Emmanuel Macron face aux eurodéputés : beaucoup de remontrances, un peu de présidentielle, quelques points de convergence

, par Rosalie Vuillemot, Servane de Pastre

Emmanuel Macron face aux eurodéputés : beaucoup de remontrances, un peu de présidentielle, quelques points de convergence
Emmanuel Macron prononce son discours de présentation du programme de la PFUE, au Parlement européen de Strasbourg, le 19 janvier 2022 (Source : PE)

Emmanuel Macron s’est rendu au Parlement européen ce mercredi 19 janvier pour présenter le programme de la Présidence française du conseil de l’Union européenne. Entre commentaires piquants des eurodéputés et l’invitation dans les débats de l’élection présidentielle française, cela faisait longtemps que l’on n’avait pas eu d’hémicycle autant en ébullition. Décryptage par Rosalie Vuillemot et Servane de Pastre, qui étaient sur place pour le Taurillon.

L’égalité femme-homme, les jeunes et la nécessité de créer une identité européenne autour de valeurs communes, rares points de consensus entre Emmanuel Macron et les eurodéputés

Dans son discours, Emmanuel Macron insiste sur les “valeurs qui nous tiennent et nous unissent”, un savant équilibre entre solidarité et liberté, entre tradition et progrès. Ces valeurs européennes sont, selon lui, des marqueurs de la démocratie.

Cette question des valeurs européennes fait réagir les eurodéputés. Pour Iratxe Garcia Perez, l’appartenance à l’UE se fait au travers de l’assentiment des citoyens. Le retrait du drapeau de l’Arc de Triomphe le 1er janvier dernier serait, de ce fait, un mauvais signe : les citoyens français se sentent-ils vraiment européens ? Elle interpelle le Président : « Vous ne rentrez pas dans l’histoire avec vos talents d’orateur Monsieur le président mais avec ce que nous serons capable de construire ». Yannick Jadot (les Verts) va même plus loin : “Votre Europe ne sera jamais notre Europe”, lance-t-il, décrivant un président qui préfère signer un “armistice avec les lobbies, plutôt que de combattre le changement climatique”. Raffaele Fitto (ECR) appelle quant à lui à définir précisément les contours d’une identité européenne, et à effectuer des choix en conséquence concernant l’avenir de l’UE.

Plusieurs propositions sont faites pour concrétiser ces valeurs européennes. Stéphane Sejourné (Renew) s’engage tout d’abord en faveur des jeunes. Il propose la création d’une plateforme visant à favoriser l’emploi des jeunes, projet validé par Emmanuel Macron quelques minutes plus tard.

Chaque groupe du Parlement européen insiste en outre, tout au long de la séance, sur l’égalité femme-homme et la “nécessité de briser le plafond de verre” (Garcia Lopez, S&D). En ce sens, le Pacte Simone Veil permettra de “lutter contre les violences sexistes”, affirme Stéphane Séjourné (Renew). Les deux propositions de directives visant à renforcer la présence des femmes au sein des conseils d’administration des grandes entreprises et visant à réduire les écarts de salaire sont l’une des priorités de la Présidence française de l’Union européenne. Emmanuel Macron propose également d’inscrire l’IVG dans la Charte des Droits fondamentaux. Un clin d’oeil à Roberta Mestola, qui est au coeur de polémiques pour ses positions anti-avortement ?

La sécurité extérieure de l’Union : un sujet qui fâche ?

Protection des frontières extérieures, contrôle accru des flux migratoires, armement de l’UE,... autant de conditions essentielles, selon Emmanuel Macron, pour que l’Europe soit “libre” et souveraine. Cette rhétorique guerrière ne fait cependant pas l’unanimité auprès des eurodéputés. Iratxe Garcia Pérez (S&D) avertit : l’Europe a besoin d’une boussole stratégique, mais elle ne doit pas se transformer en forteresse. Manfred Weber (PPE), insiste quant à lui sur le besoin “d’actions concrètes” pour assurer la souveraineté de l’UE. Cette critique est d’ailleurs récurrente sur les sujets de politique extérieure.

Et notamment sur la question de la Russie. Lors de son discours, Emmanuel Macron propose en effet de renouer un dialogue “ferme”, à même “de faire respecter les exigences” de l’UE. Et cela a fait réagir dans l’hémicycle. Pour Manfred Weber (PPE), ce ne sont que de belles paroles. Comment s’imposer lorsque le Conseil n’est pas capable de “prendre clairement position” ? À la solution du dialogue proposée par Emmanuel Macron, il préfère les “actes”, et notamment la fin du vote à l’unanimité au Conseil sur les Affaires étrangères.

L’inaction par rapport à la Chine est également critiquée. Yannick Jadot (Verts/ALE) dénonce des accords commerciaux passés avec la Chine, alors même que le gouvernement est à l’origine de répressions, visant notamment les Ouighours. La question des Ouighours est d’ailleurs reprise un peu plus tard par l’eurodéputé Raphaël Glucksmann (S&D), qui appelle le président et l’UE à agir d’urgence. Emmanuel Macron ne répond pas directement aux interpellations des eurodéputés. Si il faut prendre des “distances” avec la Chine et les US selon le président, ce n’est pas seulement une question de respect des droits de l’Homme, c’est également un enjeu stratégique. Et cela passera par une politique d’investissements très ambitieuse.

Les députés de l’opposition s’entendent néanmoins sur un sujet : la politique migratoire de l’UE est à revoir complètement

Yannick Jadot (les Verts) revient sur la tragédie qui coûta la vie à 27 migrants dans la Manche il y a quelques semaines, et particulièrement sur le parcours de vie de Mariam, une des victimes. Il estime que le président se trompe de priorité : “Cessez de tendre l’oreille aux théories [...] nauséabondes du grand remplacement, occupez-vous de la réalité scientifique du grand réchauffement”, lance-t-il, furieux, à Emmanuel Macron. Iratxe Garcia Perez (S&D) considère quant à elle que “le Conseil doit tout faire pour éviter les morts à nos frontières”. À la droite de la droite, Jordan Bardella, président du groupe Identité et Démocratie, considère que le Pacte migration actuellement en discussion va “déposséder les États de la possibilité de choisir leurs politiques migratoires”. Raffaele Fitto, président d’ECR, argue d’un manque de compréhension. Selon lui, il est primordial de “préciser la position européenne sur l’immigration”. Emmanuel Macron dit “partager l’émotion traduite et exprimée” concernant la migration. À Calais, “la France a une politique de responsabilité et d’humanité”, affirme-t-il. Il pointe du doigt le comportement ambivalent des Britanniques, qui plébiscitent l’emploi de migrants en situation illégale tout en limitant l’entrée légale des migrants sur leur territoire. “C’est par un dialogue avec la Grande-Bretagne que l’on règlera le problème”, insiste Emmanuel Macron.

Les négociations sur le gaz et le nucléaire avec la Hongrie et la Pologne : un risque pour l’état de droit (Manfred Weber) et une “alliance climaticide” (Yannick Jadot) ?

Le procès en inaction fait par les eurodéputés à Emmanuel Macron concerne également la Pologne et la Hongrie. En réalité, cette accusation est double. Les Verts et la Gauche dénoncent tout d’abord des négociations avec des pays dont les manquements à l’État de droit ne sont un secret pour personne. Le président du PPE plaide pour l’activation de l’article 7 TUE contre ces États membres et dénonce l’inaction du Conseil. Les programmes des présidences tournantes du Conseil sont “ennuyeux”, dit-il. Avant d’expliquer : à chaque mandat, les présidents présentent leurs points de vue devant le Parlement européen sans prendre d’action concrète. La deuxième critique est portée par Yannick Jadot. Il accuse Emmanuel Macron de former une “alliance climaticide” avec la Pologne et la Hongrie, et de “promouvoir le gaz pour sauver le nucléaire”. Emmanuel Macron serait “climato-arrogant” et le “président de l’inaction climatique”, qui procrastinerait “tel Meryl Streep dans le film Don’t look up”. Manon Aubry, coprésidente du Groupe The Left, qualifie ces négociations d’ ”irrespect” vis à vis de l’ampleur de la crise climatique. L’eurodéputée Garcia Perez (S&D) dit quant à elle que “la situation de la France et de l’Allemagne ne doit pas remettre en cause le leadership [énergétique] de l’Europe”.

Emmanuel Macron lui répondra que des sanctions ont déjà été prises concernant la Pologne et la Hongrie (notamment par la condamnation en octobre de la Pologne par la Cour de justice à une astreinte - amende journalière - d’1 million d’euros jusqu’à ce que les décisions de la CJUE soient appliquées). La qualification d’énergie “verte” pour le nucléaire, poussée par la France dans le cadre de la taxonomie, serait en outre un “choix cohérent contre le réchauffement climatique”. Le Président Macron insiste également sur le fait que des désaccords entre l’UE et ces pays ne doivent pas empêcher les États de négocier et d’adopter des accords concernant d’autres politiques.

Un manque de justice sociale dans le programme de la Présidence française de l’Union européenne ?

Salaire minimum “décent pour tous”, égalité salariale, garantie d’emplois de qualité, quotas de femmes dans les grandes entreprises, taxe carbone aux frontières, clauses miroir… Emmanuel Macron l’assure, la PFUE sera au rendez-vous de la justice sociale, fiscale et climatique. Cependant ce n’est pas l’avis de Manon Aubry. La présidente du groupe La Gauche considère qu’Emmanuel Macron “sert de la soupe au MEDEF sur l’évasion fiscale” et “[fait] les poches des chômeurs”. “Qui Emmanuel Macron protège-t-il ?”, demande-t-elle. Avant de répondre à sa question : les multinationales, et non les gens. Manfred Weber (PPE) considère quant à lui qu’il faudrait insister sur les mesures prévenant la précarité énergétique au sein du Green Deal, au risque d’encourager la montée du populisme.

Emmanuel Macron répondra à ces critiques en insistant sur la proposition de Directive sur un salaire minimum européen, qui créerait une convergence sociale par le haut. De plus, selon lui, 37% du Plan de relance est consacré à l’action sociale et que celui-ci crée un fonds de transition juste.

L’élection présidentielle s’immisce au Parlement européen

Manfred Weber (PPE) se positionne en faveur de la candidature à la présidence française de Valérie Pécresse et les cris de Yannick Jadot dirigés directement à l’encontre d’Emmanuel Macron trahissent le climat politique particulier français, à la veille des présidentielles. Les échauffements des eurodéputés font d’ailleurs réagir des proches d’Emmanuel Macron qui s’écrient que le Parlement européen “n’est pas l’Assemblée nationale” (Séjourné, Renew) ainsi que la Présidente du Parlement européen Roberta Metsola, nouvellement élue, qui rappelle plusieures fois à l’ordre les eurodéputés et finit par couper le micro de Jadot : “je vous rappelle qu’ici ce n’est pas la campagne présidentielle française”. Mais alors, le mauvais timing de la présidence française de l’Union européenne, concomitante aux élections présidentielles françaises, serait-elle une instrumentalisation, un “marche-pied politique” de la part d’Emmanuel Macron ? C’est en tout cas l’avis de plusieurs députés européens de l’opposition, notamment Manon Aubry (La Gauche).

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