L’Europe à vélo (8/8) : Boucler la boucle

, par Maxime Caillet

L'Europe à vélo (8/8) : Boucler la boucle
Carte de l’itinéraire de Maxime Caillet

Pendant 7 mois, Maxime a parcouru les routes européennes sur son vélo suivant un itinéraire improvisé. Après 15 000 kilomètres et 31 pays, la caravane fonce vers la capitale française. Dans ce dernier épisode d’une série consacrée au voyage à vélo, Hippolyte, le dromadaire en peluche de Maxime, finalise son récit et retrace la traversée du Bénélux, jusqu’au point final de ce voyage – Paris.

Retour aux plats pays

Nathan et Maxime savent qu’ils vivent les derniers instants de cette délicieuse parenthèse de vie. Le cœur n’est plus vraiment à la découverte de l’inconnu : quand des passants s’arrêtent pour les questionner, ils ne prennent plus le même plaisir à raconter leurs péripéties. Les questionnements sont désormais aux conditions de l’atterrissage. Comment faire en sorte que le voyage soit plus qu’une parenthèse ? Comment éviter que tout recommence comme avant ? Comment reprendre le cours de la vie sans perdre les bénéfices de cette ode à l’immédiateté - sans tomber dans la nostalgie et les récits convenus que les voyageurs ne peuvent s’empêcher d’imposer aux autres ? Nathan et Maxime n’avaient pas encore les réponses à leurs questionnements et les kilomètres continuaient à défiler.

Nous approchons d’Amsterdam et réalisons que c’est la dernière grande ville de notre périple où nous resterons que le stricte temps nécessaire au repos. Nous profitons de ces derniers instants pour déambuler dans les rues. Les promeneurs se dirigent d’un pas décidé vers une seule direction. Nous les suivons et tombons sur le quartier rouge de la ville. Aux premiers regards, nos joues s’empourprent et une gêne un peu ridicule, presque adolescente, nous saisit. Nous heurtons des groupes de jeunes déjà éméchés et nous évitons un groupe de matelots occupé à uriner dans les canaux. Néanmoins, sans pouvoir expliquer pourquoi, nous nous sentons à nouveau chez nous.

Nos vélos lourdement chargés n’impressionnent pas les Hollandais. Dans la capitale, les pistes cyclables sont partout et il est parfaitement normal de conduire les enfants dans une remorque avant de rejoindre son travail à vélo. Le rythme y est d’ailleurs soutenu et la moindre erreur ne pardonne pas. Nous manquons à plusieurs reprises de provoquer des carambolages, ce qui ne manque pas de piquer la fierté de Maxime, qui ne comprend pas que la place ne lui soit pas réservée après tous ces kilomètres.

Vent dans le dos

Nous arrivons dans les Flandres belges. Le battement des ailes des moulins bat le rythme des efforts produits par les deux pilotes. Après une journée où nos caravanes sont poussées par le vent, nous sommes surpris de gagner la zone francophone de la Belgique. Maxime avait rêvé ce moment. Il parlait en français avec ses amis, sa famille, avec Nathan, mais cette langue avait quitté notre quotidien depuis sept mois déjà. En pleine campagne wallonne, c’est une publicité pour les yaourts d’un magasin de la chaîne Auchan qui lui permet de renouer réellement avec le français. Le slogan avait produit en lui une émotion d’autant plus forte que Maxime était abasourdi d’être touché par un panneau publicitaire. Ses yeux s’étaient chargés de larmes ... La puissance de la publicité.

Après quelques kilomètres, nous trouvons refuge dans une brasserie militante. Notre projet semble inspirer quelques vocations. Au bout de quelques heures, le responsable de la section nous demande nos origines. Il éclate de rire quand Maxime répond qu’il est français. Il prend Nathan par l’épaule par signe de connivence belgo-helvétique et explique qu’il avait bien remarqué que Maxime avait un accent désagréable, celui de la France. Nous préférons penser à une plaisanterie. La soirée se termine dans les rires, la musique et la bière. Les Ardennes ne chantent pas très justes, mais elles chantent.

Adieu compagnon

Nous sentons de plus en plus clairement que le voyage touche à sa fin. Le temps a passé si vite. Pendant les sept mois précédents nous avions réussi à tromper le rythme convenu des jours et des semaines. Nous avions comme épaissi la durée de l’instant, nous avions vécu mille existences et connu tant de métamorphoses. Maintenant, le charme se dissipait peu à peu, il fallait rentrer.

