L’échec de la diplomatie franco-allemande
Alors que les responsables européens, François Hollande et Angela Merkel se voient constamment et se téléphonent quotidiennement, aucune solution pérenne n’a encore été trouvée pour instaurer une paix durable en Ukraine. Le conflit oppose les loyalistes ukrainiens aux séparatistes pro-russes de l’Est de l’Ukraine dans les régions de Donesk et de Louhansk depuis mai 2014, date à laquelle les régions de l’Est ont voulu faire scission avec le nouveau gouvernement devenu pro-européen.
Mais alors que de nombreux accords ont été signés, que des centaines d’entrevues ont été organisées, que des apartés mémorables ont eu lieu, qu’advient-il d’un supposé cessez-le-feu ? Le Président Hollande et la Chancelière Merkel multiplient pourtant les efforts pour faire avancer les négociations et trouver un accord. On se souvient des commémorations des 70 ans du débarquement où Petro Porochenko et Vladimir Poutine avaient eu un entretien grâce au couple franco-allemand ou encore de la marche républicaine du 11 janvier où le représentant de l’Ukraine s’était entretenu avec son homologue russe. Les accords de Minsk de septembre imposant le cessez-le-feu sont pourtant devenus bien illusoires, malgré le dialogue continu.
Vendredi 6 et Samedi 7 février, une nouvelle fois, François Hollande et Angela Merkel ont fait front commun. A Kiev d’abord, puis au Kremlin, ils ont martelé les conditions nécessaires de la paix en Ukraine. Qu’en est-il advenu ? Un nouvel échec : aucun texte n’est sorti malgré toutes les bonnes volontés diplomatiques. Était-ce le dialogue de « la dernière chance » avec le Président Poutine ? Devait-on souscrire aux supplications du Président Ukrainien de lui venir en aide sur l’armement ? Pas si sûr : un mince espoir apparaît alors que l’on tente de nouvelles négociations à Minsk le mercredi 11 février en Biélorussie.
L’image du hard power américain
C’est que le conflit s’enlise fortement et que l’armée en Ukraine est mal équipée. L’Union Européenne lui donne du matériel défensif (gilets-par-balles, nourritures, tentes, etc.), mais refuse catégoriquement toute livraison d’armes, au grand damne des pays baltes et de la Pologne, qui se verraient aider le gouvernement ukrainien plus en profondeur. Les chars se font pourtant vieux, les munitions viennent à manquer et c’est près d’une dizaine de soldats qui meurent chaque jour sur le front, d’après des sources gouvernementales. La quatrième vague de mobilisation en Ukraine est sur le point d’être lancée et le gouvernement ukrainien en appelle toujours à l’aide de l’UE pour faire respecter les accords de Minsk et un cessez-le-feu imminent, dénonçant toujours la pieuvre russe qui l’encercle.
Aux Etats-Unis, les spécialistes des relations internationales prônent de plus en plus des livraisons d’armes aux soldats loyalistes ukrainiens qui combattent contre des séparatistes lourdement et secrètement armés par Moscou. Même le Président Barack Obama s’est dit « prêt à réfléchir sérieusement à la question ».
Pourtant, armer l’Ukraine, c’est franchir un pas supplémentaire dans cette crise qui semble insolvable. Pour l’UE qui défend des valeurs de paix depuis sa création, armer l’Ukraine, ce serait combattre la Russie par pays interposé. D’une crise ukrainienne, nous entrerions alors dans une guerre totale opposant les forces occidentales face à Moscou, dont l’UE serait au premier plan. Or, l’Union est construite sur l’image d’un soft power de la négociation et non du hard power américain. L’escalade du conflit en serait d’autant plus accélérée. La chancelière a donc fermement rappelé qu’ « il n’est pas question de livrer des armes à l’Ukraine », position partagée par le président Hollande et la majorité des chefs d’Etat et de gouvernement européens.
Un retournement de l’Histoire
Pourtant, l’Histoire semble se répéter. L’attentisme des puissances européennes face aux coups de force progressifs d’un dirigeant qui en veut toujours plus au niveau territorial n’est pas sans rappeler les années 1930. Annexion de la Crimée, possession de la Transnistrie, tout comme les Sudètes ou l’Anschluss de l’Autriche : peut-on comparer ? Certains Républicains américains n’hésitent pas à le faire, dénonçant l’immobilisme européen face aux 5 300 morts depuis le début du conflit. La ministre de la Défense allemande, Ursula von der Leyen, a bien lucidement déclaré qu’ « il était plus intelligent de ne pas utiliser les mêmes moyens que la Russie » tout comme son homologue français Jean-Yves le Drian de dire que « l’on ne résout pas un conflit avec les armes ».
