Une démission sur fonds de scandale aux allocations familiales
Le 15 janvier dernier, le gouvernement des Pays-Bas démissionnait, tout en demeurant en place jusqu’aux élections du 17 mars. Le Premier ministre libéral-conservateur et plusieurs membres du Cabinet comme le ministre des Finances, Wopke Hoekstra sont accusés d’avoir couvert une lutte contre la fraude à l’aide sociale...un peu trop zélée. Un rapport parlementaire a montré que 26 000 familles s’étaient vues réclamer d’importantes sommes d’argent par l’administration pour avoir touché indûment des allocations familiales et de garde d’enfant. L’enquête parlementaire à l’origine du scandale a révélé qu’il n’en était rien. Aussi, il est avéré que les allocataires maltraités ont été ciblés selon des critères ethniques comme la double nationalité, ce qui relève d’une illégalité patente. L’attention pour le moins scrupuleuse du chef du Gouvernement à l’égard des finances publiques s’est aussi manifestée au niveau européen, où il a fortement renâclé avant d’accepter le plan de relance commun du 23 juillet. Le scandale qui a entraîné le gouvernement néerlandais dans la tourmente donnera peut-être des positions moins marquées par l’avarice au Premier ministre, s’il est réélu. A contrario, si les élections ne lui donnent pas la victoire, on peut supposer son successeur plus conciliant envers une Europe intégrée budgétairement. Mais de nombreux facteurs, aussi bien conjoncturels qu’historiques et structurels laissent penser l’inverse.
Le scandale des allocations familiales, du pain béni pour le VVD
D’abord, les prochaines élections néerlandaises se présentent comme favorables pour Mark Rutte, en dépit, ou à cause, du scandale des allocations. En effet, le parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD), classé au centre-droit, est largement en tête dans les intentions de vote, depuis le début de la crise sanitaire, avec 27% de soutien. Raboter les versements de prestations sociales n’est pas rédhibitoire si l’on est soutenu par un électorat de droite généralement assez peu enclin aux mesures dispendieuses.
Pour un homme de gauche, il en va tout autrement. Le leader du Parti travailliste ( PvdA), Lodewijk Asscher, l’a appris à ses dépens. Ministre des affaires sociales dans la coalition au pouvoir entre 2013 et 2016, il est directement impliqué et a dû abandonner la tête du Parti travailliste. D’ailleurs, ce parti de gauche, principal parti d’opposition à Mark Rutte est relativement bas dans les sondages et devrait décrocher 7 à 10% des suffrages le 17 mars. On l’aura compris, le discrédit de l’opposition ouvre un pont d’or au VVD. D’autant plus que le populiste Geert Wilders est affaibli par la pandémie et peine à dépasser les 17%.
Si Mark Rutte est réélu, son parti dominera largement la coalition avec les chrétiens démocrates et les sociaux-libéraux de D66 ( centre-gauche) en réunissant presque un quart des voix. Les récentes émeutes contre le couvre-feu lui apporteront sans doute un supplément de suffrages. Les électeurs éprouvent un besoin de stabilité et ont toujours tendance à se replier vers une droite qui paraît assurer la sauvegarde de l’ordre social, en cas de troubles. En tout état de cause, le contexte et l’absence d’adversaire crédible, à droite comme à gauche, permettront à M. Rutte de sortir renforcé du scrutin. Sans doute assuré de demeurer au pouvoir et le spectre du populisme eurosceptique éloigné, pourrait-il afficher des positions plus souples sur l’Europe.
Mark Rutte, général en chef des frugaux
Mark Rutte est devenu l’égérie des tenants de la rigueur budgétaire et la bête noire des plus keynésiens, sur la période de mars à juillet, alors que les discussions entre pays européens battaient leur plein pour tenter de trouver une réponse commune à la crise Covid-19. Deux camps se sont affrontés, l’un mené par la France, l’Allemagne et l’Italie voulait un plan Marshall composé de dons issus d’un emprunt commun. À l’inverse, les Pays-Bas, la Suède et l’Autriche désiraient que des prêts soient octroyés aux plus affectés par la pandémie. Malgré tout, les dirigeants se sont mis d’accord sur un plan de relance de 750 milliards d’euros financé par la dette. La moitié de cet argent sera versée sous forme de prêts et l’autre moitié est composée de dons. Toutefois, compte tenu du caractère inédit d’un emprunt commun et de transferts de richesses des pays les plus riches vers les plus pauvres de l’Union, on peut dire que la ligne franco-allemande a triomphé.
