L’étreinte froide de la Russie – Le Conseil de l’Europe en proie aux intérêts de Moscou

, par Felix Lehmann, traduit par Etienne Höra

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L'étreinte froide de la Russie – Le Conseil de l'Europe en proie aux intérêts de Moscou

En théorie, le Conseil de l’Europe a pour mission de protéger les droits de l’Homme en Europe. De fait, la Russie met l’institution au service de ses objectifs de politique extérieure – avec des retombées négatives sur la protection des droits de l’Homme en Europe.

En soi, le 3 Septembre 2018 aurait dû être un jour de célébration, en ce qu’il marque le 65ème anniversaire de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Or, cette année, les esprits ne sont pas vraiment à la fête, pour une raison principale : la Russie, l’un des membres les plus influents du Conseil, s’est éloignée de plus en plus nettement des idéaux de la Convention. Elle se retrouve dans un bras-de-fer de longue date avec l’institution.

Fondé en 1949, le Conseil d’Europe surveille la protection des droits de l’Homme dans ses États-membres. Aujourd’hui, il compte 47 pays adhérents, parmi lesquels on trouve également des pays qui ne font pas partie de l’Union européenne (UE), comme la Russie et la Turquie. Autrefois au centre des espoirs pour la démocratie et les réformes, ces deux pays sont devenus des sources de préoccupations majeures pour le continent.

La politique de la puissance de Moscou dans l’espace post-soviétique

C’est notamment la Russie qui met à l’épreuve l’unité européenne. Sous le président Vladimir Poutine, le processus démocratique s’est enlisé ; le système socio-politique s’est figé dans des structures fermées et autocratiques. Ce déclin de la démocratie russe est accompagné par une politique extérieure dont la tonalité devient de plus en plus agressive.

En 2008, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, régions qui, de jure, appartiennent à la Géorgie, avaient été envahies par des troupes russes, fortement soutenues par des groupes séparatistes géorgiens. Bien que la plupart de ces troupes se soit retirée, les deux régions sont de plus en plus dépendantes de Moscou d’un point de vue économique, politique et militaire. Selon le gouvernement géorgien, la Russie serait en train de les annexer au fur et à mesure.

Depuis 2014, la Russie emploie le même schéma opératoire en Ukraine, avec l’annexion de la Crimée et le soutien de diverses milices séparatistes pro-russes par des moyens politiques et matériels. Le comble de cette politique du fait accompli : le référendum hâtivement organisé par Poutine cette même année pour concrétiser l’annexion de la Crimée par la Fédération russe.

La protection des droits de l’Homme en chute libre

Sans aucun doute, l’annexion des territoires en Géorgie et en Ukraine était contraire au droit international. Pour cette raison, le Conseil de l’Europe a tiré des conséquences radicales : après l’invasion en Crimée, il a privé la Russie de son droit de vote à l’assemblée parlementaire. Une décision qui s’est avérée douloureuse pour l’institution, mais qui était la seule option pour rester fidèle à la mission du Conseil.

Cela vaut à plus forte raison en vue de la réaction russe. En effet, suite à la décision de retirer le droit de vote à la Russie, celle-ci a perdu tout respect pour le Conseil d’Europe et s’est résolue à le saper. Par exemple, après avoir supprimé une grande partie de sa contribution pour 2017, elle suspendit la totalité de sa contribution en 2018, représentant un trou financier d’environ 33 millions d’euros. Puisque cette somme correspond à un dixième du budget total du Conseil de l’Europe, la crise financière menace.

D’après le magazine allemand Focus, l’administration a réagi en renonçant aux documents imprimés et en faisant appel à des interprètes uniquement pour les langues les plus importantes. Le Parlement russe (la Douma) a encore empiré la situation récemment en annonçant qu’il n’avait pas prévu de reprendre les paiements dans un avenir proche.

En revanche, la Douma a formulé ses propres exigences. Elle a lié un retour des contributions à la condition que la Russie regagne son droit de vote et qu’une règle soit introduite qui interdirait au Conseil d’utiliser la suspension de ce droit comme sanction contre l’un de ses membres. Sinon, la Russie quitterait le Conseil de l’Europe ainsi que la Convention européenne des droits de l’Homme.

En 2015, la Russie a encore mis de l’huile dans le feu en adoptant une loi qui permet aux institutions russes d’ignorer les décisions des cours internationales. Cela les met à l’abri notamment des jugements de la Cour européenne des droits de l’Homme qui fait partie de l’ensemble institutionnel du Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe ne doit pas céder

Face à de telles provocations, le Conseil de l’Europe doit rester ferme. Il ne doit tolérer ni le chantage de la Russie ni l’érosion de son autorité. Malheureusement, il semble que son secrétaire général, Thorbjörn Jagdland, commence à céder à la pression russe. Fin 2017, il a fait le tour des capitales européennes pour faire de la publicité pour les propositions de Moscou. Cette année, une commission de conciliation a été créée.

Si les dirigeants du Conseil de l’Europe se plient à la volonté de la Russie, cela serait un signal catastrophique pour la communauté internationale. D’un côté, ce renoncement légitimerait implicitement la politique extérieure agressive de la Russie, ce qui serait un coup dur pour les droits de l’Homme dans la région. D’un autre côté, cela entraînerait de nouvelles demandes de la Russie et mettrait en danger tous les pays européens, et notamment les États baltes qui guettent d’un œil légitimement inquiet les intentions russes. Bien entendu, le Conseil de l’Europe ne dispose pas de moyens militaires pour faire valoir sa position. C’est pour cela qu’il est encore plus important de ne pas paraître faible concernant les principes et valeurs. C’est pour cela que la tentative de Thorbjörn Jagdland de rétablir le statu quo est aussi dangereuse que son irréflexion. Si l’organisation, la représentante la plus éminente des droits de l’Homme sur le continent européen, ne veut pas perdre toute crédibilité, elle devra serrer les dents et subir les coupes budgétaires. Bien que cela fasse mal, le Conseil de l’Europe doit éviter à tout prix que le financement devienne un outil de chantage. Étant donné que la Russie foule du pied le droit international, il doit être clair que l’intégrité des valeurs de l’organisation prime sur les questions budgétaires. Si nous ne faisons pas ce choix, la Convention européenne des droits de l’Homme sera minée et ses défenseurs et défenseuses décrédibilisé-es.

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