Les puissances avaient attendu l’invasion de la Pologne pour réagir et mettre fin à cette « drôle de guerre ». Or, une invasion des pays baltes, par exemple, pays entités même et membres de l’Union Européenne, paraît aujourd’hui hautement improbable. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit véritablement d’une nouvelle « crise froide » opposant le monde occidental à la puissance russe, tout comme lors de la construction du mur de Berlin. Les Européens doivent donc s’entendre à tous prix pour maintenir fermement la pression et favoriser la négociation. Les sanctions économiques à l’égard de la Russie, les dialogues continuels doivent être maintenus. Même si Poutine déclare qu’il « ne veut faire la guerre à personne », défendre la « paix européenne » doit être la priorité. La conférence « à la Normandie » par téléphone du dimanche 8 février entre nos quatre protagonistes, la visite d’Angela Merkel à Obama le lundi 9 février, les négociations en cours à Minsk ainsi que le Conseil européen du 12 février doivent pouvoir y remédier et faire enfin triompher cette diplomatie précieuse, à l’européenne.
1. Le 11 février 2015 à 15:28, par Alexandre Marin En réponse à : Doit-on livrer des armes offensives à l’Ukraine ?
Je suis d’accord pour dire que l’Union doit défendre les valeurs de la paix, mais comme le disaient les Romains, « si vis pacem, para bellum », si tu veux la paix, prépare la guerre. La Russie n’a aucun intérêt à négocier si les rapports de force jouent en sa faveur jour après jour. Au contraire, face à des protagonistes plus forts qu’elle, et dont elle est économiquement dépendante, elle devrait être plus ouverte à des négociations qui ne traînent pas en longueur.
Et puis, je ne vous pas pourquoi on refuserait d’armer l’Ukraine qui est aux frontières de l’Union, alors qu’on arme les Kurdes contre l’Etat islamique. Ce conflit au Moyen-Orient est beaucoup plus lointain et on y met un grand coup de pied dans une fourmilière .
Je suis en désaccord total avec cet article au sujet du Hard Power, l’Union européenne a vocation à être une puissance internationale. Or, la puissance se compose de Hard et de Soft power, de « potestas » et d’« auctoritas ». L’un ne va pas sans l’autre. Réduire la puissance américaine à du « Hard power » est d’ailleurs faux : les Etats-Unis ont un soft power très impressionnant, il suffit de voir le prestige des valeurs et de la culture américaine pour s’en rendre compte, chaque fois qu’on regarde un Disney ou qu’on relit le discours de Martin Luther King.
Enfin, armer les Ukrainiens présente des enjeux capitaux dans la construction d’une défense européenne. Si on attend que l’Amérique arme l’armée ukrainienne, les pays de l’est de l’Union, réticents à l’idée d’une Europe de la défense, seront d’autant plus enclins à lui préférer le cadre de l’OTAN. Si au contraire, l’Europe arme l’armée ukrainienne, ces pays seront bien plus dynamiques, et la défense commune progressera beaucoup plus vite. La défense européenne est très importante car au fur et à mesure que les USA se tourneront vers l’Asie, l’OTAN n’aura plus le même rôle « protecteur », et l’Europe devra se défendre par elle-même.
En bref, il faut donner des armes à l’Ukraine.
2. Le 16 février 2015 à 02:28, par Thomas En réponse à : Doit-on livrer des armes offensives à l’Ukraine ?
@ Alexandre Marin,
Et de leur côté, est-ce que les peuples européens ont intérêt à ce que leurs Etats et les Etats-Unis ne cessent d’accroître les tensions avec la Russie ? Il faudrait être fou pour d’une part, faire la guerre en Ukraine alors que ce pays regorge de centrales nucléaires à l’abandon et d’autre part, pour faire la guerre à la Russie. Le dernier a avoir joué ce jeu la, ce fut Hitler, et au final, le peuple allemand n’a récolté que la mort et la destruction. Hormis à Washington et dans les conseils d’administrations des entreprises américaines d’armement, personne ne souhaite un tel scénario, alors évitons de se livrer à la surenchère guerrière, qui échappe souvent à ceux qui l’orchestrent. Même Merkel et Hollande, qui étaient pourtant en pointe de la croisade anti-russe, l’ont compris.
Votre paragraphe sur les combattants kurdes est ridicule, pour la simple et bonne raison que l’UE considère encore comme terroristes plusieurs organisations kurdes qui combattent l’Etat islamique dans le nord de la Syrie et traque un certain nombre de militants kurdes vivant dans des pays européens en vertu d’accords policiers et judiciaires avec la Turquie.
Les Etats-Unis sont un empire décadent, qui ne tient sa puissance que de sa monnaie et de son armée et qui s’engage dans une fuite en avant guerrière pour tenter de préserver, coûte que coûte, son hégémonie sur le monde. L’OTAN est l’instrument de cette stratégie qui va à l’encontre de toute politique pour la paix, la coexistence et le droit. S’il doit y avoir une défense européenne, elle doit être émancipée totalement du complexe militaro-industriel américain, qui ne connaît que ses seuls intérêts, et qui n’a jamais hésite, et n’hésitera pas à faire couler le sang pour les servir.
Non, pour la paix, il ne faut pas armer l’Ukraine.
3. Le 16 février 2015 à 13:36, par Lame En réponse à : Doit-on livrer des armes offensives à l’Ukraine ?
Je suis entièrement d’accord avec Jean Marin.
Il n’y a pas d’armes offensives ou défensives mais des armes efficaces ou inefficaces.
La Russie a clairement l’intention de conquérir l’Ukraine bout par bout.Que se passera-t-il quand elle l’aura complètement annexée ? Elle s’attaquera à la Finlande (pays non membre de l’OTAN) et aux Pays baltes (pays quasi désarmés).
Il n’est plus question d’empêcher « l’escalade » : elle est là et nous n’avions aucune chance de l’empêcher sans recours à la force. Il est question de donner aux Ukrainiens les moyens de nous faire gagner un maximum de temps en tuant un maximum de soldats russes. Chaque jour de résistance de l’Ukraine est un jour de retard pour l’invasion russe. Chaque soldat russe tué en Ukraine est un soldat qui ne participera pas à l’attaque de l’UE.
Ne faisons plus avec l’Ukraine ce que nous avons fait avec la Tchécoslovaquie il y a un demi-siècle. Ne répétons pas continuellement les mêmes erreurs.
Surtout ne comptons pas sur les Américains : Ils ont fort à faire ailleurs et ils ont clairement décidé de ne pas s’impliquer dans une confrontation avec la Russie. N’ayant aucune illusion sur les chances de l’UE, ils renforcent les réseaux Stand Behind, les réseaux de guérilla de l’OTAN.
Contre qui ces guérilleros sont censés se battre ? Pas contre un ligne de front mais contre un occupant. A nous de nous décider à mettre en oeuvre une armée fédérale européenne aux côtés des armées nationales. Là, peut-être pourrons-nous espérer que les Stand Behind ne servent jamais...
4. Le 16 février 2015 à 19:55, par Thomas En réponse à : Doit-on livrer des armes offensives à l’Ukraine ?
@ Lame,
Votre pensée, visiblement restée à l’époque de la guerre froide, ne correspond à aucune réalité du monde dans lequel nous vivons. Pour démontrer l’agressivité américaine dans l’épineux dossier ukrainien, j’ai cité dans un autre sujet la venue du directeur de la CIA à Kiev il y a quelques mois et celle du secrétaire du département d’Etat il y a quelques jours. Avez-vous déjà vu le directeur du FSB ou encore le ministre russe des affaires étrangères se rendre dans un pays frontalier des Etats-Unis pour y conseiller le gouvernement en place ?
L’hystérie anti-russe, que vous relayez, à été dénoncée par plusieurs personnalités politiques européennes, conscientes du danger d’une politique d’agression et de tension vis-à-vis de la Russie. Les pays européens doivent lutter contre l’esprit de guerre, répandu par les fous et les inconscients, qui seront néanmoins les premiers à fuir lorsque la situation leur aura complément échappé et que les lignes rouges de la guerre auront été franchies.
Si l’Europe c’est la paix, elle doit le prouver en favorisant une solution politique et diplomatique au conflit. Elle ne la trouvera pas seule, mais ce n’est certainement pas en prenant en armant une des parties qu’elle le fera. L’odeur du sang, que vous semblez aimer, annonce rarement la paix.
5. Le 1er mars 2015 à 19:02, par Alexandre Marin En réponse à : Doit-on livrer des armes offensives à l’Ukraine ?
@Thomas
Il ne s’agit pas de déclencher une guerre ouverte entre l’Europe et la Russie. Là n’est pas la question.
Simplement, les traités de paix sont basés sur la confiance. Or, La Russie s’est montrée un partenaire particulièrement peu fiable.
Déjà en 2008, elle avait commencé à s’attaquer à la Géorgie et l’Europe n’avait que très faiblement réagi. Un jour, il faut une réponse forte. Aujourd’hui, le terrain de la négociation ne marche pas, la Russie transgressant tous les accords internationaux en la matière.
Il faut donc renforcer les sanctions économiques, notamment le gel des avoirs des oligarques russes, armer l’armée ukrainienne, et faire rentrer l’Ukraine dans l’OTAN si elle le souhaite. Evidemment personne n’a intérêt à une guerre parce que l’UE et la Russie ont des intérêts tels qu’une escalade des tensions débouchant sur un conflit entre les deux puissances est, heureusement, hautement improbable.
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