Mark Rutte a monnayé son soutien et a ainsi obtenu une augmentation de 328 millions d’euros du rabais sur la contribution des Pays-Bas au budget de l’Union européenne. En effet, il a manifesté de mars à juillet une grande intransigeance. Le plan de relance va à l’encontre des intérêts néerlandais, semble-t-il. Les Pays-Bas étaient contributeurs nets au budget de l’UE, c’est-à-dire qu’ils donnaient plus qu’ils ne recevaient. Le plan de relance risquait d’accentuer ce déséquilibre et ainsi de braquer l’électorat du VVD. Qui plus est, l’euroscepticisme est fort dans la population néerlandaise puisque le non l’a emporté par 61%, lors du fameux référendum de 2005.
L’intégration budgétaire européenne, une menace pour le modèle économique néerlandais
Une Europe plus intégrée n’est donc pas la priorité pour l’ancienne République des Provinces-Unies. De plus, elle pourrait remettre en cause son modèle économique. En effet, un emprunt commun pour financer le plan de relance signifie des ressources propres pour le rembourser. Cela pourrait conduire à la création d’un impôt européen sur les importations de carbone ou sur les transactions financières. A contrario, les succès économiques des Pays-Bas reposent sur une faible imposition des bénéfices de la propriété intellectuelle, autrement dit sur un dumping fiscal vis-à-vis des autres pays de l’Union. De grandes entreprises ont ainsi installé leur siège au Pays-Bas, comme le consortium issu de la fusion de Fiat et Renault.
Créer des taxes européennes ajouterait un surcroît d’imposition et entamerait l’attractivité des Pays-Bas. Le gouvernement néerlandais tend plutôt à considérer, à l’image des Britanniques, l’Europe comme un grand marché. La liberté de circulation des capitaux, constitutive du marché unique, permet aux Pays-Bas d’attirer les investissements, en raison de son faible niveau de taxation.
Un “global netherlands” construit en opposition vis-à-vis du continent européen
L’intérêt des Néerlandais pour le capitalisme financier s’ancre dans l’histoire longue. Rappelons que la plus ancienne bourse du monde a été fondée à Amsterdam en 1611 et que cette place financière a vu naître la première bulle spéculative de l’histoire moderne… la tulipomanie. Le financement des voyages coûteux pour conquérir des terres lointaines nécessitait de lever d’importants capitaux.
En effet, les Pays-Bas se représentent-ils plus comme tournés vers le monde que vers l’Europe. Par exemple, les Hollandais ont développé une marine pouvant rivaliser avec la France et l’Angleterre, au XVIIe siècle, et ont ainsi pu fonder la Nouvelle-Amsterdam, ville qui est devenue par la suite New York. Les Néerlandais étaient, jusqu’en 1840, la seule nation occidentale avec laquelle les Japonais acceptaient de commercer. Cet héritage du passé est encore présent aujourd’hui. La Haye dispose également de territoires d’outre-mer comme Saint-Martin, une île des Antilles partagée avec la France, Aruba, Saint-Eustache... Hormis la France, peu de pays de l’Union européenne possèdent des confettis perdus à l’autre bout du monde.
Si les Pays-Bas se vivent comme une nation plus globale qu’européenne, ils ont aussi tenté de s’émanciper du lourd héritage historique de l’Europe. Alors que protestants et catholiques se sont battus dans toute l’Europe, qu’il s’agisse de guerres civiles comme en France jusqu’à l’Édit de Nantes ou de guerres interétatiques comme la guerre de Trente ans, les néerlandais ont mis en place un modèle de tolérance religieuse inédit avant 1789. En s’émancipant de la tutelle des Habsbourg (famille quasi-hégémonique en Europe au XVIème siècle) avec la guerre de Quatre-vingts ans, ils ont été les premiers à abandonner la monarchie absolue de droit divin pour un régime libéral : la république des Provinces-Unies. Les Néerlandais se sont construits une identité en faux vis-à-vis du reste de l’Europe.
Accepter une Europe plus intégrée serait pour les Pays-Bas une renonciation à la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes, à savoir une oasis de paix et de liberté ouverte sur le monde. Ainsi, réélection de Mark Rutte ou non, il y a fort à parier que la position des Pays-Bas vis-à-vis d’une Europe fédérale ne changera pas.
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