Pour un fédéralisme "pragmatique et idéal"
Quatre fois. Mario Draghi a répété quatre fois le terme « federalismo ». Un terme qui reste absent du vocabulaire de la plupart des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE). Pour le Président du Conseil italien, équivalent du mandat de Premier ministre, le fédéralisme européen doit être à la fois « pragmatique et idéal ».
Pour ce dernier, l’Europe doit « accélérer le processus d’intégration ». Cela passerait par des institutions plus réactives, par « l’abandon de l’unanimité » et la « sortie de la logique intergouvernementale ». Une telle situation ne serait possible que par une refonte totale des traités européens, Mario Draghi le sait et l’assume : « l’intégration est le meilleur outil pour [anticiper les crises et protéger nos concitoyens] », répète-il. « Super Mario », comme le surnomment certains pour son rôle dans la résolution de la crise de la zone euro alors que celui-ci était à la Présidence de la BCE, souhaite un fédéralisme pragmatique guidé par un fédéralisme idéal dans l’ensemble des domaines où l’UE serait considérée comme le meilleur niveau pour agir : migration, économie, défense ou diplomatie.
Sur le plan migratoire, M. Draghi souhaite voir l’Union sortir de la logique du règlement de Dublin. Ce règlement concernant la politique migratoire en Europe dispose que c’est au pays par lequel la personne migrante arrive en premier sur le territoire européen que revient la charge de traitement de la demande de régularisation et de subvention aux besoins de cette même personne pendant le lapse de temps de traitement. Or ce règlement a vu ses limites au moment des vagues migratoires de 2015, qui ont submergé les administrations des pays méditerranéens, portes d’entrée vers l’Europe pour des Irakiens et des Syriens fuyant la guerre. Pour le Premier ministre italien, l’Union doit d’une part réformer sa politique migratoire, en permettant une meilleure répartition des demandeurs d’asile entre Etats membres, en harmonisant et unifiant les règles administratives relatives au traitement des demandes et en rouvrant des canaux légaux d’immigration, et d’autre part bâtir une réelle coopération politico-économique avec le reste de la mer Méditerranée. Celle-ci permettrait un développement économique et social mutuel, une plus grande stabilité de la région et une meilleure gestion des flux migratoires, plus soucieuse des « vies humaines ».
En ce qui concerne l’économie, l’ancien président de la Banque centrale européenne rappelle à quel point l’Italie a pu profiter du fond de relance européen NextGenerationEU, mais aussi des différents mécanismes d’urgence comme le temporaire et exceptionnel instrument SURE (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency), un mécanisme assurant à l’ensemble des États membres un moyen de financer l’aide au chômage partiel durant l’épisode pandémique. Mario Draghi souhaite que ce type d’instrument économique à logique fédérale « se développe » et « se multiplie ». Pour ce dernier, cela serait possible par une réforme des règles budgétaires et financières de l’Union européenne et de la zone euro et par de nouvelles sources de financement, toujours à logique fédérale. Enfin en ce qui concerne la politique extérieure de l’Union européenne, le Président du Conseil constate que l’Europe est forte quand, « unie », elle protège ses valeurs face aux « dangers géopolitiques ». Pour lui, le conflit en Ukraine est venu rappeler à l’Europe la réalité de la guerre. L’Union européenne doit donc devenir un acteur « géopolitique » pour préserver la « paix sur le Continent ». Pour cela, l’Union doit rendre plus « efficace son mode de décision, [surtout] en matière de diplomatie et de défense », « rationaliser son équipement militaire » en permettant une interopérabilité du matériel, et enfin créer une véritable défense européenne au service d’une diplomatie commune.
Mario Draghi rappelle que cette logique d’intégration ne doit pas faire oublier le principe d’élargissement, notamment aux Balkans occidentaux. Sur ce point, il appelle le reste du Conseil européen à accepter l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Albanie et à la Macédoine du Nord pour « répondre à leurs aspirations européennes », procédure bloquée d’une part par la Bulgarie pour des questions mémorielles et d’autre part par la France et les Pays-Bas qui souhaitent réformer l’UE avant tout nouvel élargissement. M. Draghi considère également que la porte de l’adhésion doit être ouverte aux peuples qui « ont prouvé leur attachement aux valeurs européennes ». Par ces mots, le Premier ministre italien fait indéniablement référence à l’Ukraine, comme il l’explicite quelques secondes après avoir prononcé ces mots, mais aussi à la Géorgie et à la Moldavie qui ont également demandé la reconnaissance du statut d’État candidat à l’adhésion.
L’Italie au cœur de l’Europe
Mais comment parler d’Europe sans évoquer l’énergie ? Dans ce domaine, Mario Draghi exprime également une forte ambition. L’Europe doit pouvoir compter sur des partenariats forts, diversifiés, et regarder pour cela du côté de la Méditerranée. Les pays du Sud de l’Europe doivent devenir des "ponts énergétiques entre les pays de la Méditerranée et les pays du Nord”, explique-t-il, et acheminer des énergies fossiles comme renouvelables. Dans cette nouvelle configuration, l’Italie doit jouer un rôle central, un rôle de pivot. Le pays a d’ores et déjà conclu des accords avec l’Algérie et l’Egypte pour son importation de gaz et des pourparlers sont en cours avec l’Azerbaïdjan.
Mais cette ambition énergétique est quelque peu battue en brèche par le représentant des Verts au Parlement européen, l’eurodéputé Philippe Lamberts. Il critique la politique climatique menée par le gouvernement Draghi, “pas à la hauteur” et qui comporte un sérieux risque de “retour en arrière”. L’eurodéputé vise particulièrement les mesures en faveur du nucléaire prises par l’Italie ces derniers mois. Marco Zanni (ID, Ligue du Nord) exprime quant à lui un autre écueil. Il prévient Mario Draghi, “l’Italie ne doit pas passer d’une dépendance à une autre”. Il faudrait, selon lui, “plus de pragmatisme et moins d’idéologie” dans les prises de décisions, notamment sur le plan énergétique.
Ces critiques restent cependant isolées. Les eurodéputés saluent largement l’homme comme le discours. Super Mario, encore une fois, fait l’unanimité à l’image de la coalition qu’il dirige en Italie, composée de l’ensemble des forces politiques du pays représentées au Parlement. Le gouvernement d’union nationale, allant de la Lega (extrême droite) jusqu’au Partito Democratico (centre gauche) en passant par le Movimento 5 Stelle (antisystème), explique pourquoi aucune critique émanant des eurodéputés italiens n’est venu ébranlé le projet porté par le Premier ministre, épargnant de fait le Parlement européen des débats houleux de politique nationale comme tel fut le cas lors du discours du président français, Emmanuel Macron. Reste à voir si les paroles de Mario Draghi seront écoutées…
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