L’Etat espagnol a attaqué la démocratie européenne : et nous avons laissé faire

La Catalogne vue par un Ecossais

, par Gavin Dewar, Traduit par Lorène Weber

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L'Etat espagnol a attaqué la démocratie européenne : et nous avons laissé faire
Les drapeaux de la Catalogne et de l’Ecosse lors d’un rassemblement pro-indépendance à Edimbourg, 18 septembre 2014 CC Flickr

Le parallèle est souvent fait entre les mouvements indépendantistes catalan et écossais, dont les revendications partagent effectivement des points en commun. Cependant, l’organisation et le déroulement du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse en 2014 et l’attitude du gouvernement britannique n’ont rien à voir avec ce qui s’est produit en Catalogne depuis le référendum d’indépendance du 1er octobre. Indépendamment du résultat, le référendum en Ecosse a été organisé légalement et pacifiquement, et était complètement accepté et reconnu par le gouvernement britannique. Le référendum catalan était illégal et unilatéral, et l’attitude du gouvernement espagnol a été réactionnaire, violente et inacceptable. Alors que les élections au Parlement de Catalogne ont lieu aujourd’hui, Le Taurillon partage la réflexion de Gavin Dewar, citoyen écossais.

Problèmes à l’horizon

Eprouver de la sympathie pour un mouvement indépendantiste ne signifie pas, et ne devrait pas signifier, une affinité naturelle pour un autre. J’ai donc fait particulièrement attention à ce que mon attachement personnel au mouvement indépendantiste écossais n’influence pas excessivement mon opinion sur le mouvement catalan.

Suivre aveuglément une autre cause pro-indépendance, indifféremment de son idéologie, de son histoire et de son approche est en effet une forme dangereuse de nationalisme irréfléchi, qui ne correspond pas à la libre réflexion et au mouvement ouvert, progressiste et civique auquel je souscris, comme beaucoup d’autres Ecossais pro-indépendance. Soutenir instantanément la cause catalane sans réflexion rigoureuse ne serait pas seulement dérangeant intellectuellement, ce serait également arrogant et irrespectueux à l’égard de la culture et de l’histoire propres et uniques de ces deux Etats aspirant à l’indépendance.

C’est donc dans cet état d’esprit de prudence et d’effort de neutralité que j’ai suivi le référendum non autorisé sur l’indépendance de la Catalogne. En pesant le pour et le contre de la situation, je me suis retrouvé troublé par les perspectives qui se profilaient. Je me disais que si la Catalogne déclarait unilatéralement l’indépendance après son plébiscite, elle deviendrait un paria, exclue dans une Europe contemporaine dépourvue d’un leadership inspirant ou radical, et donc peu encline à l’idée d’un nouvel Etat controversé rejoignant sa communauté. J’en ai conclu que je n’étais certainement pas contre la création d’une République de Catalogne indépendante et pro-européenne, mais pas comme ça.

Tel était mon état d’esprit quand les Catalans sont allés aux urnes le 1er Octobre 2017. En fin de compte, je n’étais pas sûr de savoir où allait ma sympathie, et j’en ai conclu que c’était à la Catalogne et à l’Espagne de décider pour elles-mêmes. C’était un sens de l’histoire – et le sentiment que des problèmes se profilaient à l’horizon.

Et puis les violences commencèrent.

A jamais condamnable

L’Etat espagnol, dans une tentative désespérée, a sévi de façon écœurante contre un vote démocratique, et je n’étais certainement pas le seul à regarder avec horreur les scènes qui se sont déroulées dans les rues de Barcelone. Les joues ruisselantes de sang de vieilles femmes. Des descentes de police dans des bureaux de vote mis sens dessus dessous, leur personnel matraqué et expulsé. Des électeurs agrippés par les cheveux et jetés dans une volée d’escaliers. Des pompiers catalans tentant de défendre les électeurs des forces de sécurité espagnoles. Un officier de police catalan, déchiré par un conflit de loyauté, pleurant dans les bras de son collègue.

Les autorités espagnoles auraient pu répondre au référendum catalan avec dignité et honneur. Elles auraient pu laisser le vote se dérouler et, tout en insistant sur le caractère non autorisé et illégitime du résultat, engager un dialogue avec le gouvernement catalan. A tout le moins, elles auraient simplement pu refuser la validité du résultat, confortées par le fait que la loi semblait être de leur côté.

Au lieu de cela, en affichant un mépris total pour le processus démocratique, elles ont envoyé les troupes. Et, dans un étrange délire digne de Trump, elles ont ensuite nié la brutalité de leurs actions, et ont persévéré dans leur campagne antagoniste. La dramatique succession d’évènements qui ont suivi a confirmé cette tendance agressive et puérile, et les Catalans vivent à présent dans un flou politique étrange et menaçant, leur président (ou ex-président et « rebelle » selon Madrid) Carles Puigdemont cherchant soutien et sécurité à Bruxelles.

La prudence ou la neutralité affichées par nombre d’entre nous à l’idée d’une Catalogne indépendante devraient, à ce stade, être éclipsées par une colère et un sentiment de trahison partagés à l’égard de l’Etat espagnol et du gouvernement de Rajoy, pour avoir fait preuve de violences anti-démocratiques au cœur de l’Europe occidentale. Nous avons été les témoins du rejet, par un pays ancien et fier, de toute apparence de dignité, lorsqu’il a basculé dans la force brutale pour défendre sa soudaine forme médiévale. La crédibilité politique de l’Espagne, et la crédibilité de l’Europe dans son ensemble, s’est effondrée.

La situation catalane n’est qu’un symbole supplémentaire d’une Union européenne rongée par la confusion et l’insécurité, ce qui devrait tous nous inquiéter et nous déranger. Pour reprendre les mots de l’ancien Premier ministre écossais Alex Salmond, l’UE toute entière "devrait être à jamais condamnable, ayant détourné les yeux alors que ce qui se passait dans un pays d’Europe occidentale était absolument et complètement inacceptable".

Il en va de notre responsabilité en tant qu’Européens démocrates de condamner, en retour, le barbarisme inconsidéré de l’Etat espagnol de Mariano Rajoy.

Vos commentaires
  • Le 24 décembre 2017 à 18:32, par Bernard Giroud En réponse à : L’Etat espagnol a attaqué la démocratie européenne : et nous avons laissé faire

    Il me semble quand mème ici que la raison déménage.

    1/ Comment croire qu’une région dite favorisée d’un pays, veuille ainsi quitter la solidarité nationale, et la pratiquer ensuite avec d’autres plus divers, anonymes et lointains.

    2/Qui sont donc ces petits chefs de clans qui propagent leurs folies de petites chapelles d’Êtres indépendamment supérieurs.

    3/ comment croire que ces esprits « supérieurs et obtus » puissent trouver une juste place constructive dans un monde qui demande au contraire, de mettre de plus en plus en commun notre première richesse, c’est à dire notre cerveau, pour progresser ?

    Décidément, tout ceci ne ressemble, avec ces chefs qui se sauvent, (a-ton vu Gandhi, martin Luther King , ou Mandela,fuir ) qu’à un magma de fragilité marécageuse, dont il est mieux pour un pays de se passer.

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