L’économie dans les programmes des principales listes aux élections européennes

, par Eric Drevon-Mollard

L'économie dans les programmes des principales listes aux élections européennes
Photo Skitterphoto / Pexels

A moins d’une semaine des élections européennes, les partis français ont publié leur programme pour la prochaine législature européenne. Parmi les principales thématiques, les propositions en matière d’économie sont marquées par une volonté des partis de renforcer le protectionnisme de peur de la concurrence des pays de l’est. Et cela au détriment de propositions concrètes qui rentreraient dans les compétences du Parlement.

Le protectionnisme, un thème récurrent de l’extrême-gauche à l’extrême-droite

L’ensemble des listes à l’exception de Renaissance (La République en Marche - Modem) et de Envie d’Europe (Place Publique-Parti socialiste-Nouvelle Donne) se retrouvent autour de l’idée qu’il faut protéger les frontières de l’Union européenne contre les importations du reste du monde. Les Républicains veulent s’inspirer du « Buy American Act » et demandent à ce que 50% des marchés publics soient réservés aux entreprises locales (c’est-à-dire françaises), et exigent une stricte réciprocité dans les échanges internationaux et l’ouverture des marchés publics comme conditions d’ouverture aux importations. Debout La France de Nicolas Dupont-Aignan propose lui de réserver 75% des marchés publics aux PME nationales et européennes.

Quels sont les pouvoirs du Parlement en matière économique ?
En matière économique, le Parlement européen joue un rôle important : il doit valider le budget proposé par la Commission, et il décide en dernier ressort de l’usage des dépenses non-obligatoires, qui pèsent près de 60% du budget européen. Le Parlement, avec la Commission, supervise les politiques budgétaires et financières des États-membres, afin de s’assurer de leur bonne gestion et coordination, et de prévenir, dans la mesure du possible, les dérapages budgétaires et autres mésusages. Enfin, l’institution de Strasbourg a le pouvoir de ratifier les traités internationaux au nom des états-membres, par exemple l’accord CETA avec le Canada.

A gauche, le protectionnisme se fait par le truchement de normes environnementales et sociales. EELV veut instaurer des droits de douane contre ceux qui ne les respecteraient pas. Le Printemps Européen, dont la tête de liste est Benoît Hamon, exige quant à lui des interdictions d’entrée pour les biens produits avec des règles moins strictes que les standards européens. Le RN est quant à lui favorable à une forme de protectionnisme contre nos partenaires européens : les entreprises françaises seraient prioritaires dans la commande publique. Le parti de Marine Le Pen veut également supprimer totalement la directive sur les travailleurs détachés. La France Insoumise avance une proposition similaire : des « écluses douanières » consistant à cloisonner le marché européen en zones aux niveaux de vie et de productivité homogènes.

La peur de la concurrence des pays de l’est pousse presque tous les partis à proposer un protectionnisme intra-européens. LREM et LR souhaitent que les employeurs alignent les cotisations sociales des travailleurs détachés sur celles du pays où elles sont les plus élevées, afin de protéger le modèle social français. Les partis de gauche préfèrent quant à eux limiter cette concurrence en harmonisant « par le haut » les règles sociales et fiscales.

Sur la fiscalité, autre enjeu clé au niveau européen, LREM souhaite instaurer un taux minimum d’impôt sur les sociétés, avec suspension des fonds européens en cas de refus. La France Insoumise demande une « égalisation par le haut » des avantages sociaux et fiscaux en Europe ; EELV propose un mécanisme similaire : une clause de « non-régression sociale » entre les pays de l’UE. La liste Place Publique/PS dénonce la concurrence fiscale entre les pays de l’Union, qui risque selon elle de transformer l’Union en paradis fiscal. Les pays de l’Est, mais aussi l’Irlande et le Luxembourg sont dans le viseur.

Une volonté d’imposer la régulation économique française à l’Europe

Les propositions de la majorité des listes françaises révèlent un penchant fort vers l’exportation du modèle politique français. Place Publique/PS et EELV proposent de créer une Sécurité Sociale européenne, le Printemps Européen voudrait transposer l’ancienne notion de « service public » à la française en nationalisant le secteur de la santé, de l’énergie, de la distribution de l’eau et des transports. Précisons que ce n’est pas une compétence du Parlement européen : seuls les Etats-membres ont la possibilité de procéder à des nationalisations, ce qui serait d’ailleurs contraire au droit européen. LREM et LR réclament également la taxation des multinationales du numérique au niveau européen, que le gouvernement français a adoptée récemment.

Une assurance chômage européenne, a priori calquée sur le modèle français, recueille les faveurs d’EELV ainsi que du Printemps Européen. Ils y voient un moyen de faire converger les niveaux de vie et de lisser les écarts de cycles économiques entre les pays. EELV souhaite également l’instauration d’un impôt sur la fortune européen et d’une taxe sur les transactions financières. Dans leur ensemble, les listes de gauche ou centristes sont favorables à une plus grande imposition des revenus. LREM, La France Insoumise, Le Printemps Européen, EELV et Place Publique/PS appellent ainsi à faire converger le niveau de fiscalité des autres pays européens vers la plus élevée, la nôtre.

