“L’Europe doit se tourner vers le monde”, la vision de l’avenir de l’Union européenne du chancelier Olaf Scholz

, par Louis Ritter

“L'Europe doit se tourner vers le monde”, la vision de l'avenir de l'Union européenne du chancelier Olaf Scholz
Olaf Scolz, chancelier allemand, lors de son discours devant le Parlement européen à Strasbourg (France). ©Parlement européen

Le 9 mai 2023 était la journée de l’Europe qui fêtait le 73e anniversaire du discours de Robert Schuman. Ce même jour de 1950, le ministre des Affaires étrangères français ouvrait les rideaux de la déjà longue et tumultueuse histoire de la construction européenne. 73 ans plus tard, et huit mois après le discours de Prague, le chancelier allemand Olaf Scholz est venu devant le Parlement européen à Strasbourg, faire un discours aux allures de plan pour l’avenir de l’Europe.

Le tournant de la guerre en Ukraine, le grand traumatisme allemand du XXIe siècle

D’emblée, le chancelier a donné le ton des débats. L’Union européenne (UE) doit tirer toutes les leçons de la guerre en Ukraine. Elle a besoin de resserrer les rangs, de se construire des piliers solides répondant à l’ambition d’une “autonomie stratégique” désormais largement considérée comme la condition d’un avenir stable et prospère pour les 450 millions d’habitants de l’UE. Faut-il rappeler que s’agissant de l’Ukraine, la parole allemande est sans doute l’une des plus sincères et des plus bruyantes du moment. Il faut dire que le déclenchement du conflit a conduit l’Allemagne à repenser entièrement son schéma diplomatique. Après des décennies de bonne entente avec la Russie basée sur les relations amicales entre la chancelière Angela Merkel et Vladimir Poutine et sur une dépendance aux hydrocarbures russes, que la très européenne Allemagne avait choisi de maintenir malgré tout, Olaf Scholz fut obligé de suivre le mouvement des Européens lorsque ceux-ci ont déclenché un bombardement sans précédent de sanctions et décidé de se passer des ressources énergétiques russes. Un sacrifice de l’Allemagne qu’il convient de saluer, mais avait-elle le choix ?

Pour une Europe géopolitique, privilégier la diplomatie à l’allemande

Devant les députés européens, le chancelier allemand a martelé une idée essentielle : l’Europe doit rester une actrice du monde. Avec un poids démographique représentant 5% de la population mondiale, l’UE ne pourra s’imposer sur la scène internationale que si elle reste ouverte au monde. L’Union européenne doit être géopolitique. Et le chancelier a déjà ses propres idées sur le sujet. Pour lui, l’UE doit d’abord nouer de nouveaux partenariats avec les pays du sud global, d’Afrique et d’Amérique du sud. Des partenariats égaux qui doivent dépasser les conséquences du colonialisme, particulièrement en Afrique où certains pays européens, comme la France, sont en difficulté. L’idée d’une diplomatie Europe-Afrique plus active et plus globale avait déjà été proposée par le chancelier à Prague en août 2022, ainsi que par Emmanuel Macron lors de la conférence de presse donnée à l’Elysée, en décembre 2022, à l’aube de la présidence française de l’UE. Une idée tenace donc. Scholz a ajouté vouloir nouer de tels partenariats également avec les pays du Mercosur, une organisation économique qui regroupe quasiment tous les pays d’Amérique du Sud, en qualité de membres permanents ou associés. Néanmoins, il ne renonce pas aux partenariats plus anciens, comme celui avec les Etats-Unis qui restent, pour le chancelier, le principal allié de l’UE.

