L’alternative pirate : le rapport Reda propose d’adapter le droit d’auteur au numérique

, par Pauline Elie

L'alternative pirate : le rapport Reda propose d'adapter le droit d'auteur au numérique
Julia Reda, eurodéputée du Parti Pirate allemand et membre de la commission des affaires juridiques (JURI), a signé un rapport sur l’adaptation des droits d’auteur européens au numérique. Il sera discuté la semaine prochaine en commission à Bruxelles. - Julia Reda

Julia Reda, eurodéputée affiliée Les Verts/ALE et membre du Parti Pirate allemand, a présenté le 20 janvier 2015 devant la commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen un rapport d’initiative portant sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins en Europe. Depuis l’encre a coulé : les propositions soumises ont suscité de vives réactions, notamment chez les Français. Retour sur les enjeux d’une révision du droit d’auteur à l’ère du numérique.

Surprise ! En 2014, le Parlement européen chargeait Julia Reda, la seule représentante du Parti Pirate, de préparer un rapport d’initiative évaluant la directive de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. Un tour de passe-passe, qui visait tant à tester la crédibilité des propositions législatives du Parti Pirate que de faire entendre la voix de la jeunesse européenne au travers de celle de la jeune députée de 28 ans.

L’harmonisation du droit d’auteur en Europe et ses enjeux

L’harmonisation du droit d’auteur en Europe est un vaste chantier débuté en 2001 avec la directive 2001/29/CE. D’ordinaire, la directive est considérée comme favorable aux intérêts des ayants-droits du droit d’auteur mais, en inadéquation avec la réalité de la création numérique, de la convergence des médias et du caractère transfrontalier des échanges Internet. Très controversé, ce premier jalon ne comporte que très peu d’exceptions aux droits exclusifs des auteurs. Expliquons-nous. Ces exceptions désignent les limitations des droits dont disposent les auteurs et les artistes vis-à-vis de leurs créations. Parmi les exceptions part à la directive de 2001, on distingue par exemple le droit à la copie privée, l’exception de citation qui permet à un tiers de citer une oeuvre sans être inquiété de la nécessité d’une redevance à un auteur, ou encore, l’exception de parodie, de caricature qui accorde à chacun la possibilité de détourner une oeuvre, lui conférant ainsi un nouveau caractère original, voire très drôle. Aussi, les Etats sont actuellement libres d’appliquer ou non ces limitations. La marge de manœuvre conséquente dont ils bénéficient dans la transposition nationale de la réglementation constitue alors une entrave à toute harmonisation.

Julia Reda, elle, souhaite rebattre les cartes. Pour la jeune pirate, les textes encadrant le droit d’auteur ne répondent plus aux enjeux de la création contemporaine. Pire encore, ils la briment.

Quels sont ces enjeux ? La problématique majeure est la suivante : comment encourager la foisonnante création numérique (mash-up, remixes, etc., des œuvres dites secondes, composites ou transformatives) sans empiéter sur les droits des auteurs des œuvres premières ? Prenons deux célèbres exemples dont le respectif traitement juridique a différé. Christian Marclay, que le Centre Georges Pompidou expose fréquemment, a créé en 2010 une installation vidéo intitulée The Clock. Il s’agit d’un montage composé de milliers d’extraits de films, qui réglé avec la précision d’un horloger nous indique l’heure en temps réel, pendant 24 heures, minute après minute. Avec The Clock, l’artiste pousse la logique du mash-up dans ses retranchements. Il pose le problème de l’appropriation des films utilisés : est-ce qu’un simple agrégat d’œuvres préexistantes constitue-t-il une nouvelle création originale ? Encensé par la critique, reconnu pour la singularité de son travail, le vidéaste n’a pas eu besoin d’obtenir les droits de tous les extraits compilés. A contrario, le long-métrage de Gyorgy Palfi, Final Cut : Ladies and Gentlemen, présenté à la sélection Cannes Classics en 2012 et également composé de plusieurs centaines d’extraits de films, n’est à ce jour toujours pas distribué.

Quelles sont les propositions de Julia Reda face à ces litiges ?

Malgré les critiques formulées à son encontre, son rapport ne remet pas radicalement en cause la propriété intellectuelle. Il souligne au contraire « la nécessité d’offrir aux auteurs et aux interprètes ou exécutants une protection juridique [...] et de garantir une rémunération appropriée à toutes les catégories de titulaires de droit. » En ce qui concerne le domaine public, le rapport demande à ce que les œuvres qui y appartiennent et, qui par définition ne sont donc plus protégées, puissent « être utilisées et réutilisées sans obstacles techniques ou contractuels. » La Commission est invitée à reconnaître la liberté des auteurs à renoncer volontairement à leurs droits, abandonnant ainsi leurs œuvres au domaine public. Enfin, la durée de protection du droit d’auteur ne devrait pas dépasser les normes internationales fixées par la Convention de Berne, soit 50 ans après la mort de l’auteur et non 70 ans comme le prévoit la directive de 2001.

Pour les exceptions au droit d’auteur, Julia Reda adopte une position modérée. Elle prône à ce titre « un juste équilibre entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés. » Comme nous l’avons souligné, le défaut actuel d’harmonisation entraîne une extrême complexité pour le travail des juristes, selon la provenance des œuvres et les exceptions auxquelles elles répondent. Dès lors, toutes ces limitations devraient être rendues obligatoires. Plus généralement, le rapport recommande « instamment » la compatibilité de ces exceptions en « tenant dûment compte de la convergence des médias », c’est-à-dire de la possibilité que nous avons de nos jours d’accéder à internet sur nos téléphones portables, regarder la télévision sur notre ordinateur ou consulter nos mails sur la télévision. Ici, la volonté de Julia Reda de mentionner ces grandes évolutions technologiques et médiatiques est louable. Or cette mesure, comme d’autres, ne précise aucune modalités pratiques d’application.

Plus spécifiquement, le rapport préconise d’intégrer l’audiovisuel dans l’exception de citation. Ceci permettrait par exemple à certains mash-ups de ne pas être soumis au droit d’auteur. L’exception de caricature, de parodie et de pastiche nécessiterait d’être élargie quelle que soit la finalité. La limitation du droit d’auteur à des fins de recherche et d’éducation devrait également couvrir l’enseignement non formel. Une mesure qui à titre d’exemples aurait une implication directe pour les nombreux tutoriels que l’on trouve principalement sur Youtube. D’autre part, l’utilisation et la diffusion de photos, de vidéos d’œuvres, monuments, paysages se trouvant dans l’espace public devraient être autorisées librement. Aussi, la référence à des œuvres grâce à des hyperliens ne saurait être soumise à des droits exclusifs. Le rapport recommande également que les bibliothèques puissent accorder le prêt de livres numériques.

Le travail de Julia Reda est largement salué par les partisans d’une réforme du droit d’auteur à l’ère numérique. A contrario, on ne compte plus les détracteurs fustigeant ce rapport, la France en chef de file. Dans un document adressé à Bruxelles, dévoilé le 3 février 2015, le Secrétariat général des Affaires étrangères, exprime sans ambages son insatisfaction. Ailleurs, la littérature abonde : « Inacceptable », « anti-droit d’auteur », manquant « de sérieux”, un énième « copier-coller » des propositions précédentes, une apologie du « vol » fidèle à une idéologie pirate. Heureusement, l’eurodéputée a pris soin de les consigner dans un billet sur son site internet, pour mieux y répondre par la suite.

La polémique bat son plein. Un débat devant la Commission des affaires juridiques (JURI) aura lieu les 23 et 24 février prochains. Le vote sur le rapport et les amendements en Commission JURI est quant à lui prévu pour le 16 avril 2015, avec un vote en plénière au mois de mai 2015. Affaire à suivre.

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