Prolongation de l’atonie de la croissance au sein de l’Union européenne
Lundi 16 mai, la Commission européenne a publié ses prévisions économiques du printemps, qui marquent un net ralentissement de la croissance. Tandis qu’en février dernier, elle tablait encore sur 4% de croissance du produit intérieur brut (PIB) dans l’Union pour 2022, elle n’anticipe désormais plus que 2,7%.
Si Christine Lagarde a longtemps jugé très improbable le relèvement des taux d’intérêt, cette publication conforte désormais ses récents changements de position. La dirigeante de l’institution basée à Francfort a plusieurs fois consenti, dans les récentes semaines, la nécessité d’une politique monétaire restrictive après la fin des achats nets d’actifs, permettant la baisse des taux à long terme. Elle semble désormais se résoudre à relever les taux dès cet été, à l’instar de ce qui a déjà été mis en place aux États Unis et au Royaume-Uni.
Dès juillet le resserrement de la politique monétaire européenne se traduira donc à la fois par l’anticipation de la fin du programme d’achats nets d’actifs (asset purchase programme, APP), mais également par le relèvement des taux directeurs de la BCE, une première depuis 2011.
Face à l’inflation, une réponse en demi-mesure de la BCE
Lors de la conférence des gouverneurs de février dernier, plusieurs arguments avaient été avancés justifiant la différence de réaction de la BCE par rapport à ses homologues étrangers. D’abord, l’inflation dans la zone euro était relativement limitée au début de l’année, s’établissant autour de 5,9% contre 7% Outre-Atlantique.
Ensuite, les gouverneurs affirmaient à tort que le phénomène inflationniste finirait par se résorber de lui-même. Pourtant, outre la faible croissance au sein de l’UE, l’inflation continue de se renforcer. La situation demeure plus favorable dans la zone euro puisque l’inflation a atteint des niveaux records à l’étranger ; aux Etats-Unis, par exemple, elle s’élève à plus de 8% depuis mars. Cependant, elle esti particulièrement instable, incertaine et disparate. La zone monétaire accusait, en mars, une inflation de près de 7,5%, selon l’indice des prix à la consommation harmonisés. Par ailleurs, la situation est particulièrement hétérogène : parmi les pays qui s’en sortent le mieux, on peut citer la France, relativement protégée par diverses mesures gouvernementales (chèques inflation ou boucliers tarifaire) avec un taux d’inflation de 6% en mars contre 7,6% en Allemagne et 9,8% en Espagne.
Enfin, la BCE répond à deux impératifs distincts, comme défini par son mandat, la stabilisation de l’inflation à 2 % à moyen terme-, ainsi que le maintien de l’unité d’une monnaie unique. Ce contexte particulier, qui repose sur une construction spécifique,une banque centrale unifiée, mais des budgets et des économies variées, contraint la BCE à un biais de politique monétaire accommodante, ce qui a pu ralentir sa réponse face à la crise.
Le retour au strict respect du mandat de la BCE
Pourtant, l’inflation atteint désormais des seuils qui inquiètent et remettent fondamentalement en question la temporalité de la situation. Le contexte économique mondial justifie donc la réaction de la BCE : à la fois la croissance européenne est bien inférieure à celle anticipée au début de l’année, mais le phénomène inflationniste semble s’accélérer et dégrader progressivement le pouvoir d’achat des ménages.
L’inflation, c’est-à-dire l’augmentation généralisée des prix sur une période donnée, est aujourd’hui principalement un phénomène dit « importé », résultant du choc de l’énergie et du dérèglement des chaînes logistiques. Ainsi, la poussée inflationniste au sein de la zone euro provient essentiellement de la crise énergétique, puisque les prix de l’énergie affichent un bond de 44,7% par rapport à mars 2021 en zone euro et les prix de la consommation un bond de près de 5%.
D’autre part, le phénomène inflationniste s’explique par un déséquilibre croissant entre offre et demande de biens de consommation. Ce déséquilibre résulte, à la fois, du dysfonctionnement, voire de la rupture, des chaînes d’approvisionnement ainsi que de la préservation du pouvoir d’achat des ménages. En effet, les chaînes d’approvisionnement rencontrent de nombreuses difficultés, principalement dues au déclenchement de la guerre en Ukraine et des mesures de lutte contre la pandémie en Asie. Ainsi, certains secteurs peinent à se procurer les intrants nécessaires à la production, tandis que le manque de main d’œuvre disponible nuit à la production mondiale.
Efficace dans la lutte contre l’inflation, le relèvement des taux d’intérêt a un effet néfaste sur le poids de la dette
Le revirement de position de la BCE s’inscrit dans un cadre dégradé des finances publiques. De plus, la hausse des taux d’intérêt risquent de participer à la dégradation de la situation actuelle : selon la Banque de France, chaque hausse de 1% des taux d’intérêt représente au bout de dix ans un coût supplémentaire de près de 40 milliards d’euros par an, ce qui équivaut quasiment au budget actuel de la Défense.
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France, rappelle l’importance de contenir la dette publique, et a proposé plusieurs pistes pour y parvenir : tendre vers la stabilisation des dépenses publiques en limitant leur croissance en volume à 0,5% par an, contre plus de 1% observé au cours de la décennie précédente, tout en gardant les prélèvements obligatoires constants.
Le prochain conseil des gouverneurs de la BCE aura lieu le 9 juin prochain. En attendant, plusieurs pays européens, dont l’Allemagne, ont décidé de revoir leur orthodoxie économique. Obligé de revoir son modèle économique, Christian Lindner, ministre allemand de l’économie, affirme un tournant dans la politique budgétaire allemande en faisant de la réduction de l’endettement et de la lutte contre l’inflation ses nouvelles priorités. Affaire à suivre.
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