Les temps sont durs pour les défenseurs des libertés individuelles ; à voir 5000 personnes dans les rues de Bordeaux, et 70 000 dans celles de la capitale, manifester en vrac pour le retrait de la loi Taubira, contre la PMA pour les couples lesbiens, la GPA, et autres chimères comme la soi-disant « éducation de genre », on s’aperçoit à quel point les forces conservatrices sont puissantes et ne se fatiguent jamais.
L’avortement en Espagne
Ces derniers jours cependant, un certain réconfort a pu être trouvé en observant ce qu’il s’est passé par-delà les Pyrénées. Encore qu’il ne s’agisse pas d’une avancée sociale, simplement d’un non-recul. Mais quand même, il était bon de voir ces milliers de femmes et d’hommes exprimer leur joie dans le centre de Madrid, le 28 septembre, pour célébrer le retrait du projet de loi relatif à l’avortement. Cinq jours plus tôt, le président du gouvernement, Mariano Rajoy, avait déclaré : « le gouvernement a fait le plus d’efforts possible pour tenter de parvenir au meilleur consensus possible. Nous allons continuer à étudier les formules permettant de parvenir à un meilleur accord sur la réforme. Mais en ce moment, je crois avoir pris la décision la plus sensée ».
De belles phrases pour cacher la réalité du camouflet infligé à son ministre de la Justice, l’ambitieux Alberto Ruiz Gallardón, qui a démissionné dans la foulée et annoncé son retrait de la vie politique après 30 ans passés dans les instances du Parti Populaire. Celui qui fut maire de Madrid avait porté à bout de bras ce projet présenté fin 2013, visant à réduire drastiquement les conditions légales d’avorter.
Jusqu’à présent, l’Espagne autorise depuis la loi de 2010 l’avortement pendant les 14 premières semaines de grossesse sans justification, et jusqu’à 22 en cas de malformation du foetus ou de risque physique ou psychique pour la mère avéré par un médecin. Cette loi votée sous le gouvernement socialiste de Zapatero allait donc plus loin que celle de 1985 qui avait autorisé l’avortement seulement en cas de viol, de malformation du foetus et de danger pour la mère.
Quant au projet de loi de Gallardón, il se montrait extrêmement réactionnaire puisqu’il visait à ne conserver que le viol et le risque pour la mère comme « raisons valables » d’avorter, les deux devant être prouvés dans le premier cas par une plainte faite au commissariat et dans le second par une ordonnance médicale.
Pourquoi avoir retiré le projet de loi maintenant ?
Le projet de loi Gallardón correspondait à une promesse électorale de Mariano Rajoy. Il fut présenté plus ou moins en même temps qu’un autre projet, la loi dite « de sécurité citoyenne », qui comportait un certain nombre de restrictions aux libertés publiques mais qui a aussi été grandement amendé depuis. Ce virage réactionnaire du gouvernement visait à s’attirer les bonnes grâces de la frange la plus extrême de l’électorat de droite ainsi que de l’Eglise catholique. Mais la tactique s’est avérée désastreuse et Rajoy s’en est rendu compte : la société espagnole est moins conservatrice qu’on ne le pense et il faut se souvenir qu’en 2004 par exemple, l’Espagne était devenue le troisième pays au monde à légaliser le mariage gay sans que l’opinion publique ne manifeste une quelconque opposition.
Dans le cas de l’avortement, des sondages ont révélé que près de 80% des Espagnols ne souhaitaient pas toucher à la loi de 2010. Les partis politiques d’opposition étaient tous très hostiles au projet Gallardón, et même au sein du PP l’ex-maire de Madrid a dû affronter un certain nombre de réticences : en février, la première vice-présidente du Congrès Celia Villalobos avait même reçu une amende pour avoir osé voter en faveur d’une initiative de la gauche radicale visant à retirer le texte.
En mai, les élections européennes ont été catastrophiques pour le parti au pouvoir. Bien qu’il soit arrivé en tête avec 26%, il a perdu 16 points par rapport à 2009 et 8 sièges d’eurodéputés. Il a dû faire face, comme le Parti socialiste d’ailleurs, à la montée de la « Gauche plurielle » et surtout du nouveau mouvement Podemos (Nous pouvons) créé quelques semaines avant à peine. Pour contre-attaquer, Rajoy n’avait donc pas d’autre choix que de donner un coup de barre au centre et tenter de récupérer la confiance de ses électeurs les plus modérés.
Finalement, peut être que cet épisode aidera le Parti Populaire à évoluer idéologiquement pour ressembler à ses partenaires de la droite européenne, moins conservateurs et plus laïcs. Mais en Espagne, il faut toujours être méfiant : dans le tumulte qui a suivi l’annonce du retrait du projet de loi, beaucoup ont ainsi oublié qu’une disposition était maintenue, celle visant à demander expressément l’accord des parents pour les mineures désirant se faire avorter. Et, plus grave encore, le Tribunal constitutionnel n’a toujours pas rendu sa décision à propos de la loi de 2010 ; s’il décidait de l’annuler, ce serait un retour à la loi de 1985. Un saut de trente ans en arrière.
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