La situation des migrants étrangers en Europe, et notamment celle des îles égéennes grecques, retrouve peu à peu la gravité de la situation de 2015. Depuis l’été 2019, les arrivées sur les côtes européennes se multiplient, sans pour autant que la réponse du gouvernement hellénique ou de l’UE ne s’améliore. Les camps à la frontière gréco-turque sont plus saturés que jamais, rassemblant jusqu’à 8 fois plus d’individus qu’ils n’en sont capables [1]. Les conditions sanitaires y empirent, et la sécurité des habitants, de manière générale, n’est absolument pas assurée. Propagation du virus, incendies, mouvements contestataires ; le quotidien est difficile pour ces populations persécutées.
Pourquoi tant de nouvelles arrivées sur les îles grecques ces derniers mois ?
Les traversées récentes ont été encouragées à l’approche d’un changement de gouvernement en Grèce (un nouveau gouvernement hellénique a pris place à l’automne 2019 et a effectivement mis en place des mesures durcissant la procédure d’asile en Grèce) ainsi que par l’ouverture de la frontière gréco-turque par le Président de la République de Turquie, fin février dernier. Ce changement d’attitude de Recep Tayyip Erdogan, tant redouté par les dirigeants européens, fait suite à la non-intervention de ces derniers dans la catastrophe humanitaire d’Idlib, dernière région syrienne que Bachar al-Assad désire reconquérir pour se débarrasser des groupes islamistes demeurant sur son territoire. Les habitants de la région, bombardés par le régime syrien et victimes d’offensives russes, espèrent rejoindre la Turquie afin d’y trouver refuge. Cependant, Erdogan refuse d’ouvrir ses portes à davantage d’individus, lui qui accueille déjà 3,6 millions de migrants. Afin de faire pression sur l’UE pour qu’elle négocie un cessez-le-feu avec Poutine et Assad, d’obtenir un soutien de l’OTAN, mais aussi de tenter de réviser l’accord entre la Turquie et l’UE sur la situation migratoire ; Erdogan a retiré ses patrouilles de contrôle à la frontière grecque, laissant des milliers de demandeurs d’asile alors en Turquie s’acheminer vers la Grèce. Kyriákos Mitsotákis, premier ministre du gouvernement hellénique, a donc renforcé ses contrôles aux frontières, aux côtés des équipes de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Cette réponse sécuritaire de l’Europe à la frontière gréco-turque a donné lieu à de très graves débordements, faisant récemment un mort, tué d’une balle dans le cou par les autorités.
De plus, ce drame s’ajoute aux manifestations qui prennent place depuis plusieurs semaines à Lesbos, où les habitants réclament une réponse européenne au flux migratoire adaptée, notamment par la relocalisation des demandeurs d’asile vers d’autres États membres de l’Union. Une minorité de citoyens grecs contestataires a présenté une attitude extrêmement hostile envers les nouveaux arrivants étrangers, les habitants du camp Moria, ou encore les humanitaires œuvrant pour différentes ONG sur l’île. La majorité de ces organisations a dû évacuer Lesbos au début du mois de mars, laissant les résidents de Moria dans un désarroi total. MSF, une des seules ONG demeurant sur l’île, dénonce aujourd’hui une difficulté supplémentaire particulièrement inquiétante : l’arrivée du Covid-19 à Lesbos. En effet, un premier cas y a été confirmé par les autorités sanitaires la semaine dernière. Il est donc probable que les habitants de Moria soient également victimes du virus dans les prochains jours.
L’arrivée d’un virus meurtrier dans un cadre sanitaire déjà déplorable
À Moria, le plus grand camp de réfugiés de l’île de Lesbos - et d’Europe, les populations déplacées vivent dans des tentes bien trop petites pour accueillir une famille, tout particulièrement compte tenu du fait que ces tentes constituent le seul abri dont elles disposent. De très jeunes enfants y passent l’hiver sans manteaux et sans chaussures, malgré les efforts déployés par les ONG. Les toilettes y sont peu nombreux et l’intimité est rare tant la promiscuité est grande. De plus, aucun système public ne s’occupe de la gestion des déchets de ces 20 000 personnes. Cette tâche est prise en charge par des ONG, qui rassemblent les déchets des résidents et font organiser leur évacuation par des organismes privés. Les enfants jouent autour des amas de déchets, y trouvant parfois des restes d’animaux décomposés. Le manque d’hygiène à Moria est extrêmement préoccupant. Il y est également très difficile de laver ses vêtements, ce que les résidents ne font alors que plus rarement qu’ils ne l’aimeraient.
Sans étonnement, ces conditions ne sont pas compatibles avec une quelconque application des règles sanitaires conseillées par les gouvernements européens ces dernières semaines, en réponse à la propagation du virus Covid-19. Comment s’assurer de toujours garder un mètre de distance avec son prochain alors que les tentes ne sont parfois espacées que de cette même distance ? Comment se laver les mains fréquemment alors que les points d’eau sont souvent à plusieurs centaines de mètres du lieu de vie ? Un médecin de MSF, dans un communiqué de presse, indiquait il y a quelques jours que « Dans certaines parties du camp de Moria, il n’y a qu’un seul point d’eau pour 1 300 personnes et pas de savon. Des familles de cinq ou six personnes doivent dormir dans des espaces ne dépassant pas 3m2. Cela signifie que les mesures recommandées comme le lavage fréquent des mains et la distanciation sociale pour prévenir la propagation du virus sont tout simplement impossibles » [2].
Le 17 mars, le gouvernement grec a annoncé des mesures visant à limiter la propagation du virus dans les centres d’accueils et des camps, comme celle d’établir un contrôle de santé pour les nouveaux arrivants, et celle de suspendre l’entrée du personnel humanitaire dans les camps pendant au moins 14 jours. Plus alarmant encore : le dépôt de demandes d’asile en Grèce a également été interrompu, pour une durée minimale d’un mois.
Les conséquences politiques de la propagation du virus dans les camps de réfugiés
Les nouvelles mesures prises par le gouvernement grec, bien que protectrices, auront certainement des impacts collatéraux pesants pour les réfugiés, et pourraient être vectrices d’un enfermement supplémentaire des demandeurs d’asile, dont la relocalisation est déjà grandement compromise. Ces populations étant particulièrement à risque face au virus, leur déplacement d’un pays à l’autre est pour le moment complètement interrompu (il est déjà rare en temps normal) et sera très certainement compromis bien plus longtemps que ne dureront les confinements des pays européens. De plus, la propagation du Covid-19 dans les camps de réfugiés grecs et italiens constitue un argument supplémentaire pour les groupes politiques hostiles à la relocalisation des personnes réfugiées, et pourrait contribuer à renforcer la gestion sécuritaire de l’asile en Europe.
Le 9 Mars, Erdogan a sollicité l’aide financière de l’UE pour l’assister dans l’accueil des populations déplacées, mais aucun accord n’a été conclu ce jour là. Le 17 mars, une réunion à distance a réuni la Chancelière allemande, le Président de la République français, le Premier Ministre britannique et le Président turc. Cette réunion - largement motivée par la propagation du virus - visait à discuter de la gestion de la catastrophe humanitaire d’Idlib [3], et a également été l’occasion pour Erdogan d’évoquer un nouvel accord entre la Turquie et l’UE concernant la gestion du flux migratoire. Ce sujet n’était cependant pas la priorité des dirigeants ce 17 mars.
La question sera évoquée plus en détails les 26 et 27 mars, au Conseil Européen. D’ici là, les demandeurs d’asile en Europe et en Turquie resteront particulièrement à risque face à la pandémie.
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