Josep Borrell : le choc de la défaite diplomatique et l’impératif de victoires

, par Florian Brunner

Josep Borrell : le choc de la défaite diplomatique et l'impératif de victoires
Copyright : European Union

Après le choc d’une défaite diplomatique en Russie, le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, se retrouve face à un impératif de victoires, afin de garantir l’autorité de la politique étrangère européenne.

Le Haut Représentant et l’insoutenable faiblesse européenne

La volonté politique portée par le Haut Représentant de l’Union, de construire une politique étrangère européenne plus influente, s’est heurtée en février 2021 à une visite désastreuse en Russie et au choc médiatique, d’une conférence de presse mal maîtrisée, où Josep Borrell s’est laissé entraîner sans affirmer le prestige approprié dans cet exercice particulièrement complexe et périlleux, alors que Sergueï Lavrov remplissait méthodiquement et parfaitement son objectif d’affaiblir l’Union et sa politique étrangère.

Le chef de la diplomatie russe a mené un processus efficient de discréditation du Haut Représentant, en le laissant faire face à des critiques fermes, dans un cadre volontairement hostile, et en le mettant finalement devant le fait accompli de l’expulsion de trois diplomates européens, au prétexte que ces derniers avaient été présents à des rassemblements en faveur de la libération de l’opposant russe Alexeï Navalny. Un sujet dont il n’avait absolument pas été question, lors de la Conférence de presse.

Josep Borrell a été emporté sous le poids de l’insoutenable faiblesse européenne, alors que paradoxalement il s’était fait le défenseur d’une Europe assumant et démontrant sa force, avec toute l’autorité nécessaire, notamment face aux puissances rivales. « Nous devons réapprendre le langage de la puissance et concevoir l’Europe comme un acteur géostratégique de premier plan », affirmait Josep Borrell. Ou encore : « L’ère de l’Europe conciliante, quand ce n’est pas naïve, a vécu. » [1]. Et enfin : « Si les Européens veulent vraiment défendre leurs intérêts et leurs valeurs, il faut qu’ils agissent en tant que puissants, pas seulement comme les « good guys » qui font du gentil commerce…  » [2]. Non seulement Sergueï Lavrov affaiblissait la politique étrangère de l’Union, mais il fracturait également l’autorité d’un homme qui portait une volonté politique d’affirmation, menaçant les intérêts russes.

L’Union européenne face à la Russie : la puissance innovante face à la puissance conservatrice

Le face à face qui s’est déroulé entre Josep Borrell et Sergueï Lavrov a été particulièrement révélateur d’un déséquilibre existant entre les deux éminents dirigeants. D’un côté, un Haut Représentant arrivé en 2019, dont le poste est toujours en chantier depuis 1999, et de l’autre un Ministre russe des Affaires Étrangères au sommet de sa puissance et de son influence, pilier indéboulonnable de la politique étrangère russe depuis son entrée en fonction en 2004, soit près de 17 ans d’un règne absolu. Sergueï Lavrov a réussi à mettre en scène la domination d’une diplomatie traditionnelle, face à une diplomatie plus récente et innovante. La domination de l’État classique face à une organisation intergouvernementale. La domination du hard power, en mettant en échec l’Union sur son propre terrain, celui de son domaine réservé et revendiqué, du soft power, de la capacité d’influence et de séduction.

Sergueï Lavrov a accompli un petit tour de magie diplomatique, en faisant passer l’Union pour un acteur négligeable des relations internationales. L’UE est ainsi paradoxalement parue faible, face à plus faible qu’elle. Une leçon de diplomatie, qu’elle devra retenir. L’incapacité pour l’Union d’affirmer sa puissance réelle est une défaillance structurelle qui pénalise fortement l’efficience de son action dans le monde. L’Union ne sait pas montrer sa puissance, quand la Russie sait parfaitement mettre en scène une puissance qu’elle ne possède pas et qu’elle a perdue, depuis la chute de l’URSS. Les politiques étrangères de l’Union et de la Russie sont des constructions opposées, deux inverses, qui n’utilisent pas les mêmes grilles de lecture. La conférence de presse du 5 février 2021 a parfaitement reflété cette situation.

Le Haut Représentant : un prestige à bâtir

Il convient désormais de travailler la stature du Haut Représentant, sa présence médiatique, sa capacité d’influence et de séduction. Depuis la création du poste, nous constatons la difficulté pour le Haut Représentant de capter la lumière, de donner une réelle visibilité à sa fonction. Pour Josep Borrell, il est important de tourner la page, de refonder son action internationale, de la repenser et de la reconstruire en considérant le pouvoir de l’image. Comment incarner et porter l’innovation diplomatique européenne ?

Indiscutablement, sa prédécesseure, Federica Mogherini, correspondait mieux à la représentation d’une diplomatie jeune, encore en apprentissage mais guidée par une vraie volonté et structurée autour d’atouts considérables. Le mandat de l’Italienne (2014-2019) a été fondamental, car il a permis l’élaboration et l’adoption de la Stratégie Globale de 2016 [3], un acte important voire fondateur pour la politique étrangère de l’Union. Que faire après cela ? Comment aller plus loin ?

À sa décharge, le moment que traverse Josep Borrell est redoutablement complexe. Son travail de réflexion sur la doctrine d’une politique étrangère européenne, qui renforce la direction donnée par la Stratégie Globale de l’Union, témoigne de sa volonté politique de donner un sens à un mandat obscur. Mais l’essentiel de sa mission se situe désormais ailleurs, dans un domaine qu’il n’avait sans doute pas anticipé : celui de la communication politique et diplomatique. La doctrine de politique étrangère de l’Union européenne est aujourd’hui clairement et solidement établie. Josep Borrell peut continuer de se saisir des éléments constitutifs de cette doctrine, pour leur donner davantage de force, tout en s’écartant d’une démarche trop exclusivement intellectuelle, afin de se concentrer sur la nécessité de porter une image et un prestige.

Le Haut Représentant et l’enjeu de l’efficience stratégique

Sun Tzu énonçait : « Le grand chef de guerre se tient toujours à l’abri de la défaite, tout en ne laissant jamais passer l’occasion de la victoire  » [4]. Ce principe est valable dans les relations internationales : Le grand diplomate se garde de la défaite, tout en ne laissant jamais l’occasion de la victoire lui échapper. Par manque de prudence et de précaution, Josep Borrell n’a pas su se protéger. Au contraire, il s’est exposé dangereusement jusqu’au fiasco diplomatique final. L’actuel Haut Représentant n’affiche aucune victoire diplomatique et déjà une défaite.

Dans l’exercice d’une fonction encore mal reconnue, il lui est désormais inenvisageable de connaître une seconde déroute. Josep Borrell se retrouve face à une réelle nécessité de victoires diplomatiques, afin de réparer une influence dégradée. Quel était l’intérêt de se précipiter dans un traquenard diplomatique en Russie, dans le brasier d’une affaire interne, qui ne pouvait générer qu’un environnement conflictuel entre l’Union et la Russie ? Il n’y avait manifestement aucun avantage, dans un choix risqué et excessivement audacieux. Le constat a été largement partagé, commenté et diffusé : le Haut Représentant n’a pas atteint les objectifs qu’il s’était fixés.

Josep Borrell voulait rétablir un dialogue constructif avec la Russie. Son échec diplomatique était saisissant : outre la défaite de l’image, Josep Borrell a dû affronter une défaite de son action internationale, une défaite personnelle, ébranlant sa légitimité et son autorité. Un cas inédit par son ampleur, depuis la création du poste de Haut Représentant. Le moment diplomatique n’était pas adapté et la déroute était aisément prévisible. Cette visite n’avait pas été convenablement préparée, de manière à suivre efficacement ce précepte de Sun Tzu : « Qui connaît l’autre et se connaît ne sera point défait » [5].

La stratégie, la posture diplomatique, la situation du Haut Représentant n’ont pas été assez pensés et organisés. Depuis fin 2019, Josep Borrell a exercé la fonction de Haut Représentant davantage sur un plan intellectuel qu’opérationnel. C’est ce qui explique aussi les défaillances de sa visite en Russie. Le Haut Représentant est amené désormais à se plonger dans l’action internationale et à agir en stratège éclairé. La politique étrangère de l’Union ne peut plus demeurer dans une séquence essentiellement déclamatoire et doit se doter d’un réel calendrier d’action, d’un plan opérationnel, au service d’une véritable volonté politique et stratégique. Sans volonté affirmée à la tête de la politique étrangère de l’Union, celle-ci ne pourra se déployer avec l’envergure nécessaire. La politique étrangère européenne est un défi, une innovation inédite sur la scène internationale qui perturbe les anciennes constructions et les conservatismes. Ses contours sont mal définis et elle peine à être reconnue. Il est fondamental pour l’Union de parvenir à assumer sa politique étrangère en confiance [6], de déterminer ses atouts et d’engager un processus principalement opérationnel, démontrant l’efficience de sa diplomatie et de son action internationale.

Notes

[1Borrell Josep, Breton Thierry, Pour une Europe solidaire, résiliente et souveraine, 09/06/2020 : https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/80567/united-resilient-and-sovereign-europe-thierry-breton_en

[2Josep Borrell : « C’est la désunion affichée par l’Europe qui la paralyse », Le Monde, 08/11/2019 : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/08/josep-borrell-c-est-la-desunion-affichee-par-l-europe-qui-la-paralyse_6018472_3210.html

[3Shared Vision, Common Action : A Stronger Europe, A Global Strategy for the European Union’s Foreign and Security Policy, June 2016 : https://eeas.europa.eu/archives/docs/top_stories/pdf/eugs_review_web.pdf

[4Sun Tzu, L’Art de la Guerre, Chapitre IV

[5Sun Tzu, L’Art de la Guerre, Chapitre X

[6Conférence de Federica Mogherini, La stratégie globale de l’UE, 23 février 2021 : https://youtu.be/-catXAXWA0k

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom