« Quand on nous demande d’où on vient, on doit toujours répondre : "On est des Allemandes de France." C’est compliqué. On est nées à Sarrelouis. Toute notre famille vient de la Sarre. On a la nationalité allemande, mais on n’a jamais vécu en Allemagne, uniquement en France. Nos parents ont acheté à un bon prix une grande maison de l’autre côté de la frontière, en Lorraine. On a été à l’école maternelle et primaire en France. Notre meilleure amie est française. On déteste quand on nous demande si l’on est françaises ou allemandes. L’idéal serait d’avoir les deux nationalités, mais ce n’est pas possible. Parfois, quand les Français ont encore fait l’une ou l’autre idiotie par exemple, on préférerait être allemandes. Mais, en Allemagne, on parle toujours français, afin que personne ne nous comprenne. Si nos parents n’avaient pas déménagé en France, notre vie aurait été beaucoup moins chouette ! On ressent toujours un manque quand on n’entend pas parler français autour de nous. Quand on est avec des amis bilingues, on passe du français à l’allemand sans problème, parfois même au milieu d’une phrase. C’est si simple, puisque tout le monde comprend tout. C’est super d’avoir les deux, et de ne pas être juste françaises ou juste allemandes. On peut prendre le meilleur des deux pays. À part pour les élections. On ne peut pas participer aux élections fédérales, car on n’a jamais habité en Allemagne. Mais on ne peut pas non plus élire le président français, parce qu’on est allemandes. Tout ce qu’on peut faire, c’est prendre part aux élections municipales françaises. Et, bien sûr, aux élections européennes. On profite chaque jour de l’Union européenne. Finalement, on est peut-être tout simplement européennes. » - Ine et Lea, 18 ans, étudiantes en design à Merten.
« Je suis vendeur de chaussures. Mon but est de rendre les gens heureux. Et ici, chez Fifty-6 à Sarrebruck, les gens sont originaires du monde entier : 40 % de notre clientèle ne vient pas d’Allemagne. La majorité vient de France – et de la Grande Région. Certaines personnes nous viennent du Luxembourg, de Metz, de Strasbourg. Ils veulent tous un même produit : de belles chaussures européennes. On a déjà entendu aujourd’hui vingt langues différentes. Quelle que soit l’origine de notre client, on lui répondra dans sa langue – qu’on sache la parler ou non. En fait, on parle la langue des chaussures.
Dans notre magasin, quatre nations sont également représentées : notre apprenti est fils d’immigrants albanais, nous avons une employée russo-allemande, un employé aux origines italiennes et un Français. Le client qui vient de Lorraine sera accueilli par notre Français avec un accent lorrain, le Parisien avec un accent parisien. On a de plus en plus de clients parisiens grâce à la ligne TGV Sarrebruck-Paris. Sarrebruck ne parle pas beaucoup à la plupart des Français. Mais une fois qu’ils sont venus, ils finissent toujours par revenir ! Le Parisien a une autre approche de l’internationalité et apprend ici, à Sarrebruck, à l’aborder et à la chérir sous un autre angle, plus familier. Nous avons également beaucoup d’Anglais parmi nos clients : Sarrebruck est sur le chemin des Alpes françaises.
Beaucoup d’Anglais font donc une pause à Sarrebruck pour faire les magasins. Au départ, ils arrivent sans connaître notre magasin. Mais plus tard, une fois qu’ils ont vu les sacs Fifty-6 des gens se promenant en ville, ils atterrissent dans notre cour intérieure. Les Italiens vivant dans la Sarre sont également des clients importants pour nous. Quand ils voyagent à Naples ou en Sicile, ils repèrent une paire de chaussures – qu’ils achètent ensuite dans notre magasin. Nous sommes européens. Nous ne sommes plus français, anglais ou italiens. Pas plus qu’allemands. Jusqu’en 1871, les Allemands n’existent même pas ! J‘irai bien sûr voter ce 26 mai. On voit bien grâce au Brexit ce qui se passe quand on ne vote pas ! C’est une bonne chose que les élections se tiennent toujours un dimanche en Allemagne. A priori, tout le monde a le temps d’aller voter. » - Max, 60 ans, vendeur de chaussures, originaire de l’île de Sylt.
« Je n’avais pas du tout prévu de retourner vivre chez mes parents. Après les secondaires dans la Sarre, j’ai fait des études d’économie à Heidelberg. Mais pour mon master en gestion d’entreprise, j’ai voulu aller à l’université en Sarre. Par rapport à beaucoup d’autres universités, c’est à Sarrebruck que c’est le plus facile de faire un master en gestion d’entreprise après un bachelier en économie. Mes parents ont voulu que je fasse le trajet tous les jours quand j’étudierais dans la Sarre.
