Fabrication de voitures électriques : quelle place pour la politique industrielle européenne ?

, par Allan Malheiro

Fabrication de voitures électriques : quelle place pour la politique industrielle européenne ?

Au début de l’année 2023, le Conseil de l’Union Européenne (qui réunit les ministres des États membres) valide le projet de loi européen pour l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en 2035. Une loi qui a une importance capitale : dans 12 ans, les ventes de voitures à moteur thermique (qui représentent encore 85 % des ventes actuellement, bien que cette part soit en constante diminution) devront être substituées par d’autres véhicules, notamment électriques.

Une grande avancée écologique (même si les véhicules électriques ne le sont pas totalement, ils restent en moyenne moins polluants que les véhicules thermiques) qui pose aussi de nombreux défis à l’industrie automobile.

Une industrie européenne loin d’être sans atouts

L’Union européenne dispose cependant d’une industrie non négligeable dans le domaine des voitures électriques : environ 68 % des voitures électriques vendues dans l’Union européenne sont produites par des constructeurs européens (67 % pour les États-Unis et 81 % pour la Chine), la même proportion que pour les voitures classiques. L’Union européenne n’a donc pas l’air particulièrement en retard sur les voitures électriques, notamment portée par l’Allemagne. De plus, contrairement aux apparences, sur les 25 groupes qui ont vendu le plus de véhicules électriques en 2023, Tesla n’est que le 21e (malgré le succès de la Tesla Model Y). Un seul groupe chinois en fait partie, MG (basé à Londres) se classe juste devant en 20e position. L’UE reste également championne des exportations de véhicules électriques en valeur avec plus de la moitié du marché mondial (surtout avec l’Allemagne) contre 21,5 % pour la Chine et seulement 6,2 % pour les États-Unis.

Des fragilités au niveau de la production face à la Chine

En voyant la situation globale, on pourrait se dire que tout va bien... pour l’instant. La Chine, par exemple, pourrait devenir un compétiteur sérieux avec plusieurs avantages :

  • un énorme marché pour les véhicules électriques : 65 % des ventes de véhicules électriques sont réalisées dans ce pays, avec une forte croissance ;
  • un développement des infrastructures pour véhicules électriques : plus de 2 fois plus de bornes de recharges que le reste du monde ;
  • une production élevée : la Chine a produit 44 % des véhicules électriques fabriqués sur la décennie 2010-2020 (même si la valeur totale est moindre que celle des véhicules créés en Allemagne, elle en a produit une quantité plus grande) ;
  • une large gamme de voitures électriques : de la Mini EV à 4 000 € à des modèles Nio ES8 à 70 000 € ;
  • une main d’œuvre peu chère, ayant pour conséquence que la Chine concentre non seulement la production d’entreprises chinoises mais aussi la production d’entreprises européennes disposant d’usines en Chine.

Il est possible de se retrouver dans une situation similaire aux équipementiers télécoms au début des années 2000 : des sociétés européennes comme Alcatel, Nokia, Siemens ou Ericsson dominaient le marché, mais l’arrivée de compétiteurs chinois comme Huawei ou ZTE les a considérablement affaiblis.

Un manque d’indépendance sur la production de batteries

Un autre avantage considérable de la Chine est sa position dominante sur les batteries et matières premières : voilà sûrement la faiblesse principale de l’Union Européenne. En juin 2023, la Cour des comptes européenne tire en effet la sonnette d’alarme sur la production européenne de batteries : celle-ci est largement en retard sur la Chine, car Pékin concentre 76 % de la capacité de production de batteries contre 7 % pour l’UE (sur les 10 plus grands producteurs de batteries, tous sont asiatiques : 6 chinois, 3 coréen et 1 japonais). Donc, même si un véhicule électrique est fabriqué dans l’UE, sa batterie (qui représente 30 à 40 % de sa valeur) est très probablement produite en Chine. En plus d’être une importation faisant perdre de l’argent, cela signifie qu’en théorie, en coupant l’exportation de batteries à l’UE, la Chine pourrait potentiellement tuer dans l’œuf son industrie de voitures électriques.

À côté de ce problème de production de batteries, l’UE importe 78 % des matières premières nécessaires à leur production à un petit nombre de pays avec qui elle ne dispose pas d’accords de libre échange. Ainsi, même si l’UE arrive à améliorer sa production de batteries (qui pourrait, selon le rapport, passer de 44 gigawatts à 1200 avec une politique européenne ambitieuse ; la Commission prévoit 550 gigawatts pour l’instant), elle aura à garantir ses approvisionnements en matières premières car il est estimé que « la pénurie mondiale [de matières premières nécessaires à la fabrication de batteries] se fera véritablement sentir d’ici à 2030, date à laquelle la majeure partie de la capacité de production de batteries de l’UE deviendra opérationnelle », selon Annemie Turtelboom, rédactrice du rapport.

