Gouvernement La Ligue/M5S : IIIe République ou avènement populiste ?

, par Robin Langlois

Gouvernement La Ligue/M5S : IIIe République ou avènement populiste ?
Après plusieurs semaines d’instabilité, et après avoir renoncé une première fois à devenir chef du gouvernement italien, Giuseppe Conte a finalement formé un gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 Etoiles et La Ligue. DonkeyHotey - CC BY 2.0

On apprend en cours d’histoire politique que l’Italie est un laboratoire politique pour l’Europe, de la Renaissance machiavélienne à la politique télé-réalité berlusconienne des années 1990-2010 en passant par le fascisme des années 1920, le transformisme et la tentative de renouveau de la social-démocratie sous Matteo Renzi.

L’Italie semble toujours en décalé, et pourtant souvent en avance, sur les nations européennes voisines. Ce qui peut parfois sembler être un archaïsme politique, considéré avec hautain par les autres capitales européennes, préfigure en réalité parfois (souvent) les configurations politiques à venir des autres nations européennes.

Le pays a connu de nombreuses crises politiques depuis l’instauration de la République en 1947, et son instabilité gouvernementale est souvent citée comme un cas d’école. La crise actuelle est cependant d’une ampleur inouïe et est déjà comparée à celle de 1994 qui a vu la fin de la domination des anciens partis politiques et l’avènement de Silvio Berlusconi et d’une nouvelle “IIe République”. L’opposition récente entre le Président de la République et les partis fut inédite et lourde de conséquences. Elle a illustré un conflit de légitimités et de visions de l’histoire italienne : légitimité présidentielle, incarnant stabilité italienne et engagements européens, face à la légitimité des partis élus démocratiquement.

Le gouvernement d’union de partis risque d’avoir une courte longévité

On assiste depuis les élections du 4 mars 2018 à une fuite en avant permanente, de coups de poker en coups de théâtre. Plus de deux mois de négociations difficiles ont débouché sur un nouveau gouvernement atypique unissant le mouvement Cinq Etoiles (M5S), parti dégagiste anti-système, et l’extrême droite de la Ligue nationale, anciennement “du Nord”.

On peut s’interroger sur la durée de vie du prochain gouvernement, tant l’union entre la Ligue du Nord et le M5S “du Sud” semble limitée. Cette majorité est fragile, supposée liée par un contrat de gouvernement “à l’allemande”, nom marketing qui n’a d’allemand que le nom, car l’on aura bien du mal à comparer les contrats de coalition allemands, tel celui des gouvernements Merkel, extrêmement techniques et chiffrés, face au contrat liant le M5S et la Ligue, étant beaucoup plus une liste à la Prévert de promesses non ou peu chiffrées, ressemblant à un copier-coller successif des deux programmes électoraux.

Malgré le gouvernement composé, de nouvelles élections semblent inévitables. Elles semblaient annoncées dès le 4 mars au soir, tant il paraissait difficile de faire émerger une majorité dans un Parlement aussi atomisé. Le système électoral italien freine la création de majorité. Cela est issu d’une Loi électorale mal faite, le Rosatelum, née sur les cendres de l’échec de Matteo Renzi à réformer la constitution en décembre 2016. Bricolée en très peu de temps, la Rosatelum fut construite sur mesure pour empêcher le M5S d’arriver seul au pouvoir, en favorisant grandement les coalitions de partis au détriment du parti arrivé en tête. Avec le M5S qui a promis de ne s’allier à personne, les Cinq étoiles partaient donc en situation défavorable pour gagner les élections. Mais c’était sans compter sur la rupture de la coalition de droite et l’union à première vue contre nature du M5S avec la Ligue.

La coalition de centre-droit créée pour les élections, arrivée globalement en tête avec 37%, mais divisée entre trois partis, dont la Ligue (17%) qui a fait le meilleur score, n’a pas pu rester unie pour gouverner, faute de majorité. A noter que cette coalition de circonstance n’était ni de centre-droit (allant du discours de droite populiste de Silvio Berlusconi au parti post-fasciste Fratelli d’Italia en passant par la droite radicale de Matteo Salvini) ni vraiment une coalition, puisqu’en dehors de leur union électorale, très peu de choses mettaient d’accord les trois partis alliés de circonstances, tant leurs programmes pouvaient diverger sur de nombreux points. Cette coalition, créée par Silvio Berlusconi comme une énième tentative d’arriver au pouvoir [1], lui a finalement brûlé entre les mains, puisque son allié de circonstance, la Ligue, qu’il espérait utiliser à des fins électorales, l’a finalement doublé à l’arrivée.

Le M5S, OVNI politique longuement analysé et débattu, interroge et désarçonne tant il ne ressemble à aucun parti européen. Par sa structure décentralisée, son “populisme” assumé et revendiqué, son absence de colonne vertébrale idéologique le faisant piocher allégrement dans des idées aussi bien classées à gauche qu’à droite, le M5S, créé il y a à peine dix ans, a conquis le pouvoir italien marche après marche, des fameux Vaffanculo day aux mairies de grandes villes, jusqu’au Palazzo Chigi.

