Football : le vieux continent bientôt dépassé ?

, par Jérôme Flury

Football : le vieux continent bientôt dépassé ?
En Chine, un stade de 100 000 places va sortir de terre et surpasser la capacité du plus grand stade d’Europe. Image : Free-Photos de Pixabay

Des coupes du monde qui s’exportent, un développement du championnat à vitesse rapide en Chine, une organisation européenne qui semble fatiguer… L’Europe va-t-elle perdre sa domination mondiale dans le domaine du football ?

Les Bleus ont ramené la Coupe à la maison. C’est à dire en Europe, continent sur lequel la coupe du monde est passée de mains en mains depuis 2006. Après le sacre italien et la réussite espagnole, ce fut au tour de l’Allemagne de rajouter un titre à son palmarès puis à la France, grâce à des victoires finales sur la Croatie et la Belgique, qui complètent le podium 2018. Le football semble plus que jamais une affaire d’Européens même si les sélections d’Amérique du Sud restent de solides rivales.

Ces succès acquis sur la scène internationale, les clubs aussi s’en font l’écho. Les vainqueurs de la « Ligue des champions », tournoi européen des villes grandement médiatisé, sortent fréquemment en tête des confrontations avec les champions des autres continents. Depuis 2007, les Européens ont gagné douze fois le « mondial des clubs », contre un seul trophée pour le reste de la planète !

Le football part en voyage

Pourtant, cet état de fait pourrait changer. La dynamique actuelle du football mondial penche en faveur de l’émergence d’autres régions. Et la fameuse Coupe du monde, vitrine du sport le plus célèbre de la planète en est un bon exemple. Ces dernières années, elle s’est tenue aux quatre coins de la planète. En Europe certes et plus précisément en Allemagne en 2006, mais également en Asie (Corée du Sud et Japon en 2002), en Afrique (Afrique du Sud 2010), en Amérique du Sud (Brésil 2014) et en Russie en 2018, avant de partir au Qatar en 2022 puis en Amérique (Canada, Mexique et Etats-Unis en 2026).

Or l’organisation d’un mondial n’a pas uniquement des impacts en termes de retombées financières. Elle pousse à une modernisation ou à une création d’infrastructures et a bien souvent un effet de levier sur le développement de la discipline dans le pays. Si entre 1958 à 1998, il y a eu une alternance pour accueillir la compétition entre le continent américain et le continent européen, cette nouvelle politique a permis de véritablement « mondialiser » la Coupe du monde. A terme, cela pourrait permettre à de nouvelles nations d’émerger sur la scène du football.

Trois des récents podiums de Coupes du monde, en 2006, 2010 et 2018, étaient 100 % européens. Toutefois, les dernières décisions de la FIFA (Fédération internationale de football association) devraient mathématiquement donner moins de chances aux Européens d’être aussi bien représentés dans le palmarès. Si jusqu’à présent les sélections issues de la zone de qualification d’Europe représentaient 13 des 32 pays présents au tournoi final, cela changera en 2026, avec 16 places sur les 48 prévues. Le ratio des nations européennes alignées parmi les partants tombera donc de 41 à 33 %, même s’il reste relativement élevé.

Mettre le paquet

Cela n’est ici qu’un chiffre, mais le volet des investissements est également intéressant. De plus en plus de pays mettent de l’argent pour développer ce sport et pour Jean-Christophe Gallien, politologue, « l’Europe doit encore une fois s’unir et répondre à ces défis » alors que les dépenses dans le football « croisent fidèlement les évolutions des rapports de forces géopolitiques et économiques entre blocs d’un monde globalisé et digitalisé ».

Si le cas du Qatar, dont la firme Qatar Sports Investments, a racheté le Paris Saint-Germain en 2011, a fait couler beaucoup d’encre, il n’est pas le seul Etat à sortir le carnet de chèques. Aujourd’hui, de plus en plus de joueurs européens terminent leur carrière dans des championnats du Golfe ou aux Etats-Unis, contre de juteux contrats.

Dans le pays de Donald Trump, si la « Major League Soccer » reste dans l’ombre du football « américain », les joueurs étrangers à y évoluer sont de plus en plus nombreux. A croire que David Beckham, passé par Los Angeles et qui est aujourd’hui à la tête d’un club nommé l’Inter Miami, a servi d’inspiration. Et alors que le pays s’apprête à accueillir le mondial 2026, il n’en fallait pas plus au commentateur français Christian Jeanpierre pour signer un roman nommé « 2026, le jour où le football est devenu américain ». Un livre dans lequel l’Inter Miami « vient de perdre en finale de la Coupe du Monde des clubs face au PSG ». Seulement de la fiction surréaliste ?

Au Japon, l’arrivée fracassante de la légende espagnole Andres Iniesta au sein du club de Vissel Kobe le 24 mai 2018 a mis les projecteurs sur un pays qui ne cache plus ses ambitions dans le domaine. En 2016, Perform Groupe a déboursé 200 millions de dollars pour l’exploitation des droits de la J-league pour la période 2017-2026, contre 47 millions de dollars pour le précédent contrat. Et cela a eu pour conséquence une augmentation en 2018 de 15% de la valeur des clubs.

Si l’Europe constitue encore pour le moment un modèle, celui-ci pourrait bien être adopté rapidement ailleurs. A la Fifa, Gianni Infantino s’est montré clair : « Nous voulons que les clubs européens se développent davantage, parce que c’est bon pour le football mondial, mais, en même temps, nous voulons voir les clubs de l’extérieur de l’Europe se développer également afin qu’un jour ils puissent rivaliser avec les clubs européens ».

La coupe du monde des clubs a rendu l’âme. Place au Championnat du monde des clubs. Si le nombre de participants varie du simple au triple, passant de 7 à 24, une chose ne change pas : il se déroulera hors d’Europe. Après le Brésil, le Japon, les Emirats arabes unis, le Maroc et le Qatar, [1] c’est… la Chine qui recevra cette nouvelle version, première édition.

La Chine, le futur du ballon rond ?

Impossible de ne pas l’évoquer. Le marché chinois est juteux. Et les grands clubs européens le savent. Depuis quelques années, les équipes européennes, comme Manchester United ou le PSG, n’hésitent plus à venir participer à des tournois de pré saison durant l’été, afin de vendre un maximum de maillot. Les championnats décalent exprès des matchs, afin de les adapter aux horaires de la Chine. La Ligue de football professionnel va même plus loin : le 3 août 2019, pour la deuxième année d’affilée, le Trophée des champions, match opposant le champion de France au vainqueur de la Coupe de France, s’est déroulé à Shenzhen, en Chine. Un choix complètement assumé, pour raisons financières.

La Chine se passionne pour le ballon rond et les raisons sont éminemment politiques. Xi Jinping a réservé au foot une place de choix dans son « Rêve chinois » et a émis en 2011 trois vœux : voir la Chine se qualifier pour la Coupe du monde, puis l’organiser et, si possible, la gagner. Le football est désormais obligatoire pour les enfants chinois.

L’argent est partout, et une chose a changé, comme le souligne Le Monde. « Voir des grands noms du football en Chine n’est pas une nouveauté. En 2012, déjà, Shanghai Shenhua pouvait se targuer de faire jouer Nicolas Anelka et Didier Drogba. Mais la Chine faisait alors figure de « maison de retraite », où les joueurs allaient finir leur carrière contre un gros chèque. Aujourd’hui, les stars achetées par les clubs chinois sont au pic de leur carrière : Gervinho a 29 ans, Teixeira 26 ans. »

Et la liste des joueurs de top niveau arrivés en Chine ces dernières saisons s’allonge. Marko Arnautović (arrivé à 30 ans), Cédric Bakambu (26 ans), Oscar (25 ans), Hulk, Graziano Pellè, Ramires, Axel Witsel, Jackson Martinez (tous arrivés à 29 ans), Yannick Carrasco (24 ans), Paulinho (26 ans), etc. Sans compter les entraîneurs étrangers aux CV bien ronflants qui débarquent sur les bancs.

Les dépenses sont aussi colossales en matière d’investissement. L’école de foot du leader du championnat, le Guangzhou Evergrande Taobao FC compte cinquante terrains, une piscine et un cinéma, un vrai campus qui accueille 2 800 élèves. Ces installations ont coûté 185 millions de dollars. Une goutte d’eau alors que la première pierre de son prochain stade a été posée jeudi 16 avril à Canton. L’enceinte futuriste aux allures de fleur de lotus a un coût estimé à 12 milliards de yuans (1,55 milliard d’euros) ! Et pouvant accueillir 100 000 spectateurs, plus que le Camp Nou de Barcelone, le plus grand d’Europe, il s’agira de l’un des plus grands complexes du monde et devrait être livré avant 2023, selon l’agence nationale de presse Chine nouvelle.

Si jusqu’ici les investisseurs étrangers continuent à s’intéresser à l’Europe (Manchester City, Malaga, Paris SG, Chelsea, Newcastle plus récemment), d’autres pays n’hésitent plus à poser les billets sur la table.

Le vieux continent usé

L’argent, nerf de la guerre. Et peut-être plus encore en football. En Europe, des idées ont émergé ces dernières années, comme celle d’une « Super league », entre les “gros” clubs, afin de préserver leur rang. Une stratégie conservatrice, qui illustre peut-être la pensée dominante sur le vieux continent. Et hors de question d’annuler pour le moment les compétitions européennes au programme cette saison, malgré la pandémie. L’Union européenne de football association (UEFA) n’a pas encore tranché.

Les conséquences de la pandémie actuelle de coronavirus pourraient être lourdes en Europe. « Souvent critiqué pour la place qu’il accorde à l’argent, le football européen n’échappe pas à la crise économique provoquée par le coronavirus. Les revenus divers – sponsoring, marketing, et surtout la billetterie et les droits TV – se sont brusquement arrêtés en même temps que les compétitions », rappelait RFI le 29 mars. « La crise frappe aussi les clubs. Plus rien ne sera comme avant, après cette année terrible », a reconnu Aleksander Ceferin, le président de l’UEFA, dans un entretien accordé au journal italien La Repubblica, le 28 mars.

A l’exception de la Biélorussie, tous les championnats nationaux ont été suspendus. L’incertitude est grande sur l’avenir et sur la manière de sortir de la crise. Alors que des initiatives émergent de la part de certains clubs et de joueurs qui donnent une partie de leur salaire ou acceptent de le baisser, le prix à payer reste énorme. De quoi accepter la venue de fonds d’investissement pour rebondir ?

Le coup est rude pour l’UEFA, qui compte 55 pays membres et qui a traversé plusieurs polémiques ces dernières saisons, comme la suspension de son président, Michel Platini pour violation du code d’éthique, pour avoir reçu 1,8 million d’euros de la part de l’ex-président de la Fédération internationale de football Sepp Blatter. L’instance européenne a tenté de lancer plusieurs propositions ces dernières saisons comme l’élargissement du Championnat d’Europe à 24 sélections en 2016 ou la création de la “Ligue des nations” pour donner plus d’enjeux à certaines rencontres amicales entre pays.

Mais l’UEFA est peut-être à l’image de l’évolution démographique de la planète. Aujourd’hui, le vieux continent vieillit. D’après les prévisions de l’ONU, neuf pays seront responsables à eux seuls de la moitié de la croissance mondiale d’ici 2050 : l’Inde, le Nigéria, le Pakistan, le Congo (RDC), l’Éthiopie, la Tanzanie, l’Indonésie, l’Égypte, les États-Unis. Autant d’Etats où l’accès au sport et au football pourrait permettre à de nombreux jeunes de percer. Si l’Europe est toujours maîtresse du jeu, les choses pourraient bien changer dans un futur pas si lointain.

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Notes

[1Le Brésil (2000), le Japon (2005 à 2008 puis 2011, 2012, 2015 et 2016), les Emirats arabes unis (2009, 2010, 2017, 2018), le Maroc (2013 et 2014) et le Qatar (2019 et 2020) ont successivement accueilli la compétition.

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