Enfin, l’exploitation des gisements de lithium au Portugal et en France pourrait jouer un rôle important, mais il reste encore des problèmes écologiques. De toute façon, même si les gisements étaient commencés maintenant, il faudrait attendre 12 à 16 ans avant qu’ils soient opérationnels. Enfin, bien qu’ils puissent répondre à l’intégralité des besoins européens actuels en lithium, l’UE (si sa stratégie de batteries électriques fonctionne) aura besoin de 18 fois plus de lithium pour 2030, selon la Commission européenne.

Un manque de pure players face aux États-Unis

L’Europe manque également de pure players (entreprises faisant uniquement des voitures électriques) dans ce domaine : les États-Unis ont par exemple Tesla (et d’autres entreprises plus mineures comme Rivian ou Lucid Group), la Chine a BYD (et d’autres entreprises comme Nio, Li Auto ou Xpeng) alors que l’Europe n’en a presque pas (Polestar étant une des rares exceptions).

Ces entreprises pure players étrangères ont aussi un avantage de taille par rapport aux constructeurs européens : elles ont accès à un capital bien plus élevé : en 2021, alors qu’elles ne représentaient que 1 % des voitures vendues, elles avaient 45 % de la capitalisation boursière de l’industrie automobile (Tesla valait en 2021 plus que Toyota, Volkswagen, BYD, Ford, Stellantis ou Honda en capitalisation boursière !).

Une politique industrielle qui se met en place

Développer une production de batteries

Bien que jugée insuffisante sur certains points par le rapport de la Cour des Comptes européennes, la politique industrielle de l’UE sur les véhicules électriques s’améliore. Pour lutter contre le manque de producteurs de batteries, quasiment chaque semaine, une nouvelle giga-usine de batteries est annoncée en Europe.

La Commission a également prévu d’augmenter les investissements européens dans les batteries et permet aux États membres d’investir plus facilement dans la construction de gigafactories. Un investissement vital puisqu’en 2022, près des 3/4 des investissements dans la production de batteries étaient réalisés en Chine. Cependant, il faudra également se distinguer par rapport aux Américains qui ont prévus près de 22 milliards de dollars pour supporter la production de batteries : en partie à cause de cette politique protectionniste, Italvolt, qui envisageait construire sa gigafactory près de Turin, l’a construite en Californie ; Northvolt a remis en cause ses projets de gigafactory en Allemagne ; et Volkswagen a mis en pause ses projets de gigafactories en Europe, dans l’attente d’une réponse européenne.

Améliorer ses approvisionnements en matières premières

Face aux problèmes d’approvisionnement en matières premières, la Commission annonce qu’elle entend renforcer la résilience des chaînes de valeur des matières premières en recensant les partenaires stratégiques internationaux. Cela signifie qu’elle veut suivre la recommandation du rapport de faire des accords internationaux pour assurer son approvisionnement en matières premières stratégiques.

Le gouvernement français semble quant à lui être favorable à une exploitation du lithium sur son territoire. La ministre de la Transition énergétique Barbara Pompili avait notamment déclaré en 2022 que « la France doit extraire du lithium sur son territoire », une déclaration suivie par plusieurs sociétés qui ont proposé leurs projets. Au total, les projets européens d’exploitation de lithium pourrait concerner près de 250 kilotonnes, un chiffre correspondant seulement à 2 ou 3 ans de production mondiale au rythme actuel.

Développer l’achat de véhicules électriques made in Europe

Pour les aides financières à l’achat d’un véhicule électrique, des États membres de l’UE commencent à rivaliser timidement avec les États-Unis (qui accordent un bonus de 7 500 $ selon leur plan d’investissement) :

  • à partir du 1er janvier 2024, en France les voitures électriques produites en Europe pourrait bénéficier d’une aide de 5 000 €, voire de 7 000 € pour les foyers les plus modestes ;
  • en Allemagne, un bonus de 4 500 € sera accordé si la voiture électrique achetée (produite en Europe) vaut moins de 40 000 €, et de 3 000 € si elle vaut plus.

Enfin, la Commission européenne vient d’ouvrir en septembre une enquête sur des cas de dumping (concurrence déloyale) de la Chine, qui subventionne massivement ses constructeurs électriques... Cela pourrait aboutir à l’exclusion des véhicules électriques chinois des subventions. Une initiative qui pourrait profiter à l’industrie automobile européenne, mais qui n’est pas tout à fait complète car le dumping américain reste lui aussi important.

Une industrie européenne qui a les moyens de se défendre mais doit être massivement soutenue

Malgré des avantages, l’industrie européenne (et peut-être également l’industrie américaine, même si les subventions actuelles peuvent faire pencher la balance) risque de pâtir de la compétition chinoise. La stratégie industrielle européenne est considérée par beaucoup comme un pas en avant, qui reste toutefois insuffisant en ce qui concerne les investissements sur les batteries, les matières premières ou la nécessité de se distinguer par rapport à des investissements chinois et américains colossaux dans ce domaine. En tout cas, rivaliser à 27 plutôt que seul face aux géants chinois et américains est sûrement le meilleur premier échelon pour mener une stratégie ambitieuse. À voir si celle-ci le deviendra : avec la transition écologique, l’avenir du transport par voiture sera plus écologique, ou ne sera pas... Il vaut donc mieux que l’Europe se fasse une place !

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