Pouvez-vous nous décrire la nature du Mouvement fédéraliste mondial quand vous avez commencé votre travail en tant que directeur exécutif ?
Le Mouvement fédéraliste mondial était un ancien mouvement pour la paix basé sur la prévention de la troisième guerre mondiale en essayant de réformer la Charte de l’ONU afin d’obtenir la primauté de la loi sur l’utilisation de la force militaire et le nationalisme extrême. En 1946, de nombreuses personnes avaient vécu deux des plus grandes guerres internationales de l’histoire, et de nombreux universitaires, dont Einstein, pensaient que la communauté de l’après-guerre avait 5 ou 10 ans pour prévenir la troisième guerre mondiale. Ainsi, alors qu’il y avait suffisamment d’armes pour détruire la planète mille fois, la question était de savoir comment y faire face. Et c’était la cause essentielle du WFM.
J’ai commencé comme secrétaire général de l’organisation, puis en avril 1994, j’en suis devenu le directeur exécutif. À l’époque, nous n’avions qu’un petit bureau à Amsterdam, qui organisait les réunions de direction pour le Comité exécutif et le Conseil, mais ne disposait pas d’un véritable personnel chargé des programmes. L’organisation comptait quelques milliers de membres, principalement aux États-Unis et en Europe. Il n’y avait aucune participation d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie. Aujourd’hui, entre ses différents programmes (dont la Coalition pour la CPI et la Coalition pour la responsabilité de protéger), nous avons pu étendre ce réseau à plus de 2 500 organisations membres de plus de 150 pays.
Je prends ma retraite à un moment où ces questions de « Pourquoi la guerre ? » sont plus intenses qu’elles ne l’ont été probablement au cours des 30 ou 40 dernières années.
Quelle était votre motivation pour poursuivre une carrière dans le domaine des Droits de l’Homme et de la justice internationale ?
J’ai résisté à l’appel au Vietnam et je suis devenu obsédé par la compréhension de l’institution de la guerre. Je me souviens très bien d’avoir été dans une bibliothèque de Denver et d’être tombé sur le livre Einstein on Peace, une biographie de 500pages sur la lutte d’Einstein pour comprendre la question « Pourquoi la guerre ? » Il pensait que la voie à suivre pour faire face à la guerre était celle des fédéralistes mondiaux. (...)
Pourriez-vous partager certains de vos premières expériences de travail sur le terrain ?
Mon premier véritable emploi a été de travailler dans l’ouest, dans les montagnes Rocheuses, sur l’environnement et les questions de désarmement au niveau local. Ma première expérience internationale a eu lieu en 1988, lorsque j’ai été embauché par Amnesty International États-Unis pour participer à une initiative appelée Human Rights Now, qui était une tournée Rock and Roll pour promouvoir le 40ème anniversaire de la Déclaration des droits de l’Homme. Il s’agissait d’une expérience extraordinaire pour voir comment relativement peu de gens pouvaient organiser quelque chose qui pouvait faire bouger des centaines de milliers de personnes dans une inspiration politiquement importante sur les droits.
Cette idée a vraiment joué un rôle clé dans l’activation du WFM, en montrant que quelques organisations seulement pouvaient vraiment faire la différence. Des années plus tard, le WFM a joué un rôle essentiel dans la campagne 1 pour 7 milliards, l’Appel de La Haye pour la paix, la campagne UN2020 à l’occasion du 75ème anniversaire de la Charte.
Qui sont les trois personnes avec lesquelles vous avez travaillé que vous admirez le plus ?
Bien qu’il soit controversé, Kofi Annan a été un secrétaire général très important, avec qui j’ai eu la chance de développer à la fois une relation professionnelle et personnelle. Bien que son héritage soit toujours débattu, je pense qu’il était déterminé à s’opposer aux grandes puissances et à la corruption des principes énoncés dans la Charte.
Travailler avec Silvia Fernández de Gurmendi au cours des 25 dernières années a été incroyablement gratifiant. D’abord en tant que leader dans le processus visant au Statut de Rome (de la CPI), comme membre de l’équipe pionnière pour la Cour puis comme présidente et enfin un juge de la Cour.
Enfin, en tant que personne non gouvernementale, M. Benjamin Berell Ferencz, le dernier procureur survivant du tribunal de Nuremberg, qui s’est inlassablement battu pour les principes du fédéralisme mondial, l’interdiction de la guerre et la reconnaissance du crime d’agression. Il est difficile de retenir trois personnes parce qu’il y en a certainement beaucoup, mais ce sont trois qui ont été très inspirantes.
Vous êtes arrivé à l’organisation après avoir joué un rôle clé dans les préparatifs de la société civile pour le Sommet de la Terre de 1992. Quels ont été les principaux jalons de la croissance de l’organisation entre cette date et aujourd’hui ?
Je travaillais pour le Sommet de la Terre en tant que membre du Centre pour le développement du droit international (CDIL), qui a été plus tard intégré au WFM en tant qu’organisation de soutien lorsque j’en suis devenu le directeur exécutif. On m’a demandé de présider un groupe de travail sur les questions juridiques et institutionnelles, concentré sur l’aspect de la mise en œuvre des résultats du Sommet de la Terre. Nous voulions voir le programme environnemental de l’ONU devenir une organisation environnementale des Nations Unies. Le point de vue était que les deux tiers de la terre n’appartenant à aucun État-nation, le renforcement de la gouvernance internationale viendrait donc du monde de l’environnement.
Depuis lors, je crois que le principal jalon de l’organisation a été le renforcement de l’architecture de la paix et des droits de l’Homme de l’ordre juridique international, notamment en ce qui concerne les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et les avancées sur le crime d’agression. Nous avons pu le faire en créant des relations et en développant la synergie avec les différents groupes de défense des droits de l’Homme et les groupes environnementaux.
Vous étiez présent lors de la signature du Statut de Rome, le traité qui a établi la Cour pénale internationale il y a 20 ans. Comment était-ce ?
Je crois que le Times of India l’a qualifié d’une « législation internationale aux proportions historiques, ». Il s’agissait d’une des plus grandes avancées de la politique internationale et le plus grand espoir de paix de ces temps. Lorsque la décision d’adopter, et de rejeter les efforts de l’Inde et des États-Unis visant à bloquer le Traité, a été connue, il y a eu un tonnerre d’applaudissements émotionnels pour environ 25 minutes.
Ceux qui étaient là ont contribué à écrire l’histoire. Bien que l’héritage de ce que nous avons réalisé avec le Statut de Rome soit encore en cours de détermination, je pense qu’il s’agit de l’un des traités les plus solides adoptés par les gouvernements au sein de l’Assemblée générale, et qui, je crois, a un potentiel extraordinaire pour promouvoir la paix dans le monde.
Quels sont les principaux succès que vous pouvez souligner de votre mandat au WFM ? Quels sont les échecs que l’organisation a connus ?
La plus grande réussite a été de pouvoir passer d’une organisation de 3 employés et un budget de 100 000 dollars à une organisation avec plusieurs bureaux régionaux, un effectif de 40 personnes, des centaines de stagiaires et de bénévoles et un budget qui a culminé à 4,5 millions de dollars. Lorsque je suis devenu directeur exécutif, je tenais à développer des réseaux et des campagnes stratégiques, qui se sont concentrés sur différents aspects qui étaient inclus dans le fédéralisme mondial.
Le WFM a réussi à accomplir cela en construisant son réseau et en établissant ses différentes campagnes, dont celle de l’Appel de La Haye pour la paix et la campagne 1 pour 7 milliards, et à travers ses différents programmes, notamment la Coalition pour la responsabilité de protéger et la Coalition pour la lutte contre le crime international qui travaillent collectivement au renforcement du droit international et des droits de l’Homme.
L’échec regrettable est que le WFM n’a pas a été en mesure de maintenir ses différents programmes. La combinaison de l’effondrement financier de 2008 et le retrait du soutien politique à de nombreux de nos projets ont eu pour conséquence que le WFM a dû faire de plus en plus avec de moins en moins.
Quelle a été la décision la plus difficile que vous ayez dû prendre pendant votre mandat au sein du mouvement ?
Les décisions les plus difficiles ont été prises au cours des deux dernières années, avec la transition de la nouvelle direction tant au sein de notre organisation qu’au sein de la sphère politique. C’est une période très douce-amère pour prendre du recul par rapport à ma position dans un monde où le gouvernement américain et tant d’autres gouvernements abandonnent les éléments les plus progressistes de l’ordre juridique de l’après-guerre au profit d’un leadership autocratique. Mais j’espère que le WFM sera capable de traverser les différentes transitions et d’en sortir plus fort.
