En Italie, comment surmonter l’instabilité chronique ?

Un témoignage dans le cadre de la campagne « Democracy Under Pressure » de la JEF Europe

, par Margherita Corsaro, Théo Boucart

En Italie, comment surmonter l'instabilité chronique ?
Le nouveau président du Conseil italien. Mario Draghi. Photo : Flickr (Parlement européen)

Dans le cadre de la campagne “Democracy Under Pressure”, organisée depuis 15 ans par les Young European Federalists, Le Taurillon publie un deuxième témoignage sur la situation de la démocratie en Italie, pays fondateur de l’Union européenne et donc le prestige trancherait presque avec l’instabilité chronique que connaît le pays de puis la proclamation de la République après la seconde guerre mondiale. Margherita Corsaro, étudiante italienne en France, a répondu aux questions de Théo Boucart.

Le Taurillon : L’Italie a connu 44 premiers ministres depuis la fondation de la république en 1946. En quoi cette instabilité influence-t-elle la démocratie ?

Margherita Corsaro : Je voudrais revenir sur quelques points importants concernant le mode de scrutin en Italie.

En Italie, le chef de l’exécutif, le premier ministre, est élu indirectement, c’est-à-dire qu’il est sélectionné par les parlementaires qui, eux, sont bien entendu élus par le peuple. Ainsi, si en France il y a un attachement particulier au Président de la République, de par son élection directe, ce n’est pas le cas en Italie.

Deuxièmement, l’Italie dispose d’un mode de scrutin proportionnel corrigé. Le pays a gardé le même mode de scrutin de 1953 jusqu’aux années 1990. Ensuite, de nombreuses lois électorales ont été introduites à partir des années 2000. Alors que l’Italie avait connu jusqu’à lors un système bipartite, cela ne fonctionnait plus, au point qu’aucun parti n’arrivait à lui seul à former une majorité parlementaire. Commence ainsi l’époque des coalitions post-élections.

Or qui dit majorité de « justesse », obtenue à la suite de compromis politiques, dit gouvernement instable. Le risque dans une législature instable est, à mes yeux, principalement le suivant : les partis de majorité risquent de ne pas pouvoir tenir leurs promesses électorales, soit à cause de la nature trop large des alliances politiques, soit parce que cette même impossibilité de légiférer conduit à la chute de la majorité, qui n’a donc pas concrètement le temps pour mettre en œuvre son programme politique. Finalement, le danger est celui de la paralysie politique, ce qui engendre des crises, souvent aggravées par le contexte économique qui, elles, mènent à l’appel à l’aide de gouvernements technocratiques.

LT : La nomination de Mario Draghi au poste de premier ministre met un terme à une coalition menée par le Mouvement 5 étoiles, à laquelle la ligue du Nord de droite radicale a participé de 2018 à 2019. Quel bilan peut-on faire de l’action de la coalition populiste ?

MC : Le bilan est malheureusement inquiétant du point de vue des droits des minorités. Quiconque en Europe se rappellera des milliers de réfugiés laissés mourir dans la Méditerranée, aux portes de l’Italie, des ONG qui recevaient des amendes monstrueuses au seul motif d’avoir fourni de l’aide à des personnes en danger est à la limite du licite. Cela était le résultat d’une loi qui porte le nom « decreto-legge Salvini ».

D’autres usurpations, moins graves, mais fortement symboliques et sournoises, ont eu lieu, mais elles ont fait moins de bruit à l’étranger. Il s’agit notamment de la question de l’expression de parenté sur la carte d’identité des mineurs de 14 ans : la modification de la formulation neutre « genitore 1, genitore 2 » (parent 1, parent 2), au profit de la traditionnelle « madre, padre » (mère, père).

Il est aussi vrai que des tentatives d’avancements ont été faites sur des droits civiques. Par exemple le revenu universel, qui malheureusement ne cesse de créer des polémiques dû à des scandales, mais aussi la loi qui a créé un filet de protection minimale pour les livreurs / coursiers.

LT : Mario Draghi est un président du Conseil à la tête d’un gouvernement technocratique, comme Mario Monti au plus fort de la crise de la zone euro. Cette manière de procéder est-elle toujours justifiée ?

MC : Je voudrais préciser qu’il y a plusieurs différences entre les deux gouvernements techniques que l’Italie a connus dans la dernière décennie.

Premièrement, le contexte est différent. Aujourd’hui il s’agit d’une véritable crise politique, où des ministres ont démissionné mettant en crise le gouvernement. Avant, il s’agissait d’une crise financière dans laquelle, selon moi, le gouvernement avait bien peu de marge de manœuvre - le pays étant exposé à des risque de défauts de remboursement, et recevant des ultimatums de la parts d’autres dirigeants européens.

Deuxième différence essentielle : aujourd’hui on ne peut parler de « gouvernement technocratique » que de façon limitée. En comparaison avec le gouvernement Monti, constitué presque exclusivement par des véritables technocrates, le gouvernement Draghi est massivement composé par des politiques.

Tout en reconnaissant l’échec politique - et démocratique - qu’implique un gouvernement technocratique nommé en urgence, je dirais que les deux occasions étaient pareillement légitimées par les circonstances. D’un côté, une Italie face au désastre, guidée par un exécutif sans espoir aux yeux du bloc européen, ce qui s’est traduit par la nomination d’un nouveau gouvernement qui a fait table rase des formations politiques. De l’autre côté, une Italie, certes affaiblie par la crise pandémique, mais qui fait face à une querelle sur l’utilisation de fonds européen, somme toute une situation bien plus confortable et où, très certainement, un gouvernement entièrement « technique » ne serait pas passé.

LT : De par sa décentralisation au niveau régional et son respect des langues minoritaires, l’Italie peut tout à fait être un modèle pour la France ultra-jacobine. La décentralisation à l’italienne permet-elle réellement de rapprocher la pratique de la démocratie des citoyens ?

MC : Oui. Un exemple très parlant est le succès électoral au niveau national de la Ligue du Nord. Ce parti existe en effet depuis plusieurs décennies, mais il n’a eu qu’une dimension territoriale locale voire régionale jusqu’aux années 1990. Le progrès électoral s’est fait petit à petit, grâce à la popularité du parti au sein de (petites) communes, où la participation à la vie politique est bien plus répandue qu’au niveau national.

LT : Dernière question, somme toute assez classique, sur les perspectives d’avenir de la démocratie en Italie. Y a-t-il de quoi être optimiste ? Les Italiens considèrent-ils toujours leur démocratie comme pleinement compatibles avec l’intégration européenne ?

MC : Je crois que le danger majeur qui guette l’Italie concerne l’éducation. Non seulement le pays enregistre des taux extrêmement bas de diplômés, mais aussi des chiffres très élevés en ce qui concerne les jeunes expatriés. Cela a certes un impact négatif sur le renouvellement de la classe d’électeurs. Mais du point de vue de ces nombreux jeunes-là, dont je fais partie, et qui voient dans l’Europe un choix possible grâce aux politiques d’intégration auxquelles l’Italie a pris part, il est certain que la démocratie est pleinement compatible avec l’existence de l’Europe politique.

Avertissement : ce témoignage reflète les opinions personnelles de son auteure. Il ne saurait refléter les opinions de la rédaction du Taurillon.

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