Les Etats-Unis à bout de souffle
Le 2 juin dernier, la coalition internationale faisait le bilan de son action contre Daech. Une vingtaine de pays présents, pour finalement aucune action décisive. Cette réunion a débouché sur des appels, une série de vœux, des grands principes, sans propositions concrètes. Cet événement international a abouti à un néant décisionnel. Depuis 2013 et le réveil global au Moyen-Orient, les sommets mondiaux se sont succédés, des sommets durant lesquels la communauté internationale se perdait en effets démonstratifs, en mises en scène pompeuse pour des événements vides d’impacts. L’exercice diplomatique s’épuise. Il s’épuise parce qu’il se joue toujours entre les mêmes acteurs, aux mêmes réflexes depuis plus de cinquante ans. Les Etats-Unis agissent encore comme une grande puissance des années 1960, mais n’arrivent plus à préserver les apparences. Les Etats-Unis sont dans le noir, les diplomates américains se retrouvent perdus, refusant de voir l’évidence : leur pays ne domine plus le monde. Même si la Russie de Poutine tente de manipuler l’échiquier diplomatique, la guerre froide est terminée, le conflit n’est plus binaire. Le manteau de l’URSS s’est retiré, le monde apparaît clairement dans sa diversité, dans son chaos et dans sa complexité. Il n’y a pas de nation héroïque conduisant le monde à son accomplissement. Non seulement les Etats-Unis n’y voient plus rien, perdus dans une multitude de données et de facteurs qui obscurcissent leur vision, mais leurs moyens ne sont plus suffisants pour prétendre avoir un impact décisif dans un quelconque conflit.
Vladimir Poutine : Être ou paraître sur la scène internationale ?
La Russie n’est guère en meilleure situation. Vladimir Poutine se met en scène plus qu’il n’influence la scène internationale. En 2013, lors de l’affaire syrienne, alors qu’il était évident que la situation allait empirer, Poutine a revêtu les habits du sauveur de la paix mondiale, en s’affirmant face aux Etats-Unis pour soutenir le régime de Bachar El-Assad. Grisé par cet épiphénomène médiatique, il s’est imaginé un temps Prix Nobel de la paix. La diplomatie mondiale prenait alors les allures d’une farce. Désormais Poutine se perd dans les calculs ukrainiens, encore une fois guidé par sa soif de popularité. La politique internationale de Poutine n’est guidée que par les résultats des sondages effectués auprès des Russes. Le nationalisme russe reste vif et conduit la Russie dans une politique étrangère sans consistance, sans éclats et sans résultats probants. Ignorant complètement l’impact d’une économie performante, les Russes raisonnent comme au temps des grands tsars. Le monde a changé d’époque, de tectonique des puissances et de contexte international.
La Chine mise sur son expansion économique et ne néglige pas les moyens militaires, mais elle ne comprend pas la nécessité d’établir un régime démocratique, épanouissant pour les individus, et ce malgré les revendications de la classe moyenne supérieure, notamment à Hong Kong, et reste encore trop fermée aux évolutions du monde. L’Iran au Moyen-Orient se perd dans une stratégie guerrière et impérialiste, égarée dans l’obscurantisme religieux, pendant que Daech s’affirme dans la région, guidé par un fanatisme fou. De nombreux pays se précipitent ainsi, dans des actions vides de sens et de cohérence, mus par des raisonnements inaboutis et cloisonnés. Il n’y a aucune vision pour porter le monde à un accomplissement. Il n’y a que la défense d’intérêts particuliers.
Pour une diplomatie citoyenne
Face à ce chaos stratégique qui paralyse toute tentative de concertation internationale, l’Union européenne est la seule entité à pouvoir incarner une autre voie. Loin de tout esprit de précipitation et de course aux intérêts, l’Europe peut porter un réel projet pour le monde, se fondant sur le long terme. Les Européens de tous les Etats membres attendent une Union qui existe sur la scène internationale. Les diplomates et les politiciens ont fait des Affaires étrangères, des affaires éloignées où les citoyens ne sont plus consultés, comme s’ils n’étaient concernés que par des problèmes quotidiens, or les citoyens sont soucieux du rôle de leur pays et de l’Union européenne dans le monde. Il faut réfléchir à un projet citoyen pour le monde. L’Union européenne peut porter des démarches originales et pertinentes. Elle peut compter sur des citoyens globalement concernés par les événements qui animent notre planète. Une piste, lancer des consultations citoyennes sur la diplomatie européenne, impliquer les citoyens et construire un plan d’action durable. La diplomatie classique s’épuise, elle a besoin d’un renouveau, de nouveaux procédés plus proches des citoyens.
L’émancipation des Kurdes : un enjeu clé
Il faut sortir des logiques binaires, notamment au Moyen-Orient. Tous ceux qui combattent Daech ne sont pas des exemples d’humanisme et de fraternité. Beaucoup d’acteurs de la région mènent de dangereux doubles jeux. Assad, le dictateur syrien a longtemps utilisé la menace djihadiste pour justifier l’existence de son régime impitoyable. Il est aujourd’hui complètement dépassé par les événements. L’Iran mène une opération imprudente d’expansion de son influence. Reste le « Phénix kurde » et ses peshmergas. Les Kurdes sont en effet très proches des valeurs occidentales, sur le plan de la laïcité, de la démocratie, de l’égalité homme-femme, du refus de tout fondamentalisme. Les Kurdes, qui peuvent concrètement venir en aide aux chrétiens d’Orient. Ce ne sera qu’avec les Kurdes que Mossoul pourra être reprise. Ces Kurdes attendent une aide plus conséquente et la reconnaissance d’un Etat propre, constitué sur les bases du Kurdistan irakien. Il est temps de reconnaître le droit à l’autodétermination des Kurdes.
Les plus hauts commandants peshmergas sont d’ailleurs venus, le 1er avril à Paris, pour déposer une gerbe devant mes locaux de Charlie Hebdo puis devant l’Hyper Cacher et rencontrer le président de la République, François Hollande. La France avait alors annoncé dépêcher « dans les prochaines semaines une délégation de haut niveau » pour « mieux évaluer » sa collaboration militaire avec les autorités kurdes d’Irak. Lors des élections législatives du 7 juin dernier en Turquie, le président Erdogan a perdu sa majorité absolue détenue depuis 13 ans et le parti pro-kurde HDP a effectué une percée historique avec 13% des suffrages exprimés, obtenant ainsi 80 sièges au Parlement turc. L’émancipation des Kurdes est un enjeu clé au Proche- et Moyen-Orient. L’Union européenne doit s’y employer avec résolution.
1. Le 20 juin 2015 à 05:27, par Alain En réponse à : Innover en matière de relations internationales au Moyen-Orient
En quoi l’Europe a-t-elle fait quoi que ce soit pour la résolution du conflit israélo-palestinien ? Et elle serait capable d’une innovation diplomatique pour résoudre les conflits causés par le militarisme américain qu’elle soutient en parfait vassal ?
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