L’Europe peut-elle faire confiance à Joe Biden ?

, par Baptiste Roman

L'Europe peut-elle faire confiance à Joe Biden ?
25 novembre 2015, Donald Tusk (alors président du Conseil européen) et Joe Biden (alors vice-président des États-Unis) (source : site du Conseil européen)

L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis rassure largement les Européens. Il y a de quoi. Mais attention à ne pas se faire d’illusions : l’Europe ne sera pas la priorité de Biden.

Il fallait être patient. Voilà près d’un mois que les citoyens des États-Unis d’Amérique ont voté pour choisir leur président, et le brouillard qui s’était installé à la suite de scrutin commence tout juste à se dissiper