Fête ou fléau ? La double vie de l’alcool en Europe

, par Chrystel Andriantsilavo, Le Courrier d’Europe

Fête ou fléau ? La double vie de l'alcool en Europe

Des vignes du sud de la France aux pubs irlandais, en passant par les distilleries d’Écosse, l’alcool fait partie intégrante des traditions et des moments de convivialité dans la culture européenne. Entre la douce euphorie qu’il promet et les abysses dans lesquels il peut plonger, il existe une zone trouble, une ligne fine que beaucoup franchissent sans s’en apercevoir : celle de l’alcoolisme.

Un continent enivré : la consommation d’alcool en Europe

L’Union européenne est la région du monde qui consomme le plus d’alcool par habitant. En 2020, la consommation moyenne d’alcool pur par personne dans l’UE était d’environ 11,5 litres par an - soit presqu’un litre d’alcool pur par Européen chaque mois ! Et pour les jeunes, la fête est souvent à son comble. L’alcoolisme banalisé chez les jeunes est effectivement devenu une réalité alarmante, souvent perçue comme une simple facette de la culture festive européenne. Dans de nombreux cercles, l’usage excessif de l’alcool est trivialisé, voire glorifié.

C’est presque comme si l’on avait réécrit le manuel de la jeunesse : « Comment passer une soirée inoubliable… jusqu’à ce que vous ne vous souveniez de rien ! » Les jeunes, en quête de sensations fortes et d’appartenance, se retrouvent souvent à franchir cette ligne invisible entre le plaisir et la dépendance. Environ 5 à 10 % des adolescents qui consomment régulièrement de l’alcool développent une forme de dépendance, selon diverses études. L’OMS indique que la consommation excessive et répétée peut entraîner une tolérance à l’alcool, des symptômes de sevrage, et finalement une dépendance physique et psychologique.

Des études montrent qu’environ 29 % des jeunes Européens âgés de 15 à 24 ans admettent avoir pratiqué le binge drinking (défini comme la consommation de cinq verres ou plus en une seule occasion) au moins une fois par mois. Cette normalisation contribue à créer un environnement où la consommation excessive d’alcool est non seulement acceptée, mais attendue lors d’événements sociaux tels que les fêtes étudiantes, les festivals et les soirées.

En conséquence, l’alcool, loin d’être considéré comme un danger, est devenu un élément de socialisation. Cette banalisation des comportements à risque peut avoir des conséquences dramatiques, non seulement sur la santé physique et mentale des jeunes, mais également sur leurs relations, leur réussite scolaire et leur avenir. Une étude publiée en 2017 dans le American Journal of Preventive Medicine, révèle que les étudiants qui se livrent à des comportements de binge drinking présentent des résultats académiques inférieurs et un taux de décrochage plus élevé. Les chercheurs ont constaté que la consommation excessive d’alcool entraîne non seulement des absences en classe, mais affecte également la capacité des étudiants à assimiler les informations, ce qui nuit à leur réussite scolaire à long terme.

Pour prévenir les risques liés à la consommation d’alcool chez les jeunes, une initiative européenne importante a été lancée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avec le soutien de la Commission européenne : le projet EVID-ACTION (Evidence into Action Alcohol Project). Ce projet, qui a démarré en 2022 avec un financement de 10 millions d’euros, vise à renforcer l’action politique sur les questions d’alcool et à protéger les jeunes des méfaits de la consommation d’alcool.

L’addition salée : un coût économique et social

L’alcoolisme, qu’il soit modéré ou sévère, a des répercussions profondes sur la santé publique. En Europe, l’alcool est responsable de plus de 200 000 décès par an, avec des maladies telles que les cancers (responsables d’environ 30 000 décès annuels), les maladies cardiovasculaires, et les maladies du foie, comme la cirrhose, qui fait près de 45 000 victimes chaque année. Par ailleurs, environ 6 000 décès par an en Europe sont directement liés à l’alcool chez les jeunes, et 20 % des accidents de la route impliquent des conducteurs sous l’influence de l’alcool.

À long terme, les jeunes qui consomment excessivement sont sept fois plus susceptibles de développer une dépendance à l’alcool à l’âge adulte. De plus, l’alcoolisme impacte les familles : environ 1 enfant sur 10 grandit dans un foyer où l’alcool est un problème, l’équivalent d’un élève pour chaque classe de l’école !

Les coûts liés à l’alcoolisme pour les systèmes de santé sont également extrêmement élevés, représentant environ 2 % du PIB de l’UE, soit plus de 155 milliards d’euros par an. Les pertes économiques ne se limitent pas aux soins médicaux. Les entreprises subissent également les conséquences de l’alcoolisme, avec des coûts liés aux accidents du travail et à l’absentéisme. Chaque année, l’UE perd environ 67,5 milliards d’euros en productivité en raison de l’absentéisme, des accidents du travail et des décès prématurés liés à l’alcool. Bien que certaines entreprises mettent en place des politiques de prévention, le problème persiste.

Vers un avenir plus sobre

Conscientes de l’ampleur du problème, les autorités européennes ont commencé à prendre des mesures pour lutter contre l’alcoolisme, en particulier chez les jeunes. Plusieurs campagnes de sensibilisation ont été lancées, visant à informer sur les dangers de l’alcool. Par exemple, la campagne « Drink Less, Live More » en Irlande a conduit à une réduction de 12 % de la consommation d’alcool en trois ans.

Des politiques de santé publique plus strictes sont mises en place dans certains pays. En Finlande, des restrictions sévères sur la vente d’alcool ont permis de réduire la consommation d’alcool de 10 % entre 2008 et 2018. L’augmentation des taxes sur l’alcool et l’interdiction de la publicité pour les boissons alcoolisées sont également des stratégies efficaces.

Cependant, ces mesures ne suffisent pas à elles seules. Il devient urgent de renforcer l’éducation autour de l’alcool et d’intégrer des programmes de prévention dès le plus jeune âge : en 2021, environ 70 % des jeunes Européens ont déclaré ne pas avoir reçu d’éducation suffisante sur la consommation d’alcool dans le cadre scolaire.

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