Le profil de Theodore Roosevelt « Ted » Malloch ne semble pas foncièrement contradictoire avec les exigences du poste d’ambassadeur auprès des institutions européennes. Après avoir réalisé un doctorat en économique politique internationale à l’université de Toronto, Malloch a occupé plusieurs postes dans la diplomatie, notamment au sein de la Commission économique pour l’Europe des Nations Unies, de 1988 à 1992.
Auteur d’une dizaine de livres sur l’économie mondiale et l’entreprenariat moderne, il enseigne le leadership stratégique et la gouvernance à la Henley Business School de l’université de Reading, au Royaume-Uni, et assure des fonctions de recherche et d’enseignement dans les universités de Yale et d’Oxford. Son passage au bureau exécutif du Forum économique de Davos contribue à sa personnalité une envergure internationale.
« L’autre Union qui a besoin d’être dressée »
Rien, en apparence, qui pourrait inquiéter, si ces titres honorables ne dissimulaient un nostalgique de la Guerre Froide, viscéralement hostile à l’Europe. À l’image du président Trump, Ted Malloch ne voue aucun intérêt à ce qu’il appelle les vieilles formes d’intégration : « je pense que la balance s’éloigne aujourd’hui du globalisme, en faveur d’un ordre mondial davantage centré sur les Etats ».
Déclinant à l’envi ce que Donald Trump avait déjà laissé entendre, Malloch prédit un effondrement de l’euro dans 18 mois, l’abandon probable de l’euro par la Grèce au profit du dollar, ainsi qu’une relation excellente entre États-Unis et Royaume-Uni.
Il assimile d’ailleurs l’Union européenne au communisme soviétique. « Au cours de ma carrière, j’ai occupé un poste avec lequel j’ai contribué à faire chuter l’Union soviétique. Peut-être y a-t-il aujourd’hui une autre Union qui a besoin d’être dressée. » a-t-il déclaré, goguenard, pour la BBC, fustigeant l’« anti-américanisme primaire » de l’UE.
« Doing Virtuous Business »
Il semble de toute évidence que les rapports de Ted Malloch à la réalité soient conflictuels. Il aurait affirmé à tort que l’un de ses films a été nominé pour les Emmy Awards. Il a indiqué avoir été « fait chevalier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem par Elizabeth II en personne », avant de se rétracter sans excuses une fois l’information vérifiée et ramenée au décernement d’une médaille par un représentant de la couronne. Selon lui, Margaret Thatcher avait loué en lui un « génie » et un « sherpa mondial », propos dont aucune trace n’a pu être retrouvée.
Malloch considère que les médias sont désormais ligués contre lui : « il semblerait en effet qu’une attaque envers moi soit coordonnée par le Financial Times, journal totalement inféodé à l’UE », a-t-il mentionné sur le site de droite radicale Breitbart News.
Nouveau front pour l’Europe de Bruxelles
Et l’UE attaque, elle aussi : sa candidature a suscité une levée de bouclier sans précédent des trois leaders des plus grands groupes politiques au Parlement européen, Gianni Pittella (S&D), Manfred Weber (PPE) et Guy Verhofstadt (ALDE), qui souhaitent en faire une persona non grata à Bruxelles. Les officiels de l’UE recherchent déjà un moyen de rejeter sa possible nomination. Réponse de l’intéressé ? « Je me suis fait beaucoup d’amis qui étaient ambassadeurs en Bulgarie, en Union soviétique, pendant la Guerre Froide. Ils n’ont pas été envoyés là-bas pour aimer ces pays. »
Mais à la différence de la Guerre Froide, États-Unis et Union européenne sont supposés entretenir une relation de coopération étroite en bonne intelligence, et non pas un conflit risquant de déboucher sur une nouvelle guerre mondiale.
Un fait accompli de plus ?
Comme Donald Trump aux États-Unis, l’arrivée de Ted Malloch à la rue Zinner à Bruxelles déclenchera certainement un ultime baroud d’honneur de l’intelligentsia pro-européenne, avant que le fait accompli ne soit accepté. On pourrait même supposer que les débuts de cet académique élégant rassureront dans un premier temps.
Théories du complot, faits « alternatifs », mépris souverain pour les médias traditionnels : la recette est pourtant déjà connue. La possible nomination de Ted Malloch à la représentation des États-Unis auprès de l’UE aurait pu être un scandale en soi il y a encore quelques mois, elle est maintenant une information secondaire. Si elle se concrétise, elle aura malgré tout le mérite d’officialiser la volonté du président Trump de détruire l’Union européenne.
Que reste-t-il aux défenseurs de l’Europe pour contester cette menace ? Bien peu de choses, là où même la diplomatie traditionnelle américaine se trouve impuissante face à la montée en puissance de l’ultra-droite. Au sein d’un système Trump qui se renforce d’une façon toujours plus déstabilisante, attaquer rationnellement ce type de personnalités contribue désormais à les renforcer.
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