Delphine Colard : “L’Europe reste un espace de stabilité dans un monde incertain"

, par Louis Ritter

Delphine Colard : “L'Europe reste un espace de stabilité dans un monde incertain"
Madame Delphine Colard, interviewée par la rédaction du Taurillon ©Alexandre Godonaise

Le 4 mai 2025, le Parlement européen ouvrait ses portes pour faire découvrir ses couloirs et permettre au public de rencontrer ceux qui les fréquentent. Présente ce jour, la porte-parole de l’institution, Delphine Colard, a accordé une interview au Taurillon dans laquelle elle est revenue sur son parcours, sur son rôle et la place du Parlement européen dans la société européenne.

Le Taurillon : Vous êtes porte-parole du Parlement européen, pouvez-vous nous expliquer votre rôle et le parcours que vous avez effectué pour en arriver là ?

Delphine Colard : J’ai étudié les relations internationales avec une spécialisation aux questions européennes. Je suis rentrée au Ministère des Affaires étrangères belge où j’ai fait de la diplomatie pendant un temps. J’ai été entre autres responsable des relations avec le Parlement européen. J’ai fini par le rejoindre il y a quinze ans pour m’occuper des questions institutionnelles entre autres, particulièrement en rapport avec les médias. Je fréquente donc l’institution depuis presque 20 ans en réalité. J’y ai exercé la fonction de porte-parole adjointe [Juin 2020-mars 2025] puis de porte-parole.

Le Taurillon : Est-ce difficile de se faire entendre par les médias et surtout par les citoyens lorsqu’on communique sur les travaux du Parlement ?

Delphine Colard : Le Parlement est une institution qui poste l’intégralité de ses travaux sur son site Internet et qui est aussi présent sur les réseaux sociaux. Nous sommes ouverts hors et durant les sessions et tout cela est enregistré. Mais parler d’Europe c’est avant tout parler de choses concrètes, c’est le plus important. On voit que c’est efficace lorsque l’on parle des choses qui touchent directement les gens, de ce que font les élus pour répondre aux défis que les citoyens rencontrent régulièrement. C’est sur des projets concrets de sécurité, de pouvoir d’achat, de relance, de compétitivité que l’Europe se fait réellement. Il est par conséquent important d’être présent là où les citoyens se trouvent au travers de bureaux de représentation dans les États membres ou sur les réseaux sociaux. C’est un défi constant mais les efforts pour le relever portent leurs fruits puisque l’on voit que l’image de l’UE s’est nettement améliorée dans le dernier baromètre d’opinion [Il s’agit de l’enquête Eurobaromètre hiver 2025, réalisée par l’agence de recherche Verian entre le 9 janvier et le 4 février 2025 dans les 27 États membres de l’Union]. Pour la première fois, 74% des citoyens européens estiment que c’est une bonne chose que leur État fasse partie de l’UE. C’est le chiffre le plus haut que l’on a depuis que le baromètre existe, c’est-à-dire depuis 1983. Les crises successives donnent la vision d’une UE comme d’un espace de droit, de stabilité où les gens peuvent avoir des projets, fonder une famille, dans un monde de plus en plus compliqué.

Le Taurillon : Comment jugez-vous l’efficacité de vos campagnes de communication sur le grand public, particulièrement sur les jeunes ?

Delphine Colard : Elle est positive mais toujours à remettre sur le métier. Il faut toujours veiller que l’on est là où les gens le souhaitent, que nous sommes suffisamment ouverts, accessibles y compris d’un point de vue linguistique. Il faut aussi pouvoir donner de la visibilité aux députés au niveau local de sorte à montrer leurs actions et ne pas donner l’impression que tout se fait à Strasbourg ou à Bruxelles. On a des exemples très précis sur un site Internet qui s’appelle “Ce que l’Europe fait pour vous” (What does Europe for me) sur l’impact de l’UE dans les régions. Au quotidien, les citoyens n’identifient pas toujours ce qui vient de l’Union européenne et considèrent certaines choses comme un acquis. Lorsque l’on parle d’efficacité énergétique ou de droit des consommateurs par exemple, cela vient de normes européennes définies collectivement.

Le Parlement n’est pas là pour dire quelle UE on voudrait promouvoir. Les campagnes sont là pour promouvoir la participation citoyenne. Celle-ci a d’ailleurs augmenté aux dernières élections de 2024 par rapport à celles de 2019. Le résultat est certes plus diversifié mais il demeure une majorité solide qui travaille dans l’intérêt de l’Union européenne. Je crois qu’il y a aussi beaucoup d’attente de la part des citoyens, lorsque l’on voit les résultats des consultations citoyennes par exemple. Cela demande de travailler ensemble.

Le Taurillon : D’une certaine façon on a l’impression que cette nécessité est difficilement perceptible par un certain nombre de gens…

Delphine Colard : Je trouve intéressant que vous le disiez car dans le dernier eurobaromètre publié au printemps, 89% des gens demandent une UE plus unie et qui travaille mieux ensemble. C’est une demande que l’on a jamais relevé de manière aussi importante auparavant. ⅔ de la population demande qu’on la protège mieux. La réponse doit s’organiser au niveau européen. On a vu lors des dernières crises, comme la pandémie de COVID-19 ou bien dans le cas d’une menace extérieure que la solution est venue du niveau européen. Cela demande bien entendu du courage et du temps pour décider ensemble du chemin à prendre. Lorsque vous décidez de votre lieu de vacances dans une famille de 4, cela prend du temps aussi. Il y a donc parfois un hiatus entre les attentes et la rapidité de réaction mais on voit tout de même que l’Europe demeure un espace de sécurité pour la population et pour les entreprises que l’on ne trouve pas dans d’autres espaces du monde.

