Répression des journalistes et contrôle de l’information
Alors que la Serbie recense 238 morts et plus de 11000 cas officiels du Covid-19, une affaire a récemment mis en lumière le manque de protection des journalistes et la fragilité de leur liberté d’expression : dans la soirée du 1er au 2 avril, Ana Lalic, journaliste du site d’information serbe Nova.rs, a subi une intervention policière brutale dans son appartement, et a été placée en détention au poste de police. Son ordinateur portable et ses téléphones mobiles ont été saisis et n’ont pas été restitués par la suite. Le motif : elle aurait provoqué « panique et agitation » après avoir publié un article sur le manque d’équipement et les conditions de travail désastreuses au sein de l’hôpital local, qui a porté plainte pour diffamation.
L’arrestation d’Ana Lalic n’est pas un cas isolé. Pour preuve, elle est survenue la veille de l’entrée en vigueur d’un décret accordant au gouvernement un droit de contrôle et de validation – autrement dit, de censure – sur toute information concernant l’épidémie de Covid-19. Très controversé et critiqué, notamment par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ce décret a finalement été révoqué.
Une situation qui se dégrade depuis des années
Ce cas est en réalité révélateur d’une dégradation de la liberté de la presse et de la protection des journalistes en Serbie depuis plusieurs années, notamment depuis l’arrivée au pouvoir du président actuel, Aleksandar Vucic.
La restriction de la liberté de l’information en Serbie n’est certes pas complètement une nouveauté. Ainsi, pendant la guerre du Kosovo dans les années 90, l’accès à l’information était déjà très restreint, les journalistes étrangers étant arrêtés, interrogés et expulsés, et les autorités tentaient de limiter la circulation des images. Néanmoins, l’état de la liberté de la presse s’est considérablement détériorée depuis plusieurs années. Ainsi, alors que la Serbie arrivait à la 63e place du classement de Reporters Sans Frontière en 2013 (sur 180 pays), elle a chuté dans le classement pour arriver 90e en 2019. Dans son rapport de 2019 sur la Serbie, remis dans le cadre de la politique d’élargissement de l’UE, la Commission européenne indique que peu de progrès ont été accompli sur la période couverte par le rapport, et que l’on compte de nombreux cas de menaces, d’intimidation et de violence envers des journalistes serbes. Ainsi en 2019, le domicile du journaliste d’investigation Milan Jovanovic a été incendié alors qu’il enquêtait sur des affaires de corruption. Ces affaires peinent encore à recevoir le traitement juridique approprié, en dépit du Mémorandum d’accord sur la création d’une plateforme en ligne de protection des journalistes – qui permet de signaler ce genre d’attaques –, signé en 2016 par le Conseil de l’Europe dont la Serbie est un État membre. En outre, le financement des médias et l’influence politique et économique sur le milieu journalistique manquent encore de transparence depuis la privatisation des médias de l’ancien régime communiste – ainsi des fonds publics se sont trouvés alloués à des médias pro-gouvernementaux tandis que des médias d’opposition ont été forcés à la fermeture suite à des inspections financières. Enfin, les organismes publics refusent fréquemment de diffuser des informations rentrant pourtant dans le cadre de la Loi de libre accès aux informations d’importance publique.
Les associations tirent depuis longtemps la sonnette d’alarme sur la situation des journalistes en Serbie. En 2018, Transparency International alertait sur le cas de la Serbie, dont l’indice de corruption chutait à 38/100 (à titre de comparaison, les pays les mieux classés, situés en Europe de l’Ouest et du Nord, réalisent des scores entre 70 et 90), et qui préparait en 2018 une loi facilitant la rétention d’informations pour les organismes publics. En 2019, le secrétaire général de Reporters Sans Frontières rencontrait le président Aleksandar Vucic, mais les résultats continuent de se faire attendre.
La « maladie » des Balkans ?
De manière générale, la Serbie semble refléter une tendance inquiétante dans les Balkans, où les agressions, cyberattaques, tentatives d’intimidation, etc., contre les journalistes, surtout contre les journalistes d’investigation enquêtant sur des affaires de corruption ou allant à l’encontre des intérêts de l’État, sont en hausse. Ainsi le Kosovo, région dont la Serbie ne reconnaît pas l’indépendance, ne se classe que 75e en 2019. Même si la Serbie est le pays de la région ayant le plus lourdement chuté dans le classement ces dernières années, la situation ne s’améliore pas non plus chez ses voisins : le Monténégro, l’Albanie, la Moldavie, la Bulgarie stagnent tous entre la 110ème et la 80ème place du classement.
Comme le montre le rapport de la Commission Européenne déjà cité, le manque de progrès, voire la régression de la Serbie dans ce domaine constitue l’un des freins à sa candidature à l’Union Européenne. Il est probable que cet état de fait pourrait continuer à y faire obstacle, et ce d’autant plus du fait de la proximité géographique de la Serbie avec d’autres États membres de l’UE dans les Balkans (Bulgarie) ou d’Europe centrale et orientale (Pologne, Hongrie) où les libertés fondamentales sont également menacées en attestent les procédures lancées par la Commission européenne.
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