Ce n’est pas la vitesse qui permet de s’extraire de l’immensité des territoires traversés, mais bien la patience. Nos bicyclettes avançaient lentement mais longtemps, nous atteignions bientôt les 15 000 kilomètres. Nous avions réussi à épaissir le trait du court du temps. En 7 mois, nous avions eu la chance de vivre plusieurs existences et de nous extraire de ce que nous sommes.

Les questionnements du début « Qu’est-ce qu’on fait là ? » ; « Dans quelle galère on s’est encore fichu ? », « C’est quoi l’intérêt de pédaler toute la journée et de serrer les dents contre la douleur ? » étaient désormais bien loin. Les voix avaient quitté notre tête.

Nous n’avons toujours pas trouvé les réponses, mais nous poursuivons notre quête sans nous questionner. La route est devenue une évidence. Nous ne faisons pas du plaisir un but, mais nous le trouvons en chemin. Alors que nous méditons sur ce changement d’état d’esprit, nous arrivons dans les Vosges. Pendant un mois et demi, nous avons tout partagé. Il fallait se mettre d’accord sur la moindre étape, le moindre détour, il fallait partager nos émotions. Nathan m’avait remorqué, il avait frappé porte après porte pour aider Maxime à réparer le vélo, mais le temps des adieux était arrivé.

Dernière nuit sur les eaux

Paris n’était plus qu’à 360 km, deux longues journées pour plier définitivement nos habits de voyageurs. Le long de la Marne entre Saint-Dizier et Vitry-le-François, Maxime décide d’arrêter la caravane, pour une dernière nuit sauvage. Alors que nous repérons un lieu où la municipalité a eu l’excellente idée d’installer un bloc sanitaire, un homme sort de son bateau et nous accueille. Hervé vit sur un petit bateau qui semblait pourtant abandonné. Nous sympathisons alors que seul le reflet de la lune sur les eaux de la rivière éclaire les environs à nos yeux désormais habitués à la pénombre. Hervé nous explique sa vie, qu’il a touché le fond sévèrement : une enfance difficile, un cadre familial violent, une relation ambiguë avec l’alcool et la drogue, puis une rupture difficile à encaisser, des enfants qui refusent de le revoir. Il a tout abandonné pour partir sur la route de Compostelle, sans un sou en poche. Punk et anticlérical convaincu, c’était son chemin de croix. Aujourd’hui, il a appris à domestiquer ses vieux démons et il est heureux. Il nous partage quelques-uns de ses textes de rap. Parfois, son fils pose sa voix adolescente sur les pistes audio pour l’accompagner. Son histoire est touchante. Nous oublions que ce soir, c’est la dernière des 216 nuits passées loin de chez nous. La dernière, à chercher un bout de réconfort, de tranquillité, de sécurité où trouver le repos.

Arrivée à Paris

La caravane commence à faire de plus en plus de bruits étranges et les multiples rafistolages pendant le voyage ont mis la patience de Maxime à rude épreuve. La traversée des départements de la Marne, de l’Aube et de la Seine-et-Marne nous amuse. Ici aussi, il est difficile de trouver un commerce ou un marché pour nous alimenter. A quelques kilomètres de Paris, symbole et souvenir du confort pendant tout le voyage, nous sommes obligés de reproduire l’exercice du porte à porte pour demander aux habitants un peu d’eau ou un morceau de pain. Puis progressivement, les autoroutes de Marne-la-Vallée nous encerclent, nous devinons les pistes de l’aéroport Roissy - Charles de Gaulle en suivant les trajectoires des avions dans le ciel et Disneyland nous adresse un clin d’œil enchanté avant d’atteindre la capitale.

Les files de voitures et de scooters embouteillent la ville. Nous nous reconnectons avec d’autres réalités. Les pénuries de carburant obsèdent les automobilistes mécontents. Nous nous arrêtons, Maxime rit devant l’absurdité de notre condition face à ce spectacle. Nous nous remémorons nos rencontres, les visages, les paysages, les yeux perdus vers le périphérique parisien. Sans y mettre le moindre mot, nous nous comprenons. Nous étions de retour à la maison, il restait quelques mètres jusqu’à l’appartement pour fermer cette parenthèse.

Deux rues avant l’ultime destination, un promeneur nous interpelle : « Vous foutez quoi avec tout ce paquetage ? Vous venez d’où ? Vous allez faire un tour d’Europe ? ». Il ne pensait pas si bien dire.

Maxime ne prend pas le temps de s’arrêter. L’heure était désormais à la digestion de cette belle aventure, en commençant par une douche expéditive avant d’apprécier les retrouvailles et la douce compagnie des amis en terrasse, sous le ciel bleu de Paris.

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