L’organisation a accueilli un nouveau directeur exécutif (Sandra Coyle, ndlr du Taurillon) qui apporte des compétences uniques qu’aucun directeur du WFM n’a jamais eues. Je pense que les femmes fortes qui ont été élues à des postes de direction dans l’organisation seront une autre force de cette période de transition. On m’a demandé de présider un groupe de travail sur les questions juridiques et institutionnelles, concentré sur l’aspect de la mise en œuvre des résultats du Sommet de la Terre.
Pour l’avenir, quels sont les principaux défis pour l’organisation ?
La vérité est que nous avons eu plus de propositions de réforme de la Charte des Nations Unies que de membres. Nous avons eu plus de propositions sur ce à quoi ressemble le fédéralisme mondial et beaucoup d’entre elles s’annulent les unes les autres. L’un des principaux défis de l’organisation a été de développer une vision claire de ce que nous voulons et de la manière dont nous le voulons, ce qui est plus important que jamais.
Pour l’avenir, il sera vital de disposer d’un plan stratégique clair et de continuer à renforcer le soutien à notre vision de la démocratie internationale et des principes démocratiques. Je dois espérer que nous pourrons survivre aux tempêtes induites par la régression politique.
En tant qu’initié de longue date, quels sont les enjeux dans le domaine du droit international et de la paix mondiale qui ne sont pas reconnus dans les médias grand public ou enseignés dans les universités ?
Le « comment » est plus important que le « quoi ». Il est important d’avoir les objectifs que vous voulez que les Nations Unies et la communauté internationale adoptent, mais c’est la façon dont vous atteignez ces objectifs qui détermine tout le reste. Je pense que les médias et le monde universitaire ont échoué lamentablement à comprendre comment les organisations internationales fonctionnent et comment la démocratie internationale peut être réalisée.
Quels conseils donneriez-vous aux plus jeunes générations qui font carrière dans ce domaine ?
Je lirais Einstein on Peace et L’anatomie de la paix d’Emery Reves. Mais je pense que la meilleure façon de s’informer sur le sujet est d’être en son sein. S’engager en tant que stagiaire, volontaire dans le domaine afin que vous puissiez vous renseigner sur l’action des organisations internationales et l’immense travail qu’elles font pour améliorer notre monde. Je vais terminer en partageant un court mantra : « La race humaine doit faire la paix avec elle-même, avec le reste de la vie sur cette planète, pour cette planète ». Je crois que notre mouvement pour la paix partage les principes du fédéralisme, qui nous donnent les outils juridiques pour le faire.
Autre chose à ajouter ?
Toutes les grandes réalisations proviennent de quelques personnes qui travaillent ensemble et c’est quelque chose qui est au cœur de notre organisation. J’espère que nous pouvons profiter de cette dynamique pour réaliser le premier objectif du préambule de la Charte des Nations Unies, et « sauver les générations suivantes du fléau de la guerre ».
Bill Pace a été directeur exécutif du Mouvement fédéraliste mondial-Institut pour une Politique globale (WFM-IGP) de 1994 à 2019. Il a été coordinateur de la Coalition pour la CPI depuis sa fondation en 1995 et est co-fondateur et membre du Comité directeur de la Coalition internationale pour la responsabilité de protéger. Il s’est engagé pour la justice, l’État de droit, le droit de l’environnement, et les droits de l’Homme depuis 30 ans. Il a précédemment été secrétaire général de l’Appel de la Haye pour la paix, directeur du Centre pour le développement du droit international, et directeur de la section Relations des Concerts pour les droits de l’Homme à Amnesty International, entre autres. Il est président du conseil d’administration du Center for United Nations Reform Education et membre du conseil consultatif de la One Earth Foundation, ainsi que co-fondateur du comité directeur des ONG pour la Commission du développement durable des Nations Unies et du groupe de travail des ONG sur le Conseil de sécurité des Nations Unies. Il a reçu la médaille William J. Butler pour les droits de l’Homme du Urban Morgan Institute for Human Rights et est actuellement boursier de la Fondation Ashoka.
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