L’épidémie a démontré mieux qu’aucun discours la nécessaire action de l’Union européenne (UE). Les effets de la politique européenne se manifestent aujourd’hui concrètement dans le quotidien des citoyens européens, que ce soit pour gérer le volet économique ou sanitaire de la crise. Pourtant, en France, la vie publique de l’UE demeure la grande absente de l’actualité présentée à la télévision et à la radio. C’est avec ces mots que commencent la tribune publiée par le Mouvement Européen – France et l’Association des Journalistes Européens (AJE) et publiée le 3 novembre dernier dans le journal Les Echos.
Signée par un panel de personnalités médiatiques (Véronique Auger de l’AJE, Nora Hamadi d’ARTE, Stéphane Leneuf de France Inter), politiques (Sabine Thillaye de l’Assemblée nationale, Marie-Pierre Vedrenne et Karima Delli, André Gattolin du Sénat), et associatives (Marie Caillaud des Jeunes Européens – France, Ophélie Omnes de l’Union des Fédéralistes Européens – France, Yves Bertoncini du Mouvement européen – France), cette « lettre ouverte » fustige une nouvelle fois le fait que l’Union européenne soit « la grande absente » de l’actualité présentée à la télévision et à la radio et demande au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) de se saisir du dossier, car il s’agirait tout simplement d’un « enjeu citoyen ».
La publication de cette tribune intervient en outre à l’occasion des élections américaines, très disputées entre Donald Trump et Joe Biden, et qui ont retenu toute l’attention des médias européens et français. Une telle couverture des élections européennes est pour le moment totalement irréaliste, ce qui peut paraître incongru, dans la mesure où les citoyens votent pour élire les députés européens, et non pas les grands électeurs américains.
Médias et Europe, le grand malentendu
Ce n’est pas la première fois, loin de là, que des journalistes, membres de la classe politique, ou militants associatifs, déplorent la très faible couverture médiatique des sujets européens. En février dernier, une étude commandée par le Mouvement Européen, en partenariat avec les Jeunes Européens, a montré que 33% des Français se sentait « bien informé sur les questions européennes », et seulement 3% « très bien informé ». L’année dernière, la fondation Jean Jaurès a estimé que les sujets européens ne représentaient que 3% du temps d’antenne à la télévision et à la radio. Quand on sait que ces deux médias sont les principaux moyens d’informations des citoyens français, on peut s’imaginer à quel point cela est préoccupant.
Contactée par Le Taurillon, Véronique Auger, l’une des signataires et initiatrice de la tribune, affirme que cette tribune est destinée à la fois au CSA et à Clément Beaune, le nouveau secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, une personnalité proche du Président Emmanuel Macron. Pour la présidente de l’Association des Journalistes Européens, il est en effet grand temps d’agir : « cette tribune fait suite à un coup de gueule poussé à la suite du discours sur l’État de l’Union prononcé par la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Aucun grand média n’avait retransmis ce discours, que ce soit en direct, en différé, ou en extraits. Ce coup de colère avait été relayé par Clément Beaune, mais également par le porte-parole du Parlement européen ».
Une bonne couverture médiatique des thématiques européennes est de toute manière un devoir pour tout journaliste, « le rôle des médias est de rendre compte de ce qu’il se passe dans le monde et ayant une influence sur la vie des citoyens. Les journalistes doivent donc couvrir de la même manière les élections européennes et américaines » poursuit la journaliste. Force est de constater toutefois que ce devoir est loin d’être totalement rempli, raison pour laquelle de nombreuses tribunes ont déjà été publiées sur ce manquement de plus en plus préoccupant.
Propositions concrètes
Toutefois, la dernière lettre ouverte ne fustige pas uniquement la situation, mais propose également des solutions concrètes. « Nous proposons aux acteurs concernés par ce dossier d’entreprendre une série d’actions destinées à améliorer la couverture des enjeux européens. Et ce, en vue d’accomplir des progrès concrets d’ici à la présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 […] Nous encourageons le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de la Culture à proposer un « Pacte pour la visibilité de l’Union européenne » au secteur audiovisuel public […] En parallèle, nous appelons le CSA à se saisir du dossier au titre de sa mission de déontologie de l’information. l’instance est en mesure d’imaginer une initiative pour encourager la progression des diffuseurs en ce qui concerne la visibilité de l’actualité européenne dans leurs journaux télévisés ».
Des actions particulières sont également demandées concernant les correspondants, rouage indispensable au traitement de l’actualité européenne, « nous appelons l’État à accompagner les médias pour favoriser l’emploi de correspondants en charge du suivi des institutions européennes. Un espace de co-working soutenu financièrement par les pouvoirs publics pourrait utilement rassembler les reporters de l’ensemble des rédactions françaises actives à Bruxelles et à Strasbourg ».
A l’instar de ce qui a été fait pour l’égalité femme-homme ou les territoires d’Outre-mer, le CSA doit donc mettre des moyens à disposition pour encourager la couverture des sujets européens, notamment en vue de la Présidence française du Conseil de l’UE, assurée au premier semestre de 2022. Une présidence d’autant plus décisive d’un point de vue médiatique qu’elle se situera en pleine campagne pour les élections présidentielles françaises. Face à une campagne présidentielle régulièrement qualifiée de « cirque électoral », il est assez peu probable que les questions européennes soient particulièrement exposées dans les médias à ce moment-là. Véronique Auger se montre à la fois confiante et prudente toutefois, « dans cette tribune, on se permet désormais de faire des propositions très concrètes qui pourraient être appliquées, du moins je l’espère ».
L’indépendance éditoriale remise en cause ?
Si cette tribune se démarque en proposant des solutions concrètes, ce sont précisément ces propositions qui interrogent une partie de la profession. Lionel Jullien, directeur du bureau de Bruxelles de la chaîne franco-allemande ARTE, craint qu’une « ingérence » de l’État et du CSA ne remette en cause l’indépendance éditoriale des médias. L’idée de l’espace de co-working ne fait pas non plus l’unanimité. « Pourquoi vouloir rassembler tous les correspondants français à Bruxelles dans un même endroit, alors que la richesse même de cet environnement est la facilité avec laquelle un journaliste français peut parler avec des confrères qui viennent de toute l’Europe » affirme Lionel Jullien.
A l’issue de ces critiques, l’AJE et le Mouvement Européen ont tenu à clarifier ces quelques points. Pour eux, la lettre ouverte ne demande nullement que l’État, via le CSA, n’intervienne directement dans l’activité des médias, au détriment de l’indépendance éditoriale. De même, il y aurait une incompréhension concernant les journalistes français à Bruxelles. La création d’un espace commun à Bruxelles serait destiné aussi aux envoyés spéciaux basés habituellement à Paris et dans les autres régions, et permettrait une meilleure couverture des affaires européennes, en particulier durant la présidence française de 2022.
La tribune montre toutefois qu’une synergie entre l’information et l’enseignement est indispensable. Une synergie que Véronique Auger a tenu à rappeler « le rôle des médias est d’informer sur ce qu’il se passe dans le monde ayant potentiellement un impact sur la vie des citoyens. La vulgarisation de ces enjeux, et a fortiori des enjeux européens, est du ressort des émissions comme Avenue de l’Europe, mais aussi de l’enseignement public et privé, et des professeurs. Un jour, Catherine Lalumière, une grande dame de l’Europe, m’a dit « Vous savez, au XIXème siècle, les petits Français ne naissaient pas Républicains. Ce sont les instituteurs qui les ont rendus Républicains ». L’école peut jouer ce rôle, via les cours d’éducation civique, pour que les élèves français soient sensibilisés à la géographie ou aux institutions européennes, a minima ».
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