Un tabou dans la société turque
Plus de 100 années sont passées et la Turquie ne reconnaît toujours pas le génocide arménien, continuant d’employer le terme “événements de 1915”. En guise de pardon, Erdogan avait présenté ses condoléances lors du centenaire du génocide, le 23 avril 2014. Dans un communiqué officiel, le président turc avait déclaré “nous souhaitons que les Arméniens qui ont perdu la vie dans les circonstances qui ont marqué le début du XXème reposent en paix et nous exprimons nos condoléances à leurs petits-enfants”. Premier pas symbolique, mais pas satisfaisant pour la communauté arménienne qui soulignait que “les condoléances ne sont pas des excuses”.
Le terme “génocide” reste tabou en Turquie et peu de personnes se risquent à l’employer. “Dès lors que vous prononcez le mot “génocide”, la conversation est terminée. La personne en face cesse de vous écouter et sort les griffes. En Turquie, le terme désigne uniquement le génocide juif perpétré par les nazis et rien d’autre” révélait le politologue turc Baskin Oran dans le journal La Croix
Reconnaitre le génocide arménien reviendrait pour la Turquie à remettre en cause les fondements du récit national turc. En effet, ce récit s’est construit avec l’aide de nombreux fonctionnaires des Jeunes-Turcs qui ont participé au génocide de 1915-1916.
Les pays européens ayant reconnu le génocide
Pour le moment, les parlements de plus d’une dizaine de pays ont reconnu le génocide arménien, c’est exsaustivement le cas pour l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Grèce, la France, Chypre, l’Italie, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie et la Suède. Certains, comme la Slovaquie et Chypre, vont jusqu’à pénaliser sa négation.
La France est la première, avec l’Angleterre, à dénoncer en 1915 le crime de "lèse-humanité" perpétré contre les Arméniens, mais c’est en 2001 que le Parlement français reconnaît officiellement le génocide et l’inscrit dans la loi. En 2019, Emmanuel Macron annonçait que le 24 avril deviendrait dès lors la journée nationale de commémoration du génocide arménien, date qui correspond à une rafle d’intellectuels arméniens assassinés à Constantinople le 14 avril 1915.
En 2016, le Bundestag avait voté à la quasi-unanimité (un absent) une résolution intitulé « Souvenir et commémoration du génocide des Arméniens et d’autres minorités chrétiennes il y a 101 ans ». Un vote amer pour Recep Tayyip Erdogan qui avait dans la foulée appelé la Chancelière allemande, Angela Merkel, pour dénoncer un “piège” qui pourrait “détériorer toutes nos relations avec l’Allemagne”, cette dernière comptant sur son sol près de 3 millions d’habitants d’origine turque.
De son côté, le Parlement européen a multiplié ses appels à la Turquie afin qu’elle reconnaisse le génocide arménien. Il reconnaît, quant à lui, officiellement le génocide arménien depuis 1987, en faisant valoir que « les événements dont les Arméniens de Turquie ont été victimes pendant les années de guerre 1915-1917 doivent être considérés comme un génocide au sens de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide ». En 2015, à l’occasion des commémorations pour le centième anniversaire du génocide, les eurodéputés avaient appelé la Turquie “à poursuivre ses efforts en vue d’accepter son passé -y compris par l’ouverture des archives-, à reconnaître le génocide arménien et ainsi jeter les bases d’une véritable réconciliation entre les peuples turc et arménien”.
Un jeu géopolitique périlleux
Dans sa recommandation du 6 octobre 2004 portant sur l’ouverture des négociations avec la Turquie, la Commission européenne ne faisait pas de la reconnaissance du génocide arménien une de ses priorités. Décision partagée par le Conseil européen par sa décision du 17 décembre, qui estime que la reconnaissance du génocide arménien ne faisait pas partie des critères de Copenhague. Les négociations d’adhésion, aujourd’hui en stand-by, devaient “conduire à une amélioration des relations bilatérales avec l’Arménie et à la réconciliation” à propos des “des événements tragiques, notamment la souffrance humaine, qui se sont produits dans la région en 1915-1916”. L’exécutif européen s’abstient encore d’employer le terme “génocide” puisque celui-ci n’est pas reconnu unanimement par les 27 Etats membres.
Pour la plateforme arméno-turque Repair, le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne devait aller au-delà des simples relations bilatérales entre ces deux acteurs et devait adopter une approche davantage “tridimensionnelle” entre la Turquie, l’UE et l’Arménie. En ce sens, 3 logiques s’affrontent : d’une part, au sein de l’UE vivent près d’un million de citoyens d’origine arménienne, faisant pression pour que la reconnaissance du génocide devienne un critère d’adhésion pour la Turquie. D’autre part, l’Arménie ne s’oppose pas à l’adhésion de la Turquie à l’UE, car elle entretient également des relations avec l’Union par le biais du Partenariat Oriental. De même, plus de 5 millions de personnes d’origine turque vivent en Europe sans forcément jouir de la citoyenneté européenne. Les tensions entre l’UE et la Turquie influencent grandement les opinions de la diaspora. Par exemple, la minorité kurde, critique vis-à-vis de l’Etat turc sera davantage favorable à ce que la reconnaissance du génocide arménien devienne une condition d’entrée de la Turquie dans l’UE.
Du chemin reste donc à faire, un siècle plus tard le génocide arménien reste un sujet sensible porteur de divers enjeux. Preuve, s’il en fallait, que les droits de l’Homme, pourtant prônés et défendus par l’Union européenne, ainsi que la réalité historique sont encore trop souvent subordonnés aux enjeux économiques et politiques.
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