Pour mieux comprendre l’Union européenne, l’explorer est une bonne piste. Français et Italienne, et ayant pour l’un d’entre nous grandi dans une zone frontalière, le principe de la libre circulation des personnes à travers l’espace Schengen ne nous est pas étranger. Mais réaliser un voyage en Interrail nous donnait envie et nous avons eu l’occasion de nous lancer en cet été 2022. Nous, c’est-à-dire Jérôme et Stefania, vous emmenons avec nous pour vous raconter ce qui nous a surpris, amusé, ennuyé. C’est parti pour l’embarquement !
Rendez-vous à Munich, pour commencer en douceur
Jérôme : Les vacances commencent ! Et les ennuis avec, apparemment. Mon premier train Mulhouse-Bâle est annulé. Heureusement, il y en a un autre plus tard, qui était même celui que me conseillait de prendre l’application Interrail pour enchaîner les correspondances jusqu’à Munich mais quand j’avais vu le temps prévu pour changer de train à Bâle (6 minutes, je vous conseille de modifier ce paramètre sur l’application), j’avais préféré me rendre plus tôt dans la ville suisse. Raté. Et en effet, les six minutes sont passées très vite. Un peu plus tard, entre Bâle et Mannheim, j’entends une annonce en allemand expliquant, grosso-modo que “les passagers qui n’ont pas un billet spécifique pour ce train sont priés de descendre”.
Alors avec l’Interrail, hormis lorsque nous payons un (petit) supplément pour réserver une place, nous n’avons justement pas de billet spécifique pour les trajets. Et ce Bâle-Mannheim je l’effectue debout, car le train est bondé, et je remarque alors que nous circulons avec un retard de plus de trente minutes. C’est là, alors que j’aurais pu avoir les premiers doutes sur ce mode de voyage, que l’Interrail prend tout son sens. Je n’aurais pas ma correspondance Mannheim-Munich ? Et bien alors, je descends plus tôt, à Karlsruhe par exemple, et je saute dans un Karlsruhe-Munich. C’est l’histoire d’une petite manipulation très simple sur l’application. Parfait, une place assise en plus.
Je ne garderai pas forcément un souvenir impérissable de Munich, ne l’ayant vue qu’un soir pluvieux et un bout de journée. Nous privilégions au final un restaurant italien plutôt qu’une brasserie typique, nos estomacs n’étant pas forcément prêts à affronter bières et saucisses dans ce début de périple en train. Mais d’ores et déjà, bien que venant d’Alsace, le caractère allemand de cette ville me saisit.
Stefania : On aurait connu sans doute meilleur départ : je rate le seul train direct de Bologne à Munich. Pas de panique pourtant pour les retardataires chroniques, espèce dont je fais orgueilleusement partie : le pass permet de réserver un nombre illimité de trajets par jour, à travers l’application ou même à la billetterie de n’importe quelle gare ! C’est ainsi que j’ai réussi à éviter que l’expérience ne se termine avant de commencer, au prix de deux changements de train jusqu’à Bolzano. Où j’ai pris un Eurocity qui traverse, du Trentin jusqu’à la Bavière en passant par l’Autriche, des paysages à couper le souffle. Petit conseil pour pouvoir en profiter pleinement : si vous avez des doutes sur votre résistance debout, pensez à réserver une place en amont !
Prague, belle de nuit comme de jour
Après une journée de course et de changements de train, le deuxième voyage ne s’annonce pas plus simple. Deux correspondances à saisir, dans de petites gares allemandes (Nuremberg puis Schwandorf). Et là encore, du monde, beaucoup de monde. Cet été 2022, l’Allemagne a mis en place un billet à 9 euros permettant de prendre les transports en commun et des trains régionaux de manière illimitée pendant le mois où le ticket est acquis. Excellente initiative pour encourager à laisser sa voiture de côté et ainsi diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Sauf que du coup… les trains sont bondés jusqu’au plafond. Et cela occasionne des retards.
Heureusement, tous les trains sont en compétition dans la course au retard. Le dernier que nous devons prendre à Schwandorf l’est aussi, et donc c’est nous qui l’attendons sur le quai (heureusement, car il est tout sauf certain que les trains qui sont en gare attendent eux longtemps leurs passagers). Le Schwandorf-Prague dure plus de 3h30, le train est ancien. Mais il y a des prises, et si peu à peu les annonces sonnent moins familières à nos oreilles (nous comprenons l’allemand mais le tchèque, oublions), la forêt qui nous entoure apporte bien du réconfort.
Prague est une ville charmante, le soir comme en journée, avec son château, ses espaces verts, son centre historique et puis la Vltava. Si si, ce fleuve surplombé par le Pont Charles et sur lequel les lumières se miroitent à n’importe quel instant. Nous y passons moins de 24 heures, mais beaucoup de choses méritent le coup d’œil dans cette cité accueillante. En contraste avec les bâtiments finement décorés et les gracieuses ruelles qui l’entourent, le John Lennon Wall en fait partie.
Aujourd’hui, ce mur coloré qui est désormais principalement une attraction touristique, n’a pas pour autant perdu son souffle pacifique, renouvelé face à l’invasion de l’Ukraine du 24 février dernier. En opposition à cette guerre sont affichés, tout au long du mur couvert par des milliers de graffitis colorés, des dizaines de poèmes que la plateforme numérique praguoise Poetizer continue de récolter autour de la planète sous le titre de “Make Poetry Not War, Poems for the People of Ukraine”. Une preuve de solidarité envers les populations écrasées par le conflit faisant plus de 1800 pages, et aussi de la volonté affichée de rester, à la lumière des évolutions géopolitiques en cours, un lieu fortement symbolique et contemporain.
À Vienne, un café, des masques FFP2 et beaucoup de boutiques
Encore un long voyage de train au menu, mais un aller direct, toujours compris avec le pass. Départ à 15h56 de Prague, ce qui nous a laissé le temps d’en profiter une bonne partie de la journée, arrivée à 20h49. Cela serait peut-être plus rapide avec d’autres modes de transport, mais voir le soleil se coucher depuis un wagon gardera toujours une part de charme. En revanche, le voyage fatigue, donc pas de folies le soir, les visites sont pour le lendemain. Et c’est en prenant le métro que soudain, nous réalisons que les affichettes “masque FFP2 obligatoire” sont toujours valables ce 1er août 2022 et que les Autrichiens ne sont pas du genre à transiger avec les règles.
Le Covid ? En France apparemment il n’est plus dangereux. À Prague non plus, pas de souci. Mais 5h de train plus loin, l’histoire n’est pas la même. La première opération de notre journée touristique est donc l’achat de cette précieuse protection. Qui est également obligatoire en Italie et peut servir quand on se trouve dans un wagon-cabine de six personnes entre Budapest et Zagreb… Mais c’est une autre étape.
Vienne garde une part de romantisme, avec ses églises, bâtiments clairs et petits cafés (où les serveurs ne sont pas toujours les plus gentils et les prix les plus bas), mais son centre-ville a finalement l’âme de bien d’autres capitales modernes. Les boutiques se succèdent, parfois trois de la même marque se côtoyant dans une seule rue. Ce qui n’empêche pas quelques calèches tirées par des chevaux de circuler. Cependant, le Danube est aussi de la partie. Et sortir du centre pour aller regarder au bord de l’eau le soleil se coucher n’est pas désagréable du tout. C’est l’occasion de voir une autre facette de cette ville aux airs parfois fastueux comme son château du Belvédère.
La petite Bratislava et la grande Budapest
Un voyage Interrail, c’est excitant, mais épuisant. Alors le voyage entre Vienne et Bratislava, d’une durée d’une heure, fait du bien. Cette capitale slovaque n’est pas grande, c’est un fait. Mais nous avons quand même l’occasion d’y passer des heures agréables, ayant l’embarras du choix au moment de désirer une glace. Le château qui surplombe la ville donne un cadre sympathique à cette dernière.
Les bords du Danube sont bien aménagés avec des installations de beach-volley, des bars et des cinémas en plein air. Espaces verts et parcs nombreux, petite église Sainte-Elisabeth bleue et intrigante, palais pastels jouxtant des bâtiments plus aseptiques et vraisemblablement construits dans la période communiste… Bratislava offre un étonnant mélange, son centre historique étant mignon, mais d’autres rues pas si lointaines se montrant plus austères. Bien que nous n’y passons que quelques heures, nous avons le sentiment d’avoir eu un bel aperçu de la capitale slovaque. Et la fatigue commence à se faire sentir.
Fin de journée, de retour dans un train pour seulement 2h30 de route direction Budapest. 2h30 qui passent vite, d’autant plus que la lumière du soleil caressant le Danube derrière les arbres est d’une beauté saisissante. Nous ne traversons pas de grosse commune, ni ne passons près d’autoroutes, nous semblons être dans un moment un peu à part, plus qu’appréciable.
L’arrivée est d’un autre acabit. Budapest est une grande capitale, à la vie nocturne animée. Nous sommes de plus en plus à l’Est de l’Europe et nous le sentons tout de même à la vue de certains bâtiments. Une ville où l’on peut encore ressentir le poids des traumatismes du siècle passé, tant sous le fascisme que sous le régime communiste. Dont la fin est célébrée, ainsi qu’incarnée, au sein de la Place de la Liberté, par une statue de Ronald Reagan placée à quelques pas du Mémorial héroïque soviétique, érigé en 1945 à la gloire des soldats de l’Armée rouge ayant libéré la Hongrie de l’occupation allemande. Survécu aux déplacements qui ont intéressé de nombreuses statues communistes hongroises, placées aujourd’hui au Memento Park, un musée à ciel ouvert à côté de la capitale. Un curieux hommage au Président américain qui, d’après les Hongrois et notamment le Premier Ministre Orbán, “a changé le monde et en a créé un nouveau pour l’Europe centrale”, contribuant significativement à mettre fin au régime communiste et à la Guerre froide.
Dans la capitale hongroise, les thermes sont nombreux, les prix très variables aussi. D’autant plus que la valeur de la couronne hongroise a peu à voir avec l’Euro. À chaque instant, un petit travail de conversion mentale est nécessaire pour ne pas avoir de mauvaise surprise. Mais aller se baigner reste un incontournable. La ville tient une réputation mondiale en la matière et possède un vaste réseau de thermes souterrains. Les bassins sur l’île Marguerite nous ont personnellement satisfaits.
Budapest est en fait née de la fusion de trois communes, Buda, Pest et Obuda (ce serait trop facile sinon). Et l’ancienne Buda, qui était la capitale du pays au début du XIXe siècle, nous a charmés. Le “bastion des pêcheurs”, le château, le palais royal : nous avons eu la chance d’y passer en début de soirée et de voir alors les derniers rayons du soleil caresser la ville et notamment le colossal Parlement de Hongrie.
Le lendemain, le trajet vers Zagreb, direct mais long de six heures, ne se passe pas sans un contrôle douanier. Qui prend un peu de temps, Croates et Hongrois étant manifestement particulièrement attentifs aux personnes transitant d’un pays à l’autre. Mais tout va bien, même pour la mère et sa fille ukrainiennes qui se trouvent dans notre cabine de wagon. “Nous voyageons”, explique celle qui n’est donc pas résidente de l’Union européenne. Aucun problème.
Un 5 août à Zagreb et les Français de Ljubljana
Dès notre arrivée à Zagreb, tardive, l’ambiance est singulière. Les endroits où nous pourrions acheter un ticket de métro sont déjà fermés. Les rues sont un peu vides. Nous ne nous doutions pas alors un instant que le lendemain, le 5 août, serait une journée fériée. Et bien en effet, c’est calme. Les rues sonnent creux, plusieurs bâtiments nous surprennent par leurs façades défraîchies. La Croatie est touristique, mais plus sa côte que la capitale manifestement. Le musée des relations brisées apporte une touche d’originalité à cette journée.
Le lendemain, encore un départ, à l’aube d’une journée qui s’annonce dantesque, mais nous ne le savions pas encore. Première étape, Ljubljana et donc pour commencer, comme nous en avons désormais l’habitude, un voyage en train. Et un contrôle de douane. En face de nous dans le wagon, un Espagnol qui semble avoir autant de difficultés à comprendre son pass interrail (ne trouvant pas le QR code à montrer aux contrôleurs) qu’à saisir le fonctionnement de la douane. “J’ai déjà vu votre collègue”, a-t-il expliqué au douanier slovène alors que c’était un officier croate qui était passé.
Ljubljana est attirante, son centre grouille de monde avec le marché près du Pont des dragons. Mais la chose qui nous frappe le plus est le nombre de Français rencontrés là-bas. Cette famille qui s’arrête dans ce restaurant ? Française. Ce groupe de touristes dans l’hôtel de ville ? Français. Ce couple qui grimpe vers le château ? Français. Le tourisme semble bien se porter, dans cette cité aux prix élevés. Allez, juste le temps d’affronter une averse terrible et notre retour à l’ouest se poursuit, cap désormais sur l’Italie.
Mamma mia, l’Italie et ses galères de train
D’accord, Trieste n’a pas choisi d’être coupée de l’Italie par un incendie ravageur ce 6 août. Mais pour le coup, la gestion de cet événement dans la gare a de quoi laisser songeur. Devant la vague des “cancellato” sur les panneaux d’affichages, l’absence de toute personne capable de donner des informations dans la station est étrange. Deux jeunes Françaises, justement en plein Interrail, nous rejoignent inquiètes, leur train étant annulé.
Nous prenons un bus après plusieurs heures, un peu perdus, et rejoignons Monfalcone un peu plus au nord… où tous les trains sont également indiqués comme annulés ! Mais alors pourquoi nous avoir déposés là ? Finalement, nous parvenons, parce que Stefania échange avec un contrôleur passé un peu vite dans la petite gare bondée, à attraper un train après 23h, direction Venise. Nous arrivons à Padoue, notre destination, après 1h du matin. Éreintés.
Les mésaventures se répéteront pour Jérôme à l’heure de rentrer en France. 20 minutes de retard, qui deviennent rapidement 40 minutes, sont annoncées pour le train Bologne-Milan, alors que deux correspondances sont à prendre par la suite, à Milan puis Zurich. Des trains réservés pour le coup avec Interrail, et qui dit réservation dit billet imprimé. Un autre train indiqué quai 17 et passant par Milan semble être une solution, mais surprise, ce dernier arrive finalement quai 19, ce changement n’ayant été affiché que tardivement sur le tableau. Décidément ! Retour alors au premier train qui compte finalement 1h07 de retard. Heureusement, dans les trains suivants, les contrôleurs se montrent particulièrement compréhensifs.
Malgré cela, l’Italie est un pays magnifique, où il est impossible de contester la beauté des lieux et la qualité de la gastronomie. Glaces, pizzas et verres de spritz sont toujours une bonne idée. Et Padoue comme Bologne, présentent de belles rues piétonnes, de jolies arcades et des bâtisses à l’architecture intéressante.
Et rien de mieux que passer par la Suisse (hors de l’UE mais comprise dans l’Interrail) pour terminer cette aventure. Des annonces en italien, puis en allemand, puis en français, des paysages à couper le souffle faits de lacs et de montagnes… C’est comme cela que se terminent 3 000 kilomètres d’aventures en train. Pour combien d’économies ? Difficile de le savoir, mais d’une part, nous avons le sentiment d’avoir réalisé des vacances sans doute plus écologiques que si les trajets avaient été effectués en voiture ou en avion (reste à voir pour le char à voile). D’autre part, une fois le retour à la maison effectué, son trajet ‘outbound’ validé, les souvenirs sont plein la tête, il ne reste qu’à se plonger dans les statistiques de l’aventure sur son application.
D’ailleurs curieusement, nous n’avons parfois pas trouvé les mêmes trajets pour effectuer certaines étapes et seul l’un d’entre nous a le drapeau slovaque dans son bilan d’Interrail. Difficile de le comprendre. Pas grave, déjà une envie : en refaire un, plus loin, en voyageant de nuit aussi. Pour finir jusqu’en Turquie ? Interrail le permet et les possibilités de dépaysement sont ainsi particulièrement vastes.
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