L’Europe, la grande absente de cette campagne présidentielle que l’on peut qualifier d’atypique. C’est avec ces mots qu’Andreea Camen, présidente des Jeunes Européens – Strasbourg a annoncé la couleur du débat qui s’est ouvert le 29 mars dernier, à 12 jours du premier tour des élections présidentielles.
Rassemblant des représentants des sections jeunes de La République en Marche (LREM), du Rassemblement National (RN), de La France Insoumise (LFI), des Républicains (LR) et d’Europe Ecologie Les Verts (EELV), cet échange devait permettre d’y voir plus clair sur ce que pensent les principales formations politiques sur l’Europe, à l’heure où un fossé grandissant entre l’importance de l’intégration européenne et son traitement médiatique se fait sentir. Alors que l’abstention de jeunes électeurs devrait atteindre des records, l’objectif était également de sensibiliser à l’importance du scrutin présidentiel, dans la droite lignée des valeurs des Jeunes Européens.
Environnement : la question des taxes et des quotas d’émissions au cœur des divergences
Pour rappel : La Commission européenne a présenté le 11 décembre 2019 sa feuille de route pour la neutralité climatique d’ici 2050, intitulée Pacte Vert pour l’Europe. Un an après, l’objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 55% en 2030 par rapport à l’année-référence 1990 a été validé. En avril 2021, la loi climatique européenne a été adoptée par les institutions européennes. La stratégie ajustement à l’objectif 55 a été présentée quelques mois plus tard pour mettre en musique les principaux objectifs du Pacte Vert, visant notamment une refonte du marché du carbone et la mise en place d’un ajustement carbone aux frontières.
Sur la question de l’ajustement carbone aux frontières, le RN affirme que l’outil présenté n’est pas le bon car il frapperait des pays en voie de développement et les consommateurs européens. Une politique de localisme, « consommons européen », est par conséquent plébiscitée par la formation d’extrême-droite. Une position réfutée par EELV qui soutient en principe un mécanisme pour lutter contre le réchauffement climatique, « l’enjeu qui va déterminer la survie de l’humanité ». Toutefois, devant le « détricotage de la droite et de l’extrême-droite », les eurodéputés verts ont voté contre la proposition du Parlement européen. Répondant au représentant du RN, l’objectif du mécanisme n’est pas de frapper les économies émergentes, mais bien de respecter l’Accord de Paris. En outre, l’argent récupéré avec le mécanisme permettrait de lancer des politiques de redistribution.
LFI préfère solliciter le public de la conférence : « Qui a déjà entendu parler de l’ajustement à l’objectif 55 ? », une remarque inaugurale pour mettre en exergue le manque de communication de la Commission sur le sujet. Un sujet du reste mal traité selon la formation de gauche radicale, dans la mesure où « le marché carbone est un échec » et où « des décisions plus concrètes et compréhensibles, basées sur des relocalisations » sont préférables. Alors que LR pointent le « risque phénoménal de concurrence déloyale et de l’inutilité des efforts de l’UE si le reste du monde ne fait rien », LREM ne manque pas de louer les efforts du Président Macron, grâce à qui « la taxe carbone et l’ajustement à l’objectif 55 ont connu des avancés après 15 ans de négociations ». La taxe permettrait de surcroît d’inciter les pays extra-européens à innover pour accéder au marché unique.
Sur le thème des quotas d’émissions de GES, le RN ne conteste pas les quotas actuellement en vigueur sur le marché du carbone, mais « n’est pas favorable à de nouveaux quotas, car cela nuit au pouvoir d’achat ». Une mesure plus utile serait d’augmenter la part de la TVA prélevée par l’Union européenne pour ses ressources propres. LR souligne quant à eux le « double enjeu écologique et économique auquel il faut répondre par étapes pour atteindre les objectifs de 2050 » en citant la nécessité d’agir sur la pollution engendrée par le transport maritime. Une position sur le transport maritime que LREM souhaite toutefois nuancer en pointant les enjeux juridiques, notamment la question des pavillons, « très complexe d’un point de vue économique et diplomatique ». Eu égard à ces points d’attention, le parti soutient que le Président Macron est tout de même favorable à une réflexion sur la taxation dans ce domaine.
Du côté des formations de gauche, EELV souhaite mettre en exergue le fait que le marché du carbone obéit avant tout à des logiques de marché. Les mécanismes de marché étant « un outil comme un autre, il faudrait aussi passer par d’autres mesures ». La formation écologique dénonce une fin des quotas gratuits trop tardive, en 2036, ainsi que la profusion de quotas gratuits, peu dissuasifs, notamment dans le domaine de l’aviation. Enfin, les Verts sont contre l’extension des quotas dans le transport routier et le chauffage, car « cela frappe les ménages modestes », tout en fustigeant un Fonds social européen pour le climat « trop faible » (144 milliards d’euros). Enfin, LFI fustige l’échec total du marché du carbone, « l’objectif est de moins polluer. Or, le prix du carbone a augmenté mais les émissions n’ont pas baissé. C’est de l’obstination de s’évertuer à continuer dans cette direction. Le marché ne nous a jamais aidé ».