Je n’ai pas droit à une bourse d’études. Pendant mon bachelier, je payais une partie de mes dépenses grâce à un emploi à temps partiel qui me rapportait 450 euros par mois. Mes parents complétaient le reste. Seul, je ne peux pas me permettre de louer une chambre à Sarrebruck. Et je ne peux tout simplement pas me permettre de travailler plus si je veux suivre l’ensemble de mes cours. D’autant que j’aimerais bien réussir mon diplôme. Je m’entends bien avec mes parents. Mais quand on a goûté à l’indépendance, c’est difficile de retourner en arrière.
Comme j’ai de toute façon toujours voulu aller à l’étranger, j’ai eu l’idée de partir encore au moins pour un semestre avec Erasmus+. Je voulais aller dans un pays où je n’étais encore jamais allé. Ça a finalement été le Danemark. Grâce au bureau Erasmus de l’université de la Sarre, la préparation de ce voyage s’est avérée relativement simple. J’ai vécu pendant trois mois dans la ville d’Odense, sur l’île Fyn, en face de Copenhague. Le Danemark est un pays cher. J’ai donc reçu la bourse la plus élevée d’Erasmus+. Les 460 euros par mois couvraient les frais de mon logement. Les universités danoises sont très internationales. Tous les programmes de master sont en anglais. Et quand on est perdu, on peut aussi souvent simplement poser la question en allemand. Il y a beaucoup d’Allemands dans les universités danoises. En général, on vit dans une sorte de « bulle » Erasmus.
On découvre ainsi d’autres Européens. J’ai encore de bons contacts avec mes amis espagnols que j’ai rencontrés en Erasmus. Je vais bientôt rendre mon mémoire de fin d‘études. Ensuite, je retournerai dans le nord. Il fait souvent trop chaud pour moi l’été, en Allemagne. Je trouve la Scandinavie passionnante. Je vais bientôt voter aux élections européennes, par principe. Le taux de participation aux dernières élections était tout simplement trop faible. » - Robin, 25 ans, étudiant en gestion d’entreprise, originaire de Landsweiler-Lebach.
« Là, je propose mes marchandises sur le marché Saint-Jean, mais il y a quelques heures, mon étal était encore au Luxembourg. Je vais là-bas plusieurs fois par semaine pour vendre mes pommes bios. Je me rends à Dittlingen, Strassen, Ettelbruck et Luxembourg-ville. Le grand avantage d’être établi à Merzig est la localisation : on est directement sur l’autoroute qui mène au Luxembourg. La libre circulation des marchandises et la monnaie commune permettent de vendre là-bas sans problème.
Il n’y a pas tellement d’agriculteurs biologiques au Luxembourg. Je n’ai donc pas beaucoup de concurrence sur les marchés là-bas. Parmi les 40-50 étalages du grand marché de Kirchberg, seuls 4-5 sont tenus par des agriculteurs. Tous les autres sont des négociants. J’attache de l’importance à proposer moi-même ma marchandise au consommateur. Au Luxembourg, ma clientèle se compose aussi bien d’hommes ou de femmes au foyer que de retraités ou de fonctionnaires européens. Avec ces derniers, je discute parfois des sujets brûlants de la politique européenne.
L’Union européenne n’est bien sûr pas parfaite. Elle n’a d’ailleurs pas toujours été positive pour les agriculteurs. Cela tient surtout à cette aberration qu’est la bureaucratie. Une fois par an, nous, les agriculteurs, devons introduire notre demande de subventions. Cela représente beaucoup de paperasse à gérer en plus de notre travail quotidien. Et si l’on s’y prend trop tard, il y a des retenues. Mais cela reste positif ! Après le Brexit, je ne sais vraiment pas de quoi les agriculteurs britanniques espèrent vivre sans les subventions européennes. C’est pour moi une énigme qu’ils aient voté pour sortir de l’UE. Je vais bien sûr aller voter. L’UE est un projet magnifique. On est toujours plus fort en communauté. Ceux qui sont contre l’ouverture des frontières n’ont, selon moi, pas compris quelque chose d’essentiel. » - Hans-Joseph, 69 ans, agriculteur originaire de Merzig.
Le projet « Humans of Saarland » est soutenu par la fondation ASKO-Europa-Stiftung. Les photos ont été prises par Ruben Jochem (mises à la disposition de treffpunkteuropa.de par JEF Saarland).
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