Des ailes pour l’Europe ? Le projet “New Generation Fighter”

, par Samuel Touron

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Des ailes pour l'Europe ? Le projet “New Generation Fighter”
Maquette échelle 1 du projet d’avion de combat de nouvelle génération Next Generation Fighter. (Wikimedia Commons)

En septembre 2020, sur fonds de fortes tensions gréco-turques, la France parvenait à vendre dix-huit Rafale F3 à la Grèce, devenant ainsi le premier pays européen à acquérir le plus moderne des avions de chasse français. En effet, deux réalités s’imposent : d’une part l’Union européenne est un acteur international de plus en plus isolé et d’autre part, les théâtres de conflit aux marges de l’Union se multiplient. Le développement par la Chine, les États-Unis et la Russie d’avions de chasse de sixième génération ont conduit plusieurs pays européens à s’unir pour entrer, eux aussi, à l’horizon 2040, dans une nouvelle ère de l’aéronautique militaire.

« New Generation Fighter » tel est le nom, temporaire, du futur chasseur européen développé par Dassault Aviation et Airbus Defence and Space qui devrait prendre son envol pour la première fois sous la forme d’un prototype en 2025 puis sous sa forme finale en 2038 pour une mise en service en 2040. Présenté pour la première fois au Bourget lors du salon Euronaval consacré à l’industrie navale de défense, le « New Generation Fighter » inscrit la coopération européenne dans une donne nouvelle : celle de la constitution d’une Europe de la défense et d’une volonté de marquer cette intégration par un projet industriel européen d’envergure. Cela permettant d’affirmer la souveraineté de l’UE au travers d’un outil de dissuasion et de puissance militaire de haute technologie mais également de montrer la puissance industrielle et économique d’une UE capable de rivaliser avec la Chine, la Russie et les États-Unis.

La construction européenne, c’est aussi l’histoire de projets industriels et technologiques communs. L’aéronautique militaire a occupé une place non négligeable dans cette histoire commune. Dès 1983, la volonté de développer un avion de chasse multirôle européen se fit jour, au terme d’âpres discussions sur la forme que devait prendre l’appareil, la France se retira du projet, fragilisant considérablement les ambitions initiales. Ce projet, c’est celui de l’Eurofighter Typhoon qui fut mis en service en 2002. Il équipe les escadrilles du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne, co-constructeurs de l’appareil. Depuis 2007, l’Eurofighter est également utilisé par les forces armées autrichiennes. Aucun autre État de l’UE n’en a fait l’acquisition malgré des négociations avortées avec la Bulgarie et la Finlande.

L’armée européenne de demain : connectée et coordonnée

Posséder un même arsenal aérien est d’une importance primordiale pour la constitution d’une armée européenne. En effet, posséder des appareils communs permet d’assurer une meilleure interopérabilité, c’est-à-dire, la capacité à agir ensemble le plus efficacement possible. Or, prétendre à une politique de défense commune c’est harmoniser ses forces armées et donc posséder un matériel commun. Le développement des technologies de télécommunication ainsi que de l’informatique accroît le champ des possibles dans l’univers militaire permettant une plus forte homogénéisation des forces armées des différents pays. L’année 2018 a marqué la renaissance d’un ambitieux projet européen dans l’aéronautique militaire et cela plus de 20 ans après le lancement de l’Eurofighter, adopté par finalement très peu d’Etats membres et concurrencé par un autre appareil européen, développé et construit en France, le Rafale.

Or, afin d’être coordonné et logique dans sa politique de défense, il est nécessaire pour l’Union, à terme, de se doter d’un arsenal organisé rationnellement et pensé pour agir de manière coordonnée. C’est en ce sens, qu’Ursula von der Leyen, alors ministre fédérale de la défense allemande avait déclaré lors de la présentation du « New Generation Fighter » : « Pour nous, il est important que cela devienne, à terme, un réel système de combat aérien européen commun (…) Ce n’est pas pour rien que nous avons lancé l’Union Européenne de la défense et le fonds européen de la défense ». Le « New Generation Fighter » traduit ainsi de manière concrète l’ambition plus large et ancienne, presque constitutive du projet européen, d’intégrer la défense au champ de compétences de l’Union.

L’Allemagne et la France ainsi que plus récemment l’Espagne ont décidé d’unir leurs efforts pour développer ce projet industriel d’envergure. Celui-ci vise évidemment à la création du « New Generation Fighter » mais également à celle du « Future Combat Air System » permettant l’interconnexion de l’arsenal militaire et du commandement militaire des États membres participants au projet. Ce « Future Combat Air System » s’accompagnera également d’un « remote carrier » c’est-à-dire d’un engin mi-drone, mi-missile, ayant des applications militaires multiples comme le brouillage, la transmission de données ou encore de largage de missiles. L’accent est mis sur la connectivité, un « cloud » aérien de combat devant permettre de stocker et diffuser les informations des satellites et avions-radar, de ravitaillement et de navires de guerre vers le commandement, le « remote carrier » ou encore le « New Generation Fighter ». Il s’agit sans doute du projet industriel phare de l’Union en matière de défense dotant celle-ci des dernières technologies disponibles.

Une renaissance pour la coopération dans l’industrie militaire

Les premiers contrats industriels ont été signés et témoignent d’une collaboration étroite entre la France et l’Allemagne au travers des deux porteurs de projet : Dassault Aviation et Airbus Defence and Space. La première phase de conceptualisation s’achèvera à la mi-2021/début 2022. Florence Parly, ministre française des armées et Ursula von der Leyen, son homologue allemande avaient conclu un accord de 65 millions d’euros visant à financer cette première phase. Entreprises françaises et allemandes travailleront main dans la main pour réaliser le futur de l’armée de l’air européenne. Ainsi c’est le groupe français Safran et le groupe allemand MTU Aero Engines qui sont chargés de concevoir, ensemble, la motorisation du futur avion et du « remote carrier ». C’est également l’occasion de relancer la coopération industrielle européenne autour de projets ambitieux.

Le bon déroulement de la conception et du lancement du « New Generation Fighter » et plus largement du « Future Combat Air System » pourrait bien symboliser une Europe de la défense, pionnière, ambitieuse et surtout souveraine. La création du Fonds européen de la défense en avril 2019 doté de 13 milliards d’euros pourrait donner des fondations pour des projets de défense concrets mettant fin au bricolage européen en la matière. En effet, l’Europe de la défense souffre d’un manque de coordination et d’harmonisation, au sein de l’Union, 178 systèmes d’armes différents coexistent contre seulement 30 aux États-Unis. Les armées européennes dépensent un total de 227 milliards d’euros par an. Une politique européenne commune permettrait, rien qu’en harmonisant et en coordonnant les politiques de défense, une économie de près de 25 milliards d’euros.

L’Europe souffre ainsi, non pas de son manque d’ambition ou d’ingéniosité, mais d’une incapacité à coordonner son action et à mener une politique de défense commune. Nous en sommes aujourd’hui au stade de l’établissement d’une vision commune, demain viendra le temps de construire, à condition que l’Europe sorte d’une léthargie parfois consternante dans le domaine de la défense comme en témoigne l’achat par la Belgique de chasseurs F-35 américains pour renouveler sa flotte aéronautique…

Cet article est initialement paru dans l’édition locale du Taurillon, à Toulouse.

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