Politique économique : salaire minimum européen et pacte de croissance et de stabilité
Pour rappel : Au sujet du salaire minimum européen, il faut savoir que seuls 21 pays sur 27 disposent d’un salaire minimum, du reste très hétérogène en termes de montant comme de pourcentage du salaire médian. En outre, un travailleur sur six dans l’UE perçoit un bas salaire, un ratio en augmentation. Le Parlement européen discute actuellement d’un projet de directive sur un salaire minimum européen qui serait fixé à 60% du salaire médian dans chaque pays, même si l’UE a très peu de marge de manœuvre pour avancer dans ce domaine. Concernant les règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC, relatif au déficit et à l’endettement public), la crise de la Covid-19 a remis en cause le fondement de la rigueur budgétaire telle que pratiquée actuellement. Des négociations sont actuellement en cours entre les États membres pour améliorer ces critères.
Du côté de LR, la question semble des plus complexes, “quel SMIC prendrait-on ? Les salaires minimaux sont trop hétérogènes en Europe” et rappelle que “le trilogue actuel se positionne plus sur une mise en place de minima sociaux dans chaque pays”. Par conséquent, la formation de droite est contre un “SMIC européen” car il ne faudrait pas non plus sanctionner le tissu économique des pays concernés. Pour EELV, le seuil de 60% du revenu médian pour un salaire minimum est insuffisant, il faudrait évoluer vers “une retraite minimum, la fin des stages non rémunérés, une assurance chômage européenne sur le modèle de SURE”. Pour financer cela, EELV imagine de nouvelles taxes sur les bénéfices des multinationales et sur les transactions financières. LFI pense que le SMIC n’est pas une question de montant, mais de règle commune, comme ce que propose la Commission européenne et ses 50% du revenu médian dans chaque pays. Cependant, 50% serait “en dessous du seuil de pauvreté en France”. La formation de gauche radicale et l’Union populaire propose donc “75% du salaire médian”.
Du côté des deux plus grosses formations politiques représentées ce soir (du moins dans les sondages), le RN fustige la proposition de 75% du salaire médian en arguant que le marché unique est trop hétérogène. Le représentant de la formation d’extrême-droite en veut également pour preuve la théorie quantitative de la monnaie pour prouver qu’une augmentation du SMIC “cré[rait] de l’inflation”. Marine Le Pen s’est donc positionnée comme LR sur une valorisation des minima sociaux. LREM souhaite mettre en avant la notion de “salaire décent” avec 60% du salaire médian, “ce qui représenterait un gain de pouvoir d’achat de 150 euros dans un pays comme la Bulgarie”. En réponse à certains autres partis politiques, le parti présidentiel argue que “le SMIC français ne sera pas baissé, cela n’a jamais été discuté” et “qu’il s’agit d’une priorité de la Présidence française de l’Union européenne, grâce à laquelle un accord de principe sur le sujet a été atteint par les 27 pays”.
Sur le thème des critères du Pacte de stabilité et de croissance, LR sont les premiers à prendre la parole en pointant l’importance de la question pour les générations futures. La proposition d’augmenter le seuil de dette publique de 60 à 120% du PIB ne serait donc “pas sérieuse” et l’Allemagne a donc bien fait de fermer la porte dès février 2022 à la révision des critères. “Quel avenir veut-on laisser à nos enfants ?” semble être la question fondamentale pour la droite. Si on veut financer des mesures écologiques, “la planche à billet n’est pas la solution. Ce n’est pas le but de voir le prix du café augmenter toutes les deux semaines, comme cela peut être le cas dans d’autres pays”. EELV rebondit en affirmant que la crise écologique est “justement l’enjeu crucial pour l’avenir de nos enfants”. Il faut donc abroger le PSC pour la transition écologique, car “la seule dette qu’on ne rembourse pas, c’est la dette écologique”. EELV préconise du reste un plan de relance écologique de 2 000 milliards d’euros, ainsi que la reconnaissance de la prééminence des questions écologiques sur tout le reste dans les traités européens.
LFI affirme de son côté que le Pacte de stabilité et de croissance “ne permet ni la croissance, ni la stabilité”. Ce pacte des années 1980 repose “sur des critères hasardeux choisis sur le coin de la table qui ont été transgressés plus de 200 fois, dont 8 fois par l’Allemagne en ce qui concerne l’endettement”. La formation d’extrême-gauche se demande du reste si on veut vraiment “laisser un monde irrespirable et appauvri à nos enfants”, auquel cas, “l’endettement et la restructuration de la dette est utile”. Le RN prône quant à lui le maintien du PSC, tout comme LR, et en narguant LFI du fait que Marine Le Pen “n’est décidément pas communiste”. Pour eux, la proposition de Jean-Luc Mélenchon sur la fin de l’indépendance des banques centrales, et notamment celle de la Banque centrale européenne, “ne peut du reste pas marcher”. LREM conclut la question en notant, goguenard, “l’appel du pied du RN à LR sur plusieurs questions”, tout en pointant le retour de la croissance en 2021 (7%) et en nuançant l’endettement historique de la France, car “la dette publique en France s’élevait à 36% en 1986”. Le Président Macron souhaite par conséquent “l’adaptation du PSC en apportant des réponses adaptées en fonction des cycles économiques, en priorisant l’investissement”.
Cet article est écrit dans le cadre du projet Erasmus+ « Check’Europe ». Il est financé par l’Union européenne. Les points de vue et avis exprimés n’engagent toutefois que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement ceux de l’Union européenne ou de l’Agence exécutive européenne pour l’éducation et la culture (EACEA). Ni l’Union européenne ni l’EACEA ne sauraient en être tenues pour responsables.
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