Le Taurillon : L’environnement, tout comme l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau, a un caractère intrinsèquement transfrontalier. Quelles sont les missions spécifiques de l’Eurodistrict dans ce domaine ? Quelle est l’articulation de ce champ d’action avec les autres thématiques couvertes par l’Eurodistrict ?
Lioba Markl-Hummel : En effet, l’environnement, l’air, l’eau, le climat ne connaissent pas de frontières. C’est aussi pour cette raison que l’Eurodistrict a déjà défini dans sa convention constitutive comme champ d’intervention prioritaire les « actions contribuant au développement durable et à un aménagement du territoire concerté et cohérent de part et d’autre de la frontière ».
Concrètement, nous nous engageons sur trois volets : accompagner les acteurs du territoire, notamment les associations, pour leur permettre de monter des projets franco-allemands en faveur de l’environnement ; prendre position au niveau politique pour influencer les niveaux nationaux ou européens ; et monter des projets propres, notamment de sensibilisation et d’information.
Nous avons par exemple pris position en faveur de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim ou encore pour une solution enfin harmonisée de vignettes pour la qualité de l’air qui corresponde davantage à la réalité de la vie transfrontalière dans notre région !
Concernant nos projets propres, nous avons par exemple lancé la campagne « Coffee to go nochemol » pour réduire l’usage de gobelets jetables (projet primé par un EU Award !), édité un livret franco-allemand pour le climat et nous organisons régulièrement des forums franco-allemands, par exemple sur la qualité de l’air, la géothermie ou l’entreprenariat vert, pour proposer également une plate-forme d’échange franco-allemande sur ces sujets. Dans tout ceci, l’échange avec tous les acteurs, allemands et français, et le suivi actif de leurs manifestations sont primordiaux pour identifier les enjeux communs et rapprocher et fédérer les partenaires partout où c’est possible.
Mais la protection de l’environnement est aussi un sujet transversal que nous mettons en avant dans nos autres thématiques, par exemple à travers un engagement pour une mobilité durable comme la ligne de bus transfrontalière entre Erstein et Lahr, une ligne mise en place par l’Eurodistrict Strasbourg-Ortenau et pérennisée grâce à ses partenaires, INTERREG, la Région Grand Est, le Département du Bas-Rhin, l’Ortenaukreis et la ComCom du Canton d’Erstein, ou notre « Vélo Gourmand », une manifestation touristique qui, chaque année, met en avant les producteurs locaux et les circuits courts.
LT : Selon le "livret franco-allemand pour le climat" que vous mentionnez et que vous avez édité en 2019, le territoire de l’Eurodistrict émet 4,5 mégatonnes d’équivalent CO2, dont 27% venant de l’industrie et du secteur énergétique. Avez-vous une stratégie pour inciter ces secteurs à devenir plus verts ?
LMH : Là, il faut faire la distinction des compétences. L’Eurodistrict n’a pas de compétence à proprement parler, par exemple pour fixer des normes environnementales ou influencer directement le secteur énergétique. Mais, pour apporter notre pierre à l’édifice et pour mieux atteindre les secteurs de l’industrie et de l’énergie que vous évoquez, nous essayons de passer par des actions concertées. Nous participons par exemple au projet INTERREG Atmo-Vision qui développe un nombre important d’outils pour inciter à baisser les émissions. A la fin du projet, il y aura notamment une charte des bonnes pratiques qui pourra être signée par toutes sortes d’organismes.
LT : De manière plus générale, avez-vous des contacts avec les autres acteurs locaux de l’environnement ? Je pense notamment à l’Umweltzentrum Ortenau ou encore à Strasbourg Mobilité.
LMH : Bien sûr. Nous essayons toujours de contacter et de fédérer les acteurs concernés par une thématique autour de défis communs. Et nous les soutenons également dans le montage de projets franco-allemands. Le livret pour le climat que vous avez évoqué est un bon exemple : Il s’agit d’un guide régional pour un mode de vie plus durable qui n’aurait pas pu être rédigé seul par une des petites communes qui y ont participé. Mais grâce à l’initiative, à la coordination, à l’expertise interne et aussi au cofinancement de l’Eurodistrict, ce projet a pu voir le jour.
L’inverse est vrai aussi : Nous n’aurions pas non plus pu réaliser le livret tout seul avec la maison d’édition oekom-Verlag. Son succès est dû à un échange et à une belle collaboration entre les acteurs locaux de l’environnement de part et d‘autre du Rhin. L’Umweltzentrum Ortenau et Strasbourg Mobilité en font partie, tout comme la chambre des consommateurs d’Alsace ou le Ernährungszentrum Ortenau (centre de nutrition) et les chargés du climat des villes partenaires.
LT : Quelle est la nature de votre collaboration avec d’autres structures de gouvernance du Rhin supérieur, concernant l’environnement ? (Conférence du Rhin supérieur, Région Métropolitaine Trinationale, autres Eurodistricts...)
LMH : La coopération transfrontalière dans le Rhin Supérieur est très riche en structures et bien avancée comparée à d’autres zones frontalières. Nous en sommes heureux même si nous espérons que grâce au traité d’Aix-la-Chapelle, nous passerons encore la vitesse supérieure pour vraiment lever des obstacles liés aux différences législatives qui se font sentir pour nos citoyens.
Le jeu d’acteur est complexe et il faut le décliner aux différentes échelles d’action. Notre focus est l’échelle locale et le quotidien de nos citoyens. Concrètement, nous participons activement aux groupes de travail et d’experts de la Conférence du Rhin Supérieur, nous représentons avec les autres Eurodistricts le « pilier société civile » de la Région Métropolitaine Trinationale, nous sommes représentés dans le Conseil Rhénan ainsi que dans le nouveau comité de coopération transfrontalière.
La plupart de ces structures font partie comme nous du « pôle de compétence européen » à Kehl, dont la proximité des locaux facilite l’échange. Et nous sommes régulièrement en contact avec les autres Eurodistricts. Ainsi, nous menons notamment un travail d’échange d’informations et une collaboration technique et politique avec les structures que vous mentionnez, afin de faire tomber les obstacles persistants. Concernant l’environnement, l’harmonisation des vignettes anti-pollution en est un exemple, déjà cité auparavant, qui nous tient à cœur.
LT : Prenez-vous part à des projets INTERREG d’envergure, comme TRION-Climate, RES-TMO ou Clim’Ability ?
LMH : TRION-Climate fait partie de nos voisins directs à Kehl avec lesquels nous avons un contact régulier. Ensemble, nous avons par exemple organisé une conférence franco-allemande sur la géothermie. Par ailleurs, ils ne sont plus un projet INTERREG mais ont le statut d’association (depuis 2015, ndlr). Quant à RES-TMO et Clim’Ability, nous ne sommes pas partenaires mais nous suivons leurs travaux de près. En revanche, nous sommes par exemple partenaire des projets Atmo-IDEE et Atmo-Vision ou encore Sumo-Rhine. Alors oui, nous prenons part à des projets INTERREG d’envergure quand ça peut concerner directement notre territoire.
LT : L’une des missions de l’Eurodistrict est justement d’accompagner les porteurs de microprojets INTERREG. Quels sont les projets environnementaux les plus significatifs que vous ayez dû encadrer ?
LMH : C’est une question difficile. Chaque projet a ses atouts. Si je devais mettre en avant un projet en particulier, je choisirais le « Parlement de jeunes transfrontalier Air-Climat-Energie » réalisé par Atmo Grand Est, le Jardin des Sciences et Science&Technologie. Plus de 300 élèves de 15 classes allemandes et françaises se sont penchés sur les défis de la thématique air-climat-énergie et se sont familiarisés avec les processus de la démocratie participative. Le temps fort du projet a été la rencontre de 76 élèves délégués (cinq par classe) au Parlement européen à Strasbourg les 3 et 4 février 2020 où ils ont élaboré cinq résolutions environnementales qui ont ensuite été transmises aux représentants élus dans le Rhin supérieur.
LT : Quelle est la place du citoyen dans votre stratégie environnementale ? Quelle est votre stratégie de communication à destination du grand public, curieux des thématiques environnementales ?
LMH : Les citoyens sont notre première cible et au cœur même de toutes nos actions. Dans une volonté d’améliorer et de faciliter leur quotidien transfrontalier, tous nos projets propres, aussi en matière d’environnement, s’adressent directement aux habitants de part et d’autre du Rhin. Et par nos forums thématiques et notre dialogue élus-citoyens bisannuel, dont le prochain est d’ailleurs prévu pour avril 2021, nous souhaitons stimuler une participation active du citoyen, avec ses besoins et ses idées, dans notre travail.
Nous communiquons régulièrement sur nos activités à travers les réseaux sociaux, notre page web ou dans la presse. Et nous participons à des semaines thématiques, comme la semaine franco-allemande de la transition énergétique 2021, pour laquelle nous préparons actuellement un Escape Game en extérieur autour de la protection du climat.
Suivre les commentaires : |