Fermeture des frontières : retour à la case départ ?

Article paru à l’origine dans le Taurillon en Flam’s (n°18 / Septembre - Novembre 2020)

, par Clément Maury

Fermeture des frontières : retour à la case départ ?
Les drapeaux suisse, français et allemand à Weil am Rhein, du côté helvétique du point où se rejoignent les frontières des trois pays. Photo : Pikist

La fermeture des frontières entre la France et l’Allemagne de mars à juin a été vécue comme un traumatisme par de nombreux habitants de cet espace de vie commune mais également par les milieux économiques et politiques locaux, impuissants.

Cet été, d’Angela Merkel à Emmanuel Macron en passant par Horst Seehofer, le Ministre allemand de l’Intérieur, l’affaire semblait entendue : la fermeture unilatérale et subite des frontières en mars dernier avait eu des conséquences délétères. « Nie wieder - Plus jamais ça ». Alors que les signaux d’une reprise de l’épidémie en Europe occidentale se font de plus en plus alarmants, la région Grand Est, première à être déclarée « Risikogebiet » (zone à risques) par le Robert Koch Institut (RKI) en mars dernier, bénéficiait jusqu’à ces derniers jours d’un statut privilégié. Même exception côté helvétique, le Conseil fédéral a tranché le 11 septembre : les frontaliers français ne seront pas contrôlés. Un choix politique et économique bien plus que sanitaire de l’aveu même des autorités suisses.

Les dessous d’un choix politique

Cet état de grâce s’est prolongé jusqu’au mercredi 14 octobre où les réseaux transfrontaliers ont recommencé à bruisser de rumeurs, démenties puis partiellement confirmées, de la fin de l’état de grâce de la Région Grand Est selon les critères du renommé RKI entraînant automatiquement une mise en quatorzaine automatique pour tout franchissement de la frontière franco-allemande. Le signal était donné pour une nouvelle ruée, un rien pathétique, vers les supermarchés allemands et les rayons de papier hygiénique comme six mois auparavant. Finalement, sous la pression de la Sarre, résolument francophile, des mesures dérogatoires ont été adoptées pour les trois Länder concernés permettant notamment aux habitants des régions frontalières de se rendre sur le territoire allemand pour une durée de 24h sans justificatif.

Un compromis acceptable, pourrait-on estimer, au regard du marasme du printemps dernier. En effet, l’immense majorité des flux frontaliers (travail, achats, études, …) pourraient être qualifiés de mobilité ponctuelle à fort intérêt économique ce qui explique que les représentants des salariés comme des employeurs se soient prononcés en faveur de telles exceptions. En renonçant à rétablir des barrières aux frontières nationales, les exécutifs nationaux ont donc semblé sensibles aux arguments des autorités locales qui avaient semblé incapables de faire entendre leur voix en mars face au pouvoir régalien et à l’urgence de la situation. Est-ce pour autant pleinement satisfaisant ?

Le risque, c’est les autres ?

Alors que tous les indicateurs sanitaires sont au rouge côté français et s’en approchent dangereusement outre-Rhin, le discours politique se fait de plus en plus alarmiste tandis que les mesures se multiplient : limitation des regroupements, instauration de couvre-feu à l’échelle départementale, reconfinements localisés, … Sans prétendre juger de l’efficacité actuelle ou future de ces dispositions, il est tout d’abord important de saluer l’approche, désormais (dé)localisée, adoptée par les autorités françaises qui avaient procédé jusqu’alors à des mesures nationales. Pour autant, la logique reste sensiblement la même : les zones à risques et fermetures d’opèrent majoritairement avec « l’étranger » et non vis-à-vis d’un territoire, indépendamment de son appartenance nationale.

De nombreux gouvernements européens ont pourtant prétendu gérer cette crise selon des critères sanitaires objectifs. Ceux-ci appliqués en toute transparence, à l’ère de la post-vérité, permettent une compréhension facilitée par les citoyens des choix opérés. Ainsi, dans cette logique, suspendre provisoirement, mais brutalement, les contacts entre régions européennes interconnectées n’a de sens que sur la base d’une telle analyse. Tout autre choix est alors politique et sous-tend un raisonnement dangereux : le danger vient de l’extérieur, de l’Autre.

Pour l’heure, les frontières ne sont pas formellement fermées, ce qui est un geste à saluer : briser la spirale de la méfiance est un premier pas. Mais l’Europe ne signifie pas tant l’absence de conflit que la coopération. Quand la fermeture unilatérale des frontières au printemps avait cruellement souligné les défaillances européennes, les transferts de patients français vers l’Allemagne, le Luxembourg ou l’Autriche avaient maintenu allumé la flamme de la solidarité européenne. Cette deuxième vague de l’épidémie permettra-t-elle de franchir durablement cette nouvelle étape cruciale d’une communauté de destins entre des territoires interdépendants ?

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom