Une politique anti-LGBT qui ne date pas d‘hier
La politique anti-LGBT menée par Orbán et son parti le Fidesz s’inscrit dans un temps relativement long. En effet, bien que libéral à ses débuts en politique, alors qu’il était encore opposant au régime communiste en place dans le pays, Orbán et son parti vont au fil des années devenir de plus en plus conservateurs, se présentant désormais ouvertement comme des défenseurs des valeurs chrétiennes traditionnelles. Ce raidissement de ligne politique de la part d’Orbán va se traduire par une série de mesures en ce sens dans des domaines tels que l’éducation ou la famille. L’article L des dispositions fondamentales de la Constitution hongroise entrée en vigueur en 2012 pendant le mandat d’Orbán définit par exemple le mariage de façon très traditionnelle comme étant une “union pour la vie entre un homme et une femme“. En Hongrie comme en Tchécoslovaquie l’homosexualité avait été dépénalisée au début des années 60 avant que l’union civile entre conjoints n’y soit reconnue en 1996. Cette nouvelle Constitution adoptée le 18 avril 2011 par l’Országgűlés revient donc sur un certain nombre de droits acquis par la communauté LGBT et la société hongroise plus largement au cours des 50 dernières années. Elle condamne également toute avancée dans le sens d’une autorisation du mariage homosexuel. Cet article de la nouvelle Constitution hongroise sera plus tard appuyé par l’article 33 de la loi dite “omnibus“ adoptée le 19 mai 2020. Celui-ci prévoit que le sexe inscrit dans les actes d’état civil d’un individu soit celui constaté à la naissance, ce qui a pour conséquence directe d’empêcher les personnes intersexe et transgenre de changer légalement de genre. Une proposition de loi datant de novembre 2020 prévoit l’inscription dans le code civil hongrois de nouvelles conditions s’appliquant aux personnes souhaitant adopter un enfant. Depuis l’adoption de ce projet de loi le code civil hongrois indique que “seuls les époux peuvent adopter“ sauf dans le cas exceptionnel où une personne seule souhaitant adopter est déclarée apte par l’autorité de tutelle. Dans la section dédiée à la justification détaillée des mesures proposées par le projet de loi T/13648, le législateur précise que l’intention est “clairement […] de donner la préférence à l’adoption par les conjoints“. Cette préférence pour les couples mariés s’appuierait sur des “recherches en sciences sociales et des statistiques empiriques“ qui prouverait que l’union par le mariage est plus durable que les unions civiles, et qu’il serait donc “dans l’intérêt de l’enfant d’être élevé dans une communauté d’amour plutôt que dans des relations instables et imprévisibles“.
Une mobilisation hongroise et européenne
Face à toutes ces mesures qui, sous couvert d’une politique favorable à la famille traditionnelle, portent atteinte à la communauté LGBT de Hongrie, l’opinion publique hongroise et européenne ainsi que de nombreux acteurs internationaux ne sont pas restés muets. Le 14 juin dernier plus de 5000 personnes s’étaient réunies à Budapest pour manifester contre le projet de loi qui fut adopté le lendemain et qui interdit la promotion et la publicité de contenu à caractère sexuel ou homosexuel aux moins de 18 ans.
Quelques semaines plus tard, le 24 juillet, plus de 30 000 personnes défilaient à Budapest pour la Pride annuelle qui avait cette année-ci des airs de mobilisation politique contre le Fidesz. Pas moins de 9 parlementaires européens avaient fait le déplacement à Budapest pour l’occasion, parmi lesquels des membres des groupes Renew Europe, des Verts, du Parti populaire européen ou encore des Conservateurs réformistes européens. Au même moment les chancelleries de 30 pays à travers le monde ainsi que certains instituts culturels relayaient sur leurs sites une lettre ouverte exprimant leur “soutien total aux membres de la communauté LGBT“ et insistant sur l’importance du respect de leurs droits à “l’égalité, à la non-discrimination, à la liberté d’expression et de réunion pacifique et à la protection contre la violence“.
En plein Euro 2020, la ville de Munich, hôte du match entre l’Allemagne et la Hongrie le 23 juin 2021, a tenté à sa manière d’afficher son soutien à la communauté LGBT hongroise et son opposition à la dernière loi anti-LGBT adoptée par la Hongrie en illuminant l’Allianz Arena de Munich aux couleurs du drapeau LGBT. Une initiative qui n’a pas plu à l’UEFA, organisatrice de l’Euro, qui a interdit Munich d’illuminer son stade de la sorte, rappelant que “par ses statuts, l’UEFA est une organisation politiquement et religieusement neutre“ : le caractère politique du pavoisement a justifié le refus de l’UEFA. Cette défense n’a pas manqué de faire réagir en Allemagne et en Europe. Les gouvernements français et allemands ont déploré cette décision, Clément Beaune, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, déclarant que la “décision de refus [était] aussi une décision politique“. De nombreux footballeurs, clubs de foot ou encore entreprises allemandes se sont également montrés solidaires en parant leurs identités numériques des couleurs du drapeau arc-en-ciel. Amnesty International a organisé la distribution de près de 11 000 drapeaux LGBT au public présent à Munich tandis que le Président du Parlement européen David Sassoli annonçait que l’assemblée se pavoiserait aussi de drapeaux LGBT.
La réponse juridique de l’Union européenne
La présidente de la Commission européenne s’est elle aussi exprimée sur les réseaux sociaux à propos de la dernière loi anti-LGBT votée par le parlement hongrois. Dans un tweet publié le 23 juin, Ursula Von der Leyen qualifie ce qui était encore un projet de loi de “honte“ avant d’expliquer que celui-ci “discrimine sur base de l’orientation sexuelle et s’oppose aux valeurs fondamentales de l’UE“. Elle annonce ensuite utiliser “tous les pouvoirs juridiques de la Commission européenne pour garantir les droits des citoyens européens“. Le Parlement européen a lui aussi adopté début juillet une résolution “condamnant fermement la loi adoptée par le parlement hongrois“ avant d’en appeler à la Commission européenne à “agir immédiatement en justice“ mais également aux États membres qui, comme le rappelle le communiqué, peuvent en vertu de l’article 259 sur le fonctionnement de l’UE saisir la Cour de Justice de l’UE s’ils estiment qu’un autre État membre a manqué à l’une de ses obligations.
Dans un communiqué de presse datant du 15 juillet dernier et publié sur le site de la Commission européenne, cette dernière affirme avoir ouvert des “procédures d’infraction“ contre la Hongrie et la Pologne “dans les domaines de l’égalité et la protection des droits fondamentaux“. Ces procédures d’infraction peuvent être déclenchées par la Commission européenne dans les situations où un État membre échouerait à transposer en intégralité et en temps voulu une directive européenne dans sa législation nationale ou bien qu’un État membre adopterait un texte de loi qui violerait le droit de l’Union européenne. La Commission européenne, gardienne des traités et disposant de mécanismes pour sanctionner un État membre ne respectant pas les textes communautaires, reproche ici à la Hongrie d’avoir enfreint l’article 2 du Traité sur l’UE relatif à ses valeurs.
La guerre idéologique
Face à ce bras de fer juridique entre la Hongrie et l’Union européenne, Viktor Orbán a décidé de mener une “guerre idéologique“. Le 21 juillet dernier, quelques jours après l’annonce par la Commission de l’ouverture à l’encontre de la Hongrie de procédures d’infraction, le Premier ministre Viktor Orbán annonçait l’organisation d’un référendum portant sur le projet de loi contesté début 2022, ainsi que son contenu :
“Êtes-vous favorable à la tenue d’activités présentant des orientations sexuelles à des enfants mineurs dans un établissement d’enseignement public sans le consentement des parents ? ; Êtes-vous favorable à la promotion du changement de sexe pour les enfants mineurs ? ; Êtes-vous favorable à la possibilité de changement de sexe pour les enfants mineurs ? ; Êtes-vous favorable à la présentation aux mineurs, sans restriction, de contenus à caractère sexuel susceptibles d’affecter leur développement ? ; Êtes-vous favorable à la présentation aux mineurs, sans restriction, de contenus illustrant le changement de sexe ? “
Orbán a bien entendu appelé les hongrois à répondre “Non“ à toutes ces questions dont la formulation est pour le moins démagogue. Par ce référendum, le Premier ministre hongrois espère pouvoir se placer, en cas de victoire du “Non“, en défenseur de la volonté du peuple contre une élite bruxelloise distante des réalités locales et imposant contre le gré de la population son idéologie libérale. Viktor Orbán avait déjà usé du référendum pour contester les décisions et les orientations de l’Union européenne. En 2016 ce dernier avait organisé un référendum sur les quotas d’accueil de migrants proposés par la Commission européenne. À la question “Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? “ 98% des votants avaient répondu non, mais seuls 48% du corps électoral hongrois s’était déplacé pour participer au scrutin, ne permettant pas à ce dernier d’être reconnu par le Parlement hongrois.
Les semaines à venir vont donc s’annoncer intenses sur deux fronts. Sur le plan juridique d’abord, puisque les mécanismes de sanction de la Commission européenne et du Conseil européen vont être mis à l’épreuve. Puis sur le plan idéologique à l’issue du référendum prévu par la Hongrie. Le résultat du référendum déterminera en effet le vainqueur de la “guerre idéologique“ voulue par Orbán. Si le “Non“ l’emporte, Orbán pourra brandir la volonté de son peuple contre le monstre idéologique Bruxellois voulant contourner la démocratie au nom des traités, tandis qu’une victoire du “Oui“ ébranlerait sévèrement la crédibilité politique du Premier ministre hongrois.
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