de jeux d’influences étrangères, de cacophonies interétatiques par exemple dans les annonces unilatérales de fermeture de frontières, et d’actions de solidarité à la marge.

Depuis plusieurs jours, journaux et réseaux sociaux se félicitent de l’élan européen de solidarité qui a conduit à l’envoi de masques et de matériels dans les pays en difficulté et à l’accueil de patients français et italiens en Allemagne. Si ces opérations sont gages d’espoir, elles montrent aussi une gestion bilatérale de la crise, pays entre pays, sans gestion européenne systématique et reposant uniquement sur le bon vouloir de chaque Etat membre.

Une véritable solidarité européenne résiderait plutôt dans la répartition systématique des patients des régions les plus touchées par l’épidémie vers celles les moins impactées dans cette première vague. Et ce, moins sur la base du volontariat et davantage sur une gestion commune des capacités médicales européennes et de protection civile. Cela prendrait par exemple la forme de ponts aériens et ferroviaires entre les différents pays européens, comme cela se fait par exemple déjà entre les régions en France. Il en serait de même quant à la gestion du matériel médical.

Enfin, ces arrangements bilatéraux témoignent tout de même d’inégalités criantes entre les États européens, dans leurs capacités hospitalières et dans leur santé budgétaire. Si la Commission a levé les règles budgétaires européennes strictes pour faire face à la crise, ces mesures ne peuvent apparaître que comme tardives. En Espagne ou en Italie, le nombre de lits en soins intensifs avec assistance respiratoire paraît dérisoire par rapport aux capacités d’autres pays comme l’Allemagne. Des questionnements viennent alors dans l’esprit des Européens : Le bon fonctionnement des systèmes hospitaliers ne relève-t-il pas de l’intérêt commun des Européens ? Si c’est le cas, pourquoi avons-nous laissé des crises financières et des mesures austéritaires balayer ces systèmes pour des économies qu’aujourd’hui nous payons au prix fort ? Plus encore, le risque de dislocation de l’Europe, entre pays du Nord et pays du Sud sur le même modèle que la crise de 2008, refait surface.

Que fait l’Europe ?

Dans sa communication, la Commission européenne se targue de coordonner « la réaction européenne commune face à la pandémie » et de prendre des « mesures fermes afin de renforcer les secteurs de la santé publique et d’atténuer les effets socio-économiques ». Qu’en est-il réellement ?

L’Union a commencé par fermer ses frontières extérieures pour 30 jours reconductibles. La Commission a mis en place plusieurs mesures sous la forme de concertations ou sur base volontaire, comme la mise en place d’une équipe d’experts scientifiques, d’essais cliniques tels que Discovery et de réserve stratégique de matériel médical rescEU. Son absence de compétence en matière de santé lui donne cependant peu de marges de manœuvre.

La Commission s’est aussi mobilisée à travers des mesures budgétaires en levant les contraintes de déficit public des États membres (suspension du pacte de stabilité et des contraintes budgétaires), en mettant en place un mécanisme de soutien à l’investissement, qui vise à mobiliser les liquidités disponibles via les fonds structurels européens, et en assouplissant le régime des aides d’État. Cela accorde le droit aux États de secourir leurs entreprises en difficulté.

De son côté la Banque centrale a annoncé la mise en place d’un « programme d’achat urgence pandémique » (PEPP) qui comprend 750 milliards d’euros de rachats d’obligations en plus d’autres mesures de liquidités et de fonds propres pour amortir les coûts sociaux-économiques de la crise sanitaire.

En d’autres termes, l’Union détricote ses règles pour donner des marges de manœuvre aux États d’un côté, et bricole de l’autre en utilisant ses fonds structurels ou le peu d’outils dont elle dispose. C’est loin d’être suffisant pour espérer un sauvetage profond de l’économie européenne.

Enfin, la Commission annonce que « la crise ne fait que commencer ». Elle se dit « prête à en faire davantage au fur et à mesure que la situation évolue ». Il serait en effet temps de donner à l’Union les moyens d’en faire davantage… à moins que les États membres ne soient pas de cet avis.

Conseil européen : Le « remake » d’une mauvaise tragédie grecque

Jeudi 26 mars, le Conseil européen était réuni par visioconférence pour un sommet de crise. Comme par le passé, au temps de la crise des dettes souveraines et du difficile cas grec, il a encore une fois démontré son incapacité à répondre à une urgence majeure dans un concert d’égoïsmes nationaux indécent.

En effet, les chefs d’État et de gouvernement n’ont finalement validé qu’une déclaration, entérinant quelques mesures : la constitution à l’avenir d’un stock médical d’urgence, la suspension des règles budgétaires en matière de déficit. Rien sur une quelconque relance économique commune à l’échelle européenne, ni un plan d’action sanitaire d’envergure.

Pourtant, les propositions étaient sur la table. Dans une lettre au président du Conseil européen, neuf États appelaient à la création d’euro-obligations pour emprunter à moindre frais sur les marchés afin de soutenir l’économie européenne, et en particulier les régions les plus en difficulté. En première ligne, les dirigeants italien et espagnol demandant la mise en place de « euro-bonds » (« recovery bonds »), des obligations communes pour dégager un budget européen de relance.

Les Pays-Bas et l’Allemagne ont rejeté catégoriquement cette proposition. Pour faire office de contre-mesure, ils proposent l’usage du Mécanisme européen de stabilité (MES), malgré leurs réticences initiales pour cette option. Ce fond, doté de 410 milliards d’euro et créé après d’âpres négociations en pleine crise grecque, où les États avaient déjà pris le risque de faire imploser la zone euro, pourrait venir en aide aux pays en difficulté.

Ce n’est pas l’avis de Giuseppe Conte, le Premier ministre italien, sur le MES : « ce n’est pas ce dont nous avons besoin maintenant. [...] Le MES est un instrument mis au point pour porter secours aux États membres affrontant des tensions financières liées à des chocs asymétriques. Le coronavirus au contraire est en train de causer un choc symétrique, avec pour effet de plonger dans la dépression [...] nos systèmes économiques et sociaux. »

Au final, le Conseil a décidé de ne pas décider. Il laisse deux semaines à l’Eurogroupe, organe informel des ministres des finances de la zone euro sans légitimité institutionnelle, pour trouver un terrain d’entente.

Ce clash ravive les divisions profondes d’un Conseil européen, qui ne s’entend que sur des accords a minima. Mais dans cette crise, la réponse a minima ne suffira pas. L’incapacité du Conseil européen à prendre des décisions et l’impuissance des institutions communautaires, dont l’action est suspendue à toute décision des dirigeants nationaux, démontrent une nouvelle fois la faiblesse structurelle de l’Union.

Dans cette situation, ce sont finalement les Européens qui en paieront le prix. Si des coopérations bilatérales sanitaires d’urgence sauvent la donne aujourd’hui, il faudra à la sortie de cette crise tirer les leçons de la -non- gestion européenne de cette épidémie. Un changement profond du fonctionnement de l’Union, en privilégiant l’intérêt commun des Européens grâce à ses institutions communautaires, s’impose. Le coût de la non-Europe se compte aujourd’hui en vies humaines.

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