Gaza : l’impuissance coupable de l’Europe

Article paru à l’origine dans le numéro 189 de « Fédéchoses »

, par Fédéchoses, Jean-Guy Giraud

Gaza : l'impuissance coupable de l'Europe

Analyse initialement publiée sur le site des Amis tu traité de Lisbonne en trois parties, du 17 au 21 mai. Certains temps ont été modifiés avec l’accord de l’auteur que nous remercions.

L’UE comme l’ONU...

Il est frappant et navrant de constater que le « système européen » ne fonctionne pas mieux que le « système onusien ». Alors que le massacre de populations civiles (femmes et enfants compris) par des forces armées (très inégales) se poursuivait depuis six jours à Gaza (190 victimes dont 57 enfants) et en Israël (10 victimes dont 1 enfant) en violation de toutes les règles du droit international et humanitaire, ni le Conseil de sécurité de l’ONU ni le Conseil de Ministres de l’UE n’ont été capables de s’accorder sur la moindre initiative diplomatique susceptible, au moins, de permettre un arrêt des tueries.

Alors même que, dans une certaine mesure, l’UE aurait été mieux placée pour intervenir – du fait de son très important soutien matériel et financier aux populations palestiniennes et de sa proximité avec l’État d’Israël avec lequel elle entretient une étroite coopération dans de multiples domaines.

On sait la raison principale qui paralyse ces deux systèmes. Elle tient en un mot : le droit de veto dont disposent cinq des membres du Conseil de sécurité de l’ONU et... 27 membres du Conseil de Ministres de l’UE.

Certes, la diversité des alliances et politiques étrangères des États membres de ces deux organes ne facilite pas une intervention commune de leurs membres respectifs. Mais il ne s’agissait pas ici de diplomatie. Il s’agissait d’une action humanitaire visant à faire cesser des actes inhumains. Il est inacceptable qu’une règle de vote aussi rigide et incapacitante puisse empêcher toute initiative permettant au moins un cessez-le-feu.

Quelle « politique étrangère commune » ?

Cette absurdité est plus grave encore dans le cas européen. Contrairement à l’ONU – dont ce n’est pas la vocation du fait de son caractère universel – l’UE se flatte de conduire une politique étrangère (et de sécurité !) commune. De par le Traité, cette politique vise notamment à « préserver la paix, prévenir les conflits et renforcer la sécurité internationale » (art. 21TUE). Malheureusement, cet objectif est, de facto, lourdement handicapé par l’article suivant (art. 22 TUE) qui exige que toute action significative dans ce domaine ne puisse être prise qu’à l’unanimité de ses 27 membres.

Et l’UE est affectée d’un autre handicap : celui de l’opacité des délibérations qui permet aux représentants gouvernementaux au sein du Conseil d’utiliser leur droit de veto/blocage sans en prendre ouvertement la responsabilité. De sorte que l’on peut difficilement savoir dans quelle mesure une initiative pourrait recueillir une large majorité des États membres incluant ceux d’entre eux dont les responsabilités et l’influence internationales sont les plus développées.

La possibilité d’un déblocage

Ajoutons qu’une disposition du Traité lui-même permettrait à cette majorité d’aller de l’avant : l’article 31§1 permet en effet à un ou plusieurs États en désaccord avec la position majoritaire de s’abstenir lors du vote et donc de ne pas s’opposer à une décision. Il n’est (ne sont) alors pas tenu d’appliquer cette décision mais il accepte que celle-ci engage l’Union.

Il est probable que, dans le cas palestinien, l’application de cette disposition aurait permis de débloquer une initiative au moins humanitaire de l’UE. Armé d’un tel mandat, le Haut Représentant aurait pu jouer un rôle important de médiation entre les deux parties – au moins pour stopper la poursuite de tels actes criminels, au sens de ce terme en droit international. Et ce, sans attendre ni l’improbable déblocage des négociations au sein du Conseil de sécurité ni la prise de position des États-Unis, paralysés par les divisions internes au sein du Congrès.

Le 17 mai 2021, le Conseil de l’UE s’est trouvé au pied du mur. On allait voir alors s’il trouverait en son sein le moyen de permettre à l’UE d’honorer l’un des plus nobles engagements de l’Union : celui de contribuer activement au respect de la vie et de la dignité humaines dans le monde (art. 21§1 TUE). À défaut, l’UE se trouverait bel et bien en situation de non-assistance à personnes en danger de mort.

Le 17 mai – alors que les tirs de roquettes et les bombardements visant des populations civiles se poursuivaient à Gaza – le Haut Représentant a pris l’initiative de convoquer en urgence le Conseil de Ministres des Affaires étrangères dont il est le Président permanent. Il s’agissait d’une réunion extraordinaire basée sur l’article 30§1 TUE concernant « les cas exigeant une réaction rapide ». En raison des circonstances précipitées, la réunion – en visio-conférence – avait un caractère informel et ne pouvait donc donner lieu à des décisions ni même à des conclusions officielles.

Toutefois, le HR a estimé qu’il était en capacité de faire état – publiquement et à titre personnel – du « sentiment général » qui ressortait de cette réunion. Il l’a fait au moyen d’une déclaration écrite et lors d’une (brève) conférence de presse. Plus généralement, le HR a rappelé que l’obligation pour les États membres de mener une politique étrangère commune dérive directement du Traité – et n’est donc pas une simple faculté aléatoire et variable selon les cas et les circonstances. Et que le HR est responsable de la mise en œuvre de cette obligation.

Il a précisé que sa déclaration reflétait un consensus auquel avaient adhéré 26 des Ministres présents. Répondant à une question précise d’un journaliste, il a ajouté que seul le représentant de la Hongrie avait exprimé son désaccord.

Sur le fond, le HR a indiqué que le Conseil (moins la Hongrie) appelait à un cessez le feu – ce qui était l’objectif principal et le plus urgent de la réunion. Et qu’il demandait la reprise des négociations – tant entre les parties qu’au niveau international – afin de parvenir à dégager un « horizon politique » pour la terminaison durable de ce conflit.

Le HR a ajouté que le statu quo n’était pas une option car il n’empêche pas le recours périodique à la violence. Seule une solution politique peut la prévenir. Dans de telles circonstances, a-t-il dit, l’UE ne peut pas « regarder ailleurs ».

Répondant à une autre question, le HR a rappelé que, selon le droit international et le droit humanitaire, la légitime défense d’un État devait tenir compte du principe de proportionnalité des mesures prises et que – en toutes circonstances – il était « inacceptable » que des femmes et des enfants en soient victimes.

En résumé, ce résultat est très positif : l’UE appelle à cesser le feu et s’implique dans les négociations. Ceci n’était pas acquis d’avance puisque l’on savait que plusieurs États membres entendaient soutenir Israël dans ces circonstances. Et, finalement, ils se sont ralliés à la proposition du HR.

Toutefois, l’opposition d’un seul gouvernement a considérablement affaibli cette position qui, selon les règles actuelles du Traité, ne pouvait dès lors être présentée comme la position officielle de l’UE et de ses États membres. Elle perd ainsi une grande partie de sa force dans les négociations internationales. Notamment vis-à-vis du Conseil de sécurité de l’ONU où – du fait de l’opposition de la Hongrie – le représentant-observateur de l’UE n’a pas pu faire entendre le point de vue officiel de l’UE.

En termes moins diplomatiques, on peut dire que le HR a réussi à « limiter les dégâts ». L’UE a pris une position politique – sinon officielle – dans cette crise et, ce qui est le plus important, cette position pourrait faciliter un cessez- le-feu. Cette affaire – quelles qu’en soient les suites sur le terrain – est un cas d’école illustrant les limites imposées par le Traité à la conduite d’une politique étrangère commune de l’UE, y compris dans les situations les plus dramatiques. Espérons qu’elle inspirera les réflexions et les conclusions de la Conférence sur le futur de l’Union : à quoi bon dessiner les contours d’une Europe globale et souveraine si des règles telles que celles de l’exigence d’unanimité paralysent ou affaiblissent son action ?

Le cessez le feu – finalement intervenu à Gaza le 21 mai 2021 – ne doit donc rien à la (non) intervention de l’UE. C’est la médiation combinée de la France, l’Égypte et la Jordanie – avec le soutien implicite des États-Unis – qui a permis l’arrêt des bombardements et des pertes civiles. Dès lors, le Conseil européen du 24 mai a pu se borner à prendre brièvement acte de la trêve sans y avoir joué aucun rôle.

Dans sa lettre de convocation, le Président du Conseil s’est d’ailleurs limité à inviter les Chefs de gouvernement à « briefly adress the situation in the Middle East ». Aucun débat n’a eu lieu et le Conseil, dans ses conclusions, a été aussi laconique : « We welcome the ceasefire that should bring an end to the violence. The EU will continue to work with international partners to restart a political process (...) »

De nombreux commentaires ont à juste titre souligné la manifestation d’impuissance diplomatique de l’UE dans cette affaire et – plus largement – dans un conflit majeur affectant une région d’un intérêt stratégique pour l’Europe. A cet égard, les extraits de commentaires d’observateurs extérieurs – regroupés par le think tank américain Carnegie ont révélateurs et valent bien de savantes analyses : « At each periodic outburst of violence, (the Union) has watched aghast, wondering what to do ». « Despite its huge economic and political interests in the region, Europe has been extremely reluctant to lead the efforts in Palestinian-Israeli conflict resolution. Without a unified position of its own, Europe finds it safer to defer to the United States ». « Let us face it : Europe lacks the courage to stand up for its own ideals or even protect its own interests ». « The EU is doing what it almost always does during crisis times – and not only in the Middle East. It is issuing declarations employing the usual vocabulary that is used on occasions such as the current clash between Israel and Hamas ».

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site des Amis du Traité de Lisbonne

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom