Sensationnel. Incroyable. Inattendu. Les qualificatifs manquent le 26 juin 1992 pour qualifier la victoire du Danemark en finale de la neuvième édition du championnat d’Europe. Rien ne laissait présager ce résultat. L’affiche ultime de la compétition semblait d’ailleurs largement déséquilibrée.
D’un côté, se présentait une sélection allemande réunifiée, qui pouvait s’appuyer sur un joli bilan. L’Allemagne de l’Ouest a ainsi été demi-finaliste de l’Euro 1988, mais aussi deux fois finaliste du Mondial (1982, 1986) et championne du monde en titre (1990). L’équipe peut compter désormais sur les meilleurs joueurs d’Allemagne de l’Est, qui a disputé son dernier match officiel le 15 novembre 1989. En face, se trouve le Danemark, qui n’était… même pas qualifié pour ce tournoi européen. "Je devais poser une nouvelle cuisine chez moi mais nous avons été appelés pour aller jouer en Suède", expliquait le sélectionneur danois Richard Møller-Nielsen. Que s’est-il passé sur la planète football continentale en cet été 1992 ?
Pour le comprendre, il faut se replonger dans le contexte historique de cette époque pas si lointaine mais pourtant cadre d’une profonde évolution politique en Europe. Le mur de Berlin est tombé en 1989 et l’ensemble du “bloc de l’Est” n’est plus. Les Communautés européennes comptent 12 membres depuis 1986 et le 7 février 1992, le traité fondateur de l’Union européenne est signé à Maastricht, aux Pays-Bas, signal d’une nouvelle étape décisive dans l’histoire de l’Union.
En parallèle, 33 nations se rencontrent en éliminatoires pour se disputer les sept précieux tickets qualificatifs à l’Euro, qui se tient du 10 juin 1992 au 26 juin 1992 en Suède. Le Danemark obtient des résultats moyens dans son groupe composé également de la Yougoslavie, de l’Irlande du Nord, de l’Autriche et des Îles Féroé. « Michael Laudrup, Jan Heintze et Brian Laudrup se retirent à cause des nombreux désaccords tactiques qui les opposent à leur sélectionneur ». Un entraîneur, Richard Møller-Nielsen, qui n’était pas le premier choix de sa sélection. Les Danois terminent 2e de ce groupe derrière une Yougoslavie impressionnante et ratent ainsi leur chance de prendre part à la compétition.
Le Danemark, loin de l’UE, proche de l’Euro
Mais nous sommes en 1992. Le 30 mai 1992, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 757 qui sanctionne la Yougoslavie pour sa participation dans des guerres qui font rage dans les Balkans. L’UEFA réagit également en interdisant à la Yougoslavie de prendre part à la compétition continentale de football. Et invite le Danemark à prendre cette place. Les joueurs sont en vacances. Ils ont très peu de temps pour se préparer, à l’inverse des autres participants qui n’attendent que cela. « De loin, ces Danois font l’effet de touristes débarqués en claquettes pour profiter de la piscine de leur hôtel à défaut de bronzer sur les plages de la Costa Brava », rappelle le journaliste Alexandre Pedro. Il est écrit que cette sélection vient pour faire un petit tour seulement. Cependant, la politique, encore elle, pourrait-elle avoir une influence ?
Le 2 juin 1992, un référendum se déroule en effet dans le royaume du nord de l’Europe. Les habitants sont appelés à se prononcer sur la ratification du Traité de Maastricht, adopté par le Parlement. Le “Non” l’emporte, par 50,7 %. Le ministre des Affaires étrangères Uffe Ellemann-Jensen réagit en se projetant sur l’Euro de football : « si vous ne pouvez pas les rejoindre, battez-les ».
Tout semble pourtant si compliqué pour le Danemark. Dans son groupe se trouvent en effet la France, vainqueur huit ans plus tôt, le pays hôte suédois et une Angleterre en reconstruction, qui reste sur un échec retentissant (3 défaites en 3 matchs à l’Euro 1988) mais qui a terminé 4e du Mondial 1990. Les choses commencent plutôt mal, puisqu’après un nul inaugural le 11 juin sur le score de 0-0 contre l’Angleterre, le Danemark perd contre son voisin Suédois. Les joueurs pourraient-ils tout de même profiter de leurs vacances ? Las, les Bleus de Platini et leur doublette offensive Cantona-Papin ne parviennent pas à écarter le Danemark, qui gagne 2-1. Michel Platini, sélectionneur français, démissionne. La surprise danoise est en marche.
La géopolitique est aussi influente dans l’autre groupe, dont fait partie la “Communauté des Etats indépendants” (CEI) qui remplace l’URSS. L’Allemagne réunifiée est aussi présente pour la première fois mais ce sont les Pays-Bas, tenants du titre, qui terminent en tête de la poule, grâce à un Dennis Bergkamp magique, buteur contre la CEI et l’Allemagne. Les Néerlandais obtenaient donc le droit de rencontrer le Danemark en demi-finale. Une formalité ?
Peter Schmeichel écoeure le champion en titre
Pas si vite. Les Danois se sont trouvé une motivation et tiennent la dragée haute face au champion. Henrik Larsen, qui avait trouvé la faille contre la France, marque deux fois. Malheureusement pour le Danemark, le défenseur Henrik Andersen se blesse gravement dans un duel contre Marco van Basten, triple ballon d’or. « On m’a fait une piqûre de morphine. J’ai écouté la séance de tirs au but victorieuse grâce au haut-parleur de l’hôpital », racontera t-il quelques années plus tard au Monde, qui classe cette rencontre parmi les matchs légendaires des championnats d’Europe.
En effet, après un match qui se termine sur le score de 2-2, les tirs aux buts sourient aux “touristes”, qui ne font alors plus rire personne. C’est une autre star de cette sélection, Peter Schmeichel (dont le fils est actuellement le gardien titulaire du Danemark à l’Euro 2020), surnommée la "Danish Dynamite", qui revêt le costume du héros. Il stoppe la tentative de Marco van Basten. Les Pays-Bas sont éliminés. Le Danemark est en finale. Face à lui, une montagne. L’Allemagne, tombeur de l’hôte suédois sur le score de 3-2 en demie.
Franz Beckenbauer, légende du football allemand et ancien sélectionneur avait annoncé, dès 1990, que cette Mannschaft deviendrait « impossible à battre » avec l’apport des talents de la RDA. Cette sélection réunifiée reste cependant largement estampillée Ex-RFA. Impossible n’est pas danois, en tout cas, pas pour Brian Laudrup, qui à l’inverse de son frère Michael, a décidé de jouer cette compétition et sait que son équipe n’a rien à risquer dans cette finale.
« Je me suis dit que si nous pouvions battre les Français et les Néerlandais, nous pourrions aussi battre les Allemands. Mais nous n’étions pas sûrs de pouvoir aligner onze joueurs en forme. (...) Nous nous sommes serré la main avant le match et avons dit : "Si nous perdons ce match, et que tout le monde s’attend à ce que nous perdions contre les Allemands, alors nous pourrons nous regarder dans le miroir et dire que nous nous sommes rendus fiers. Et que notre pays est fier" ».
Kim Vilfort, un héros au destin tragique
La finale est sans doute le match le plus maîtrisé pour le Danemark sur l’ensemble du tournoi, preuve que leur courte préparation a été efficace. John Jensen et Kim Vilfort sont les rois de cette ultime rencontre. Le premier, qui n’a jamais marqué sous le maillot de sa sélection et qui s’était montré plutôt maladroit jusque là, inscrit un but d’une frappe splendide. « Jensen ne réalise pas tout de suite et court avec la main droite levée comme celui qui ne sait pas trop comment fêter un but. »
Kim Vilfort est en pleine traversée d’un drame personnel. Sa fille de six ans est atteinte d’un cancer. Avant le match contre la France, il était rentré précipitamment à Copenhague alors que l’état de la jeune Line empire. Elle mourra quelques jours plus tard. Mais ce 26 juin 1992, à la 78e minute du match, Kim Vilfort rend heureux tout un pays en inscrivant le deuxième but de cette finale au score net de 2-0. Le Danemark règne sur le continent. Tout simplement l’un des plus grands exploits de l’histoire du football.
Brian Laudrup résume sobrement cette conclusion inattendue. « Nous avons réussi à remporter le trophée et obtenir l’un des plus grands résultats de l’histoire du sport danois. C’était presque trop beau pour être vrai. » Plus d’un million de Danois accueille ses héros le lendemain à Copenhague. Le 18 mai 1993, ils seront 1 930 391 à voter en faveur de la ratification du Traité de Maastricht. Uffe Ellemann-Jensen disait « si vous ne pouvez pas les rejoindre, battez-les » ? Au final, les Danois les ont donc battu et ils peuvent désormais penser à une intégration plus aboutie sur le plan politique avec cette ratification.
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