Le Taurillon : Malgré l’actualité prenante, le Parlement arrive-t-il à travailler sur son propre agenda ?

Delphine Colard : Ce qui se décide dans les institutions est toujours lié à l’actualité, à travers les consultations de la société civile ou bien les propositions des Etats membres. Cela s’identifie à des besoins comme l’accompagnement de la transition numérique, énergétique, de la compétitivité. L’UE ne décide pas seule. C’est toujours incarné dans des besoins. Lorsque le Parlement européen a souhaité travailler sur la législation en matière d’intelligence artificielle lors de la dernière législature, la Commission a finalement proposé la législation et nous avons été le premier espace du monde à disposer de règles dans ce domaine-là.

Il y a bien sûr des débats d’actualité mais ils sont plus larges. Nous discuterons la semaine prochaine [Plénière du Parlement européen de la semaine du 5 mai 2025] de la question des tarifs mais cela s’étend aussi à une réflexion sur nos accords commerciaux, comment les diversifier, comment améliorer notre impact et la transmission de nos valeurs dans ces accords. Nous réfléchissons toujours en termes de flexibilité. Personne n’aurait prévu la pandémie de COVID-19 ou l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Il s’agit donc de pouvoir réagir avec souplesse, ce que souhaite le Parlement. Il faut pouvoir naviguer entre la vision à long terme et les questions d’actualité brûlante.

Le Taurillon : Quels sont actuellement les grands travaux en cours et dont on entend peut-être peu souvent parler ?

Delphine Colard : Dans le baromètre, on voit que l’une des premières priorités des citoyens concerne la sécurité économique, et peut-être que l’on n’a pas encore bien compris que cette législature se concentrera particulièrement sur cette thématique. Surtout sur la question de savoir comment investir pour que nos petites et moyennes entreprises soient compétitives et puissent continuer de donner de la productivité qui puisse bénéficier à l’ensemble du marché intérieur. Il s’agit aussi de prendre le tournant énergétique et numérique, mais sans compliquer les aspects bureaucratiques pour ces mêmes entreprises, et même en les simplifiant.

Un autre aspect important est celui de la sécurité, de la préparation et de la défense. Lorsque l’on parle de sécurité, cela va à la fois dans les nouveaux projets de défense stricto sensu mais c’est aussi la résilience numérique, la résilience énergétique, l’éducation aux médias sociaux, la protection vis-à-vis de la désinformation, des ingérences. Ces grands débats sur la protection de l’UE et des valeurs qu’elle incarne sont très prégnants au Parlement. Il y a bien sûr toute la question du soutien à l’Ukraine mais aussi aux autres pays voisins.

Un sujet que l’on a peut-être pas encore perçu est celui des priorités pour le budget pluriannuel de 2028-2035. Nous devrons continuer de financer des politiques très importantes au niveau européen comme l’agriculture, la cohésion des territoires mais aussi prendre le tournant du numérique, de l’innovation. S’ajoutent les questions de sécurité et de défense. Le numérique tient une place essentielle car la demande est là de pouvoir mettre en œuvre la législation. Les députés y sont particulièrement attentifs comme en témoigne par exemple la création de groupes de suivis, chose assez nouvelle au Parlement.

Il faudra continuer d’investir dans ces grands projets européens tout en continuant de rembourser notamment la dette du plan de relance européen. Il y a donc de vrais enjeux de flexibilité tout en ajoutant une pierre au projet européen.

Le Taurillon : Dans le momentum actuel, quel message voudriez-vous transmettre aux citoyens européens et particulièrement à la jeunesse ?

Delphine Colard : Il faut se rappeler que notre force demeure l’unité et les valeurs que nous portons ensemble. Particulièrement cet héritage de paix, de droits humains et de démocratie que l’on a aujourd’hui et que nous défendons ensemble. L’Europe reste un espace de stabilité dans ce monde où les choses sont de moins en moins certaines. Ce n’est pas aussi simple qu’on le voudrait, le chemin n’est pas aussi linéaire que l’on aimerait mais avec du courage, de la conviction on peut finalement travailler à un projet commun qui porte un avenir plus juste, plus sûr, ensemble. Je crois que c’est cela le message, particulièrement en cette période où l’on célèbre les 75 ans de la déclaration Schuman et les 80 ans de la fin de la guerre en Europe. [Robert Schuman fut Ministre des Affaires étrangères français de juillet 1948 à janvier 1953, et président de la première Assemblée parlementaire européenne de mars 1958 à mars 1960. Le 9 mai 1950, il prononce une déclaration qui porte son nom appelant à placer la production de charbon et de l’acier française et allemande sous une Haute Autorité commune, ouverte à d’autres pays d’Europe (la future CECA). Surtout, il appelle à rendre la guerre sur le sol européen “impensable mais matériellement impossible”.]

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