Des grands axes qui rappellent des postures clairement illustrées par la diplomatie allemande ces derniers mois. L’Amérique du sud a fait l’objet d’un intérêt nouveau de la part de l’Allemagne, particulièrement en ce qui concerne le Brésil. Après quatre années d’ostracisation sous la présidence du président d’extrême droite Jair Bolsonaro, l’élection du social-démocrate Luiz Inácio Lula da Silva a rendu le pays de nouveau fréquentable aux yeux du monde. En janvier 2023, Olaf Scholz avait effectué une tournée au Chili et au Brésil. Lula et lui ont discuté climat, commerce, droits de l’Homme et guerre en Ukraine. L’Allemagne est surtout venue jouer ses principales cartes : la force économique et la transition climatique. Géant agricole, le Brésil est aussi le pays sur lequel repose près de 63% de l’Amazonie. L’agriculture extensive, encouragée par Bolsonaro, a détruit la forêt pour libérer de l’espace. Au premier trimestre de 2022, elle avait perdu près de 4000 km carrés. Les deux leaders sociaux-démocrates n’ont pas manqué d’évoquer la nécessité d’engager des actions fortes pour sauver cette forêt primitive. Ainsi, l’Allemagne est venue avec près de 200 millions d’euros dans ses bagages, destinés aux actions pour la lutte contre le réchauffement climatique. Mais surtout, l’Allemagne a besoin de l’Amérique Latine pour sa transition énergétique, mise à mal par l’arrêt des exportations russes de gaz vers l’Europe. Privée de cette ressource dont elle était dépendante à plus de 55%, l’Allemagne a dû compenser par la remise en marche de ses centrales à charbon. Une aberration écologique dont elle semble parfaitement consciente. Olaf Scholz a donc mis l’accent sur la coopération en matière d’énergies renouvelables, particulièrement l’hydrogène vert.

Une telle coopération fut également le sujet central de la visite du chancelier en Afrique de l’Est début mai 2023, avec un arrêt particulièrement important au Kenya. A Nairobi, Scholz a pris le Kenya en exemple de la transition climatique, qualifiant le pays de “champion du climat inspirant”. Le Kenya est en effet l’un des premiers pays d’Afrique à être presque totalement dépendant de l’hydrogène vert pour sa consommation électrique (90%) et envisage de l’être entièrement d’ici 2030. Mieux, cette énergie est entièrement produite localement. Un modèle dont l’Allemagne voudrait bien s’inspirer pour sa propre situation, le gouvernement allemand ayant placé l’hydrogène vert comme pièce centrale de son programme de transition énergétique. Une nouvelle fois, Scholz s’est déplacé avec des promesses d’aides financières dans le cadre de la transition énergétique.

Sur le sujet des partenariats, il est difficile de manquer la remarque d’Olaf Scholz sur les Etats-Unis. En plaçant la première puissance mondiale au rang de “principal allié”, Scholz ne fait qu’être fidèle à une position prise de longue date par l’Allemagne. De fait, il l’a suffisamment démontré en se tournant vers les Etats-Unis pour son matériel militaire. Une position difficilement digeste pour d’autres puissances européennes, la France en tête. A l’aune de ces éléments, l’Allemagne semble se rêver en première de cordée diplomatique pour l’Union européenne, érigeant ses propres initiatives diplomatiques au rang d’exemple à suivre.

Pour une Europe réformée et plus grande

Ensuite, toujours pour le chancelier allemand, l’avenir de l’Europe ne peut s’envisager sans son élargissement. Scholz a en effet appelé à respecter la promesse faite aux Balkans occidentaux, il y a presque 20 ans maintenant. Alors même que l’Ukraine s’est vue, promptement après le début de l’invasion russe, promettre une candidature à l’Union européenne, les pays des Balkans occidentaux, entourés par l’UE, attendent depuis longtemps de pouvoir y adhérer. La démarche n’a pas manqué de susciter quelques frictions. Ne nous y trompons pas, ni les Etats des Balkans et encore moins l’Ukraine ne sont sur le point d’intégrer l’Union européenne, mais la vision d’Olaf Scholz est celle de la majorité des 27. Une position contraire ne ferait que décrédibiliser l’Union européenne. Pour Scholz, cet élargissement est en revanche une garantie de paix future sur tout le continent. Mais pour arriver à coordonner une potentielle Union européenne à plus de trente Etats-membres, encore faudrait-il qu’elle se réforme. Une nécessité trop brièvement mentionnée par Olaf Scholz dans son discours, appelant à faire “progresser” l’idée d’une refonte des traités de l’UE et de son architecture institutionnelle.

Un discours emprunt de contradictions

Seulement, si ce discours reste fidèle à la ligne de l’Allemagne, les conclusions laissent un certain nombre de questions en suspens. Sur la question diplomatique, l’Allemagne a fait cavalier seul sur un certain nombre de sujets. Scholz a eu beau insister sur l’obligation de l’UE de se forger une véritable souveraineté, dans la même veine que les positions d’Emmanuel Macron sur le sujet, les démonstrations de cette volonté ne sont pas celles attendues. En continuant de compter sur les Etats-Unis pour sa défense, l’Allemagne ne construit-elle pas sa dépendance ? Ce n’était pas faute d’avoir voulu la limiter. En témoignent les grands plans d’armements inter-européens comme le SCAF ou le MGCS, dans lesquels l’Allemagne s’est trop peu investie. En témoignent également les initiatives prises par les institutions européennes de progresser sur la question d’une défense européenne plus développée. En la matière, les outils juridiques et industriels sont bel et bien présents, et pourtant les Etats-Unis restent le principal garant de la sécurité en Europe.

Côté commerce, les initiatives de l’Allemagne de nouer de nouveaux partenariats en Amérique et en Afrique se heurtent à une réalité : la présence de la Chine. Le poids écrasant du géant chinois dans les échanges commerciaux est un obstacle non négligeable, la Chine étant bien plus entreprenante à l’heure actuelle sur le théâtre africain que l’Union européenne par exemple. Et ce n’est pas l’Allemagne seule qui pourra inverser la courbe, mais bien une initiative européenne qui fait aujourd’hui cruellement défaut. Scholz a beau parler d’une “rivalité” avec la Chine, l’Allemagne est son premier partenaire européen et ne peut s’en départir en un claquement de doigts. Comment donc, rejoindre le concept d’“autonomie stratégique” ? L’Europe ne souhaite pas se retrouver au beau milieu d’un no man’s land aux extrémités duquel se trouveraient les Etats-Unis et la Chine. Pour l’éviter, elle devrait davantage grouper les initiatives diplomatiques que prône Olaf Scholz.

Le besoin de davantage de coopération entre les Etats membres de l’UE ne concerne pas seulement la politique économique ou la diplomatie, mais bien tout un ensemble d’enjeux auxquels l’UE fait face aujourd’hui. En tête, l’enjeu climatique dont les institutions européennes se sont largement saisies aujourd’hui. L’enjeu migratoire également, qui revêt le danger toujours plus croissant d’une division des opinions publiques et politiques européennes. Aujourd’hui, c’est en partie le problème de la migration qui a conduit à la montée des droites nationalistes et souverainistes, dont plusieurs exemples sont visibles en Europe comme en Italie, en Suède ou en Finlande. Si l’Europe n’entreprend pas une réelle politique commune sur la question, les rancoeurs de la part des populations des pays d’accueil des flux migratoires à son égard risquent de persister, de prendre de l’ampleur et de conduire à de nouvelles progressions électorales des extrêmes-droites, ce qui n’est jamais bon signe. La Commission européenne est néanmoins très optimiste sur le nouveau pacte asile et immigration, voté par le Parlement européen en avril 2023 et qui doit désormais faire l’objet d’une étude par les Etats membres. Si le texte est accepté, il pourrait constituer une progression majeure dans le déploiement d’une politique commune en la matière. Les États-membres défendent bec et ongle leur bien-aimée souveraineté, mais à quel danger s’exposent-ils à faire confiance à l’Union européenne dont ils font partie ? Accentuer la coopération les a pourtant servi durant la crise du COVID-19. L’achat commun de vaccin, la mise en place des plans de relance ont permis de réagir rapidement à la crise et de relever les économies européennes. Certains des pays les plus critiques à l’égard de l’UE ont été les bénéficiaires les plus importants des fonds européens.

Au regard de ces nombreux enjeux, quelle place tient l’élargissement de l’Union européenne pour les affronter ? Deux opinions s’opposent sur la question. D’un côté, celle pour qui un élargissement à des pays plus pauvres et potentiellement plus endettés ne ferait que reporter le poids fiscal sur le contribuable et coûterait beaucoup plus cher à l’Union européenne. De l’autre, celle pour qui l’élargissement est un gage de paix et d’harmonie sur un continent qui n’avait plus connu de guerre de haute intensité depuis la Seconde Guerre mondiale. Olaf Scholz a tenté de tirer entre les deux positions. Le chancelier a en effet largement ouvert les bras vers les Balkans, tout en rappelant que sur les questions financières, il n’était pas question de laisser éternellement les vannes ouvertes, rappelant ainsi l’éternelle frugalité allemande. Seulement voilà, les choses ne peuvent se précipiter. Les pays des Balkans ont certes progressé, mais doivent encore parcourir un long chemin avant d’être prêts à intégrer l’UE. Pour ne prendre qu’un exemple, les conflits communautaires, issus de l’éclatement de l’ancienne Yougoslavie et du redécoupage de la région, ne sauraient être une épine dans le talon de l’Union européenne. Car si les Etats des Balkans occidentaux devaient rejoindre l’UE, ils feraient immédiatement office de gardiens de l’une des principales routes migratoires. Par ailleurs, la non-reconnaissance de pays comme le Kosovo par l’Espagne ou la Hongrie, membres de l’UE, de même que par la Serbie, pays candidat, est une problématique qui risque de durer et empêche de facto son intégration. Enfin, les questions de corruption et d’Etat de droit restent l’un des arguments majeurs en faveur de l’attente. Par conséquent, ce n’est pas la bonne parole d’Olaf Scholz qui pourra accélérer le processus.

“Notre futur, c’est l’Union européenne”

Une pléthore de bonnes idées, un intérêt remarqué pour la souveraineté et l’unité européenne, mais un manque flagrant de volonté politique. A ce sujet, on ne peut seulement blâmer le chancelier allemand qui n’est pas le seul à tenir de tels propos, ni à oublier de mêler les actes aux paroles. Toutefois, on peut regretter que les initiatives favorables à ce discours se prennent en ordre dispersé. La symbolique forte du voyage d’Emmanuel Macron avec Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, en Chine en mars 2023 fut entachée par une erreur stratégique de la part du président français. Emporter l’UE avec lui devait au départ être une excellente initiative, quoi qu’emprunte d’un sentiment de concurrence avec Olaf Scholz qui était allé en Chine bien avant lui. Mais la confusion fut totale lorsque Emmanuel Macron a prétendu parler au nom des Européens, en expliquant que l’autonomie stratégique devait passer par une rupture avec les Etats-Unis en matière de défense. Les plus atlantistes comme la Pologne ou les Pays-Bas ont alors critiqué Ursula von der Leyen pour avoir, pensent-ils, cautionné une telle prise de position. En réalité, il n’en est rien. Emmanuel Macron a surtout parlé en son propre nom, mais défend cette ligne sur la scène européenne.

Pour faire face aux rivalités économiques, aux enjeux climatiques, à la lutte contre les impérialismes et aux manquements aux droits fondamentaux, l’Europe est une force de premier plan, à condition de lui faire confiance. Elle a fait ses preuves, parfois discrètes mais bien présentes. La mise sous l’article 7 du Traité de Maastricht de la Hongrie et de la Pologne qui démontre ses capacités coercitives, la coordination des achats de vaccins contre le COVID-19, les avancées en matière de climat, l’ambition de taxer les GAFAM, l’activité législative foisonnante en cette dernière année de législature sur les dossiers de l’immigration, de la taxation du carbone ne sont que quelques-unes d’entre elles. Aujourd’hui, qui peut nier l’impact significatif des activités de l’Union européenne sur le Vieux continent ? “L’Europe est notre futur” dit Olaf Scholz. Charge aux Etats-membres de montrer qu’ils y croient.

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