Les listes de gauche en faveur d’une Union européenne qui redistribue fortement les revenus (Place Publique/PS, La France Insoumise, le Printemps Européen et EELV) revendiquent explicitement leur volonté que la puissance publique contrôle étroitement les revenus des citoyens européens à la place du marché. Pour y parvenir, ils réclament des salaires minima élevés par rapport au revenu médian (60% du revenu médian pour EELV), une taxation forte des hauts revenus, voire une revenu maximum, et une redistribution très importante. Le Printemps Européen souhaite la mise en place d’un revenu universel financé par une partie des actions des entreprises et des revenus de la propriété intellectuelle, complétés en faisant tourner la planche à billets de la BCE. Pour La France Insoumise, les écarts de salaire de plus de 1 à 20 dans les entreprises seraient interdits, et le salaire minimum devrait être de 75% du salaire médian. Place Publique/PS préfère parler de « socles communs de droits collectifs », c’est-à-dire que dans tous les pays européens, les salariés auraient les mêmes avantages sociaux (durée du travail, nombre de jours de congé, arrêts-maladie, etc).

Certains partis favorables à une plus grande union économique...

La volonté de renforcer le budget de l’UE est présente chez LREM mais sans chiffrage précis alors que la liste EELV emmenée par Yannick Jadot souhaite le porter à 5% du PNB de l’Union au même titre que Place Publique/PS et le Printemps Européen. Les propositions de ces partis en matière sociale et fiscale laissent donc penser qu’ils souhaitent des transferts de compétence supplémentaires, seule condition pour les mettre en œuvre.

… alors que d’autres partis veulent défaire l’union économique

Au sein des eurosceptiques, le programme du Rassemblement National n’est pas le plus exhaustif. Si l’abandon de l’euro n’est plus défendu par le parti, ses prises de positions répétées en faveur d’une Europe des coopérations entre nations souveraines rappellent qu’il est opposé à un approfondissement de l’union économique. Debout La France de Nicolas Dupont-Aignan est plus précis et radical : il veut réduire de 80% la contribution française à l’Union Européenne ! L’Europe serait un gaspillage d’argent : ils dénoncent les privilèges des fonctionnaires européens qui devraient payer les mêmes impôts que le reste de la population ou encore les règles concernant les entreprises énergétiques, ce qui permettrait selon eux de faire baisser de 25% la facture d’électricité et de gaz.

Le contrôle de la Banque centrale européenne, mantra des extrêmes eurosceptiques

Le Rassemblement National, Debout La France et la France Insoumise veulent modifier le mandat de la BCE pour le mettre sous « contrôle démocratique » afin de favoriser l’emploi et la croissance. Le Parlement se verrait doté du pouvoir d’influer sur la quantité de monnaie créée dans l’économie par l’intermédiaire du taux d’intérêt directeur, et de son allocation en s’en servant pour financer les dettes des Etats-membres ou la politique industrielle. Autrement dit, ces partis sont pour mettre fin à l’indépendance de la BCE. Cependant le Parlement européen n’a pas le pouvoir de changer les statuts de la BCE, inscrits dans les traités. Il faudrait pour ce faire un nouveau traité européen portant sur ce point, qui devrait être adopté à l’unanimité par les Etats, ce qui n’a quasiment aucune chance de se réaliser, en raison de l’opposition de la majeure partie des Européens, Allemagne en tête.

Bilan : des programmes économiques flattant les préjugés de l’électorat français

Si on cherche un fil conducteur entre tous les programmes économiques des principaux partis en lice, même pour les plus europhiles, c’est que les enjeux politiques français y tiennent une place essentielle. L’égalitarisme y est très présent, et pas seulement à gauche. De même que le protectionnisme. Fait nouveau, même les partis de la droite modérée et du centre y succombent. Les principaux partis oublient au passage que le but de la construction européenne est de réaliser un vaste espace économique intégré et ouvert sur le monde, au plus grand bénéfice des Européens.

Les Républicains, pourtant membres de la majorité sortante, n’assument pas le bilan plutôt bon de la Commission Juncker en matière d’intégration économique à l’intérieur de l’Union et à l’extérieur, où des traités commerciaux ont été signés avec le Canada et le Japon. Ils doivent craindre que le contexte politique français n’y soit guère favorable : la mondialisation et les pays d’Europe de l’Est sont souvent désignés comme boucs émissaires lorsque des usines ferment. Pourtant il n’en est rien : le poids des prélèvements obligatoires et des normes, ainsi qu’un système de formation inadapté à l’industrie, sont les seuls responsables du déclin économique de la France. Cette compétence relevant des états-membres, ce sont donc les errements des hommes et femmes politiques français qui sont seuls en cause. L’Union européenne et l’euro ont plutôt limité la casse, en permettant à notre État de financer sa dette à des taux très bas et d’éviter l’inflation.

Les plus europhiles, à savoir EELV, LREM, Place Publique/PS et le Printemps Européen, veulent tous augmenter le budget de l’Union. Cependant, ces deux derniers partis ont une conception très centralisatrice d’un futur état européen : un grand État social à la française, qui prend en charge tous les risques sociaux par une assurance sociale collectivisée obligatoire.

On regrette qu’aucun des principaux partis n’ait de vision clairvoyante de ce à quoi pourrait servir une hausse du budget de l’Union, comme amplifier la politique de fonds structurels qui a fait ses preuves, investir dans la recherche et le développement et servir à mener une politique économique contracyclique en cas de coup dur.

Pour aller plus loin, vous pouvez analyser les programmes des différentes listes sur plusieurs sujets grâce au comparateur du Mouvement Européen – France et des Jeunes Européens – France : https://europeennes2019.mouvement-europeen.eu/comparateur-de-programmes/

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