Géorgie : quand le Rêve géorgien devient cauchemar

, par Paul Brachet

Géorgie : quand le Rêve géorgien devient cauchemar
Manifestation à Tbilissi le 08 mars 2023 (domaine public)

Des milliers de personnes se sont rassemblées, mardi soir (7 mars) dans les rues de Tbilissi, la capitale géorgienne. La mobilisation, qui s’est prolongée dans la journée du mercredi 8 mars, a débuté dans le calme avant d’être violemment réprimée par les forces de l’ordre. Si les manifestants sont parvenu à obtenir le retrait de la loi, le gouvernement géorgien, lui, n’a pas encore véritablement tranché entre modèle russe et aspiration européenne, pensant déjà à un possible retour du projet de loi au Parlement.

Le rejet d’une loi « sur les agents de l’étranger » d’inspiration russe

A Tbilissi, capitale de la Géorgie, des milliers de personnes se sont rassemblées, dans la soirée du 7 mars et dans la journée lui succédant, dans les rues et aux abords du parlement pour montrer leur refus de voir s’appliquer une loi dite « sur les agents de l’étranger ». Cette loi a été votée le 7 mars 2023 par le parlement géorgien avec une majorité très confortable de 73 voix « pour » contre 13 voix « contre », avant que ce dernier ne rétropédale le jeudi 9 au matin annonçant le retrait de la loi sans toutefois exclure un retour du projet de loi au Parlement.

Un rétropédalage aux accents de défaite contre la rue puisque c’est à la suite du vote de la loi par le Parlement, que des milliers de Géorgiens sont descendus sur la place centrale de Tbilissi pour montrer leur opposition à ce qu’ils considèrent comme une « russification » de la politique géorgienne. Une ingérence d’autant moins bien perçue par les manifestants de l’ancienne république soviétique socialiste, depuis qu’une guerre en 2008 les a opposés à Moscou.

Cette loi visait à obliger toute organisation recevant plus de 20% de soutien financier de l’étranger à se déclarer « agent de l’étranger ». Une dénomination qui reviendrait à discriminer la plupart des partis politiques d’opposition actuels, mais également les associations, les médias et toute autres organisations politiques et sociales. Permettant, in fine, au pouvoir de les interdire.

Le texte n’était pas l’invention du Premier ministre géorgien Irakli Garibashvili. Le gouvernement mené par le parti Rêve Géorgien est allé chercher son inspiration au Nord du Caucase, en Russie. Car, en effet, c’est bien Moscou qui a été la pionnière concernant ce type de loi sur les « agents de l’étranger ». Le président russe Vladimir Poutine avait ainsi été l’investigateur d’une telle loi dès 2012, lui permettant de contrôler plus efficacement la vie politique du pays, jusqu’à en devenir l’hégémon.

Des libertés de plus en plus restreintes

La loi aurait renforcé le contrôle de l’exécutif gouvernemental sur la vie publique et politique du pays. En effet, aujourd’hui, l’exécutif géorgien possède un large contrôle sur l’appareil judiciaire. De même, la majorité des médias géorgiens sont détenus par des oligarques plus ou moins affiliés au pouvoir politique. L’ absence d’indépendance des pouvoirs et la fragilité de la jeune démocratie géorgienne fait du pays le 90ème au classement mondial en terme de démocratie, selon The Economist. La loi serat venue fragiliser encore un peu plus la démocratie géorgienne.

Les manifestations se sont alors déclenchées dans l’ensemble des villes du pays contre la loi et plus largement contre la politique de Rêve géorgien. Dans la foule, on peut entendre des slogans comme “Non à la loi russe”. Les protestations, qui ont accueilli un grand nombre de manifestants, se sont pour la plupart déroulées pacifiquement. Malgré cela, la répression du pouvoir fut impitoyable. Un usage massif de gaz lacrymogène, de forces anti-émeutes et de canons à eau a donné des images invraisemblables où l’on peut voir une foule compacte mais pour la plupart calme face à une violence de l’Etat. C’est de ces images qu’a été extraite celle d’une femme brandissant un drapeau européen face à des canons à eaux, devenue en quelques heures le symbole d’une contestation citoyenne, pacifique et européenne.

Des manifestations pour l’Europe

Comme le démontre cette image iconique, ainsi que l’omniprésence du drapeau européen dans les manifestations comme sur les réseaux sociaux, brandi fièrement au côté du drapeau national, le combat n’est pas seulement perçu comme une lutte contre l’influence russe et contre l’autoritarisme, mais également comme un combat pour l’idéal européen.

Pour défendre le souhait des 85% de Géorgiens souhaitant l’adhésion de leur pays à l’UE, la Présidente de la République géorgienne et ancienne diplomate française, Salomé Zourabichvili, qui était alors en déplacement à l’internationale, a annoncé soutenir les manifestations. Elle a appelé au retrait de la loi alors que la constitution lui pourrait lui permettre d’user du veto présidentiel en ultime recours. Un appel qui a su être entendu. Le parti Rêve géorgien a annoncé ce jeudi 9 mars le retrait provisoire de la loi. Un retrait devenu nécessaire par le concours de la pression exercée par la rue, par la celle de la menace de l’usage du veto présidentiel et de celle exercée par les institutions européennes.

Car, en effet, la Géorgie a candidaté en juin 2022 à l’Union européenne (UE), en même temps que la Moldavie et l’Ukraine. Alors que ces deux derniers ont reçu un avis favorable du Conseil et du Parlement européen et sont aujourd’hui tous deux candidats officiels à l’adhésion, tel n’a pas été le cas pour la Géorgie. Les institutions européennes ont refusé d’attribuer au pays le statut d’État candidat. En cause notamment les craintes sur la séparation des pouvoirs en Géorgie ainsi que sur la fragilité supposée de ses institutions. Crainte qui, à la lumière des événements actuels et des ambiguités du gouvernement, peut être considérée comme confirmée.

La frontière orientale de l’Union n’a jamais semblé aussi instable et incertaine, que cela soit en Géorgie, en Ukraine avec la guerre d’invasion russe, en Moldavie par les mises en garde contre un possible coup d’Etat dirigé depuis la Russie, en Turquie par le terrible séisme survenu au mois de février et les futures élections devant se dérouler en mai, ou en Arménie qui voit sa frontière être remis en question par son voisin azerbaïdjanais. Toutefois, l’ensemble de ces conflits ne doit pas être vu comme Ens causa sui. Ils sont la réaction à un désir d’Europe qui n’a jamais été aussi présent, notamment dans les pays aux frontières de l’Union. L’idéal européen est en effet à l’origine des causes traversant ces conflits où le peuple de chaque nation -géorgienne, moldave, ukrainienne- se bat contre l’autoritarisme passé, réinventé à Moscou. L’Europe n’a jamais été aussi vivante que dans les tranchées du Donbass contre les blindés russes ou brandie dans les rues de Tbilissi face aux canons à eau.

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