Le M5S représente un dégagisme italien couplé à une vision horizontale de la société

Il est profondément italien en cela qu’il est le produit de décennies de défiance radicale envers la classe politique, qui n’a jamais été totalement nettoyée par l’opération Mani Pulite des années 1990. Les Italiens sont exaspérés par la corruption endémique dans le Mezzogiorno comme à Rome, et le M5S a grandi sur la promesse de faire émerger une nouvelle classe politique vierge de tout procès. Alors que la Ligue fait ses meilleurs scores dans ses bastions historiques du Nord, le M5S s’est ancré dans le Sud, historiquement plus pauvre et moins industrialisé que le riche Nord. Le M5S préfigure également une nouvelle façon européenne de faire de la politique, avec une organisation qui se veut très horizontale, où la démocratie directe via vote internet permet à tous les militants de s’exprimer très régulièrement sur des questions de politique générale. Cette volonté de faire remonter les vraies préoccupations des citoyens se veut pragmatique et en rupture avec les programmes dictés par les élites hors sols. Nous ne sommes pas si loin dans la méthode du porte à porte du mouvement En Marche, ou encore des réunions citoyennes de Podemos en Espagne. Cette approche “bottom-up” fait remonter aussi bien des questions classées socialement à gauche (développement durable, eau & internet gratuit, revenu citoyen d’insertion) que des idées programmatiques très classées à droite (sortie de l’Euro, évacuation de milliers de migrants).

Le dégagisme radical est consubstantiel au M5S, s’étant toujours construit en opposition frontale aux vieux partis, et il est intéressant de souligner qu’en s’alliant à la Ligue, le M5S signe déjà une première entorse à sa règle. N’ayant pas réussi à conquérir le pouvoir seul, bien qu’étant arrivé en tête avec 33% des suffrages, le M5S a donc fait son baiser du diable avec la Ligue, pour soi-disant faire émerger la IIIe République. Après la Première république, celle de la Démocratie chrétienne, balayée par Mani Pulite, et la Deuxième république, consubstantielle aux 25 ans d’allers retours de berlusconisme, est venu le temps de la “République des citoyens”.

Luigi Di Maio a ponctué tous ses discours depuis les élections de cette référence à cette IIIe République mythifiée, purement symbolique puisqu’en réalité c’est bien la même constitution de 1947 qui reste appliquée aujourd’hui. Cette référence constante à la IIIe République est importante. Elle reflète une volonté, demandée par les électeurs, de renouveler les pratiques politiques et de faire émerger de nouveaux partis vierges de toute corruption qui est mise en avant. Il se trouve que ce renouveau est incarné par des partis radicaux, ce qui exprime leur attrait. Comme pour Mani Pulite, le renouveau marque la fin d’une ère des partis. A voir si le Parti démocrate arrivera à dépasser l’ère Renzi et à incarner une opposition de gouvernement crédible.

L’Italie, pays historiquement très europhile, est devenue un phare de l’eurosceptiscisme, voire de l’europhobie, en moins d’une décennie, la faute à un sentiment d’abandon et d’absence de solidarité européenne sur les questions migratoires et économiques. L’économie italienne n’est pas si mauvaise qu’on le dit [2] et l’instauration d’un revenu citoyen de 780€ est perçu comme un droit par les Italiens, notamment dans le Mezzogiorno, soulignant que l’Italie est un des rares pays européens à ne pas proposer une telle prestation. Ce programme social du M5S rappelle les différences de vues économiques entre le M5S populaire et la Ligue défendant des baisses massives d’impôts pour libéraliser l’économie. C’est cependant bien la question migratoire qui a été déterminante dans les résultats. L’Italie, pays historiquement d’émigration soudainement devenu pays d’immigration, a perçu comme un choc mal préparé les flux migratoires. Se sentant bien seuls face aux afflux de migrants de la Méditerranée, voyant leurs voisins européens directs fermer leurs frontières, les Italiens se sont tournés vers la Ligue.

Un gouvernement populiste dans l’ère du temps à l’expérience gouvernementale radicale

En l’absence de nouvelle Loi électorale, force est de constater qu’un résultat similaire, voire amplifié pour la Ligue et le M5S, se rejouerait. On se rappellera qu’il avait fallu trois élections espagnoles en 2015, donnant trois fois peu ou prou les mêmes résultats, pour aboutir sur le gouvernment minoritaire Rajoy, qui a gouverné bon an mal jusqu’à sa chute en juin 2018. De nouvelles élections italiennes à venir risquent de produire les mêmes résultats, voire à donner plus de voix encore à la Ligue et aux M5S, auquel cas l’union sortante Ligue/M5S serait reconduite derechef. En réalité, c’est surtout la Ligue qui risque d’améliorer son score et qui a tout à gagner à de nouvelles élections. Les deux partis ont intérêt à jouer la surenchère verbale, ainsi que l’action gouvernementale exaltée et radicale pour crédibiliser leur discours.

L’Italie est un laboratoire politique, et dans ce chaos institutionnel, peuvent émerger de nouveaux rapports politiques. Quand il s’agit de l’Italie, il est souvent question de rapport à l’Europe et à l’Allemagne. La déception des électeurs face à l’absence de solidarité les détourne du projet européen, processus réplicable dans tous les pays membres. L’union entre les libéraux de droite et les nationaux radicaux devrait inquiéter aux plus hauts points (en France, une union des droites autour de Marion Maréchal serait dévastatrice) et faire réfléchir toutes les élites politiques à Bruxelles, Paris, Berlin etc. Au risque d’un bis repetita.

Notes

[1Alors même qu’il était condamné par la justice comme inéligible (mais aurait pu néanmoins être “nommé” Président du Conseil - nuance de taille. Le parti a d’ailleurs été renommé “Forza Italia - Berlusconi Presidente” pour l’élection, laissant peu de place à l’imagination).

[2Malgré une très forte dette, la balance commerciale italienne est positive de plus de 50 milliards d’euros, quand la France accuse plus de 70 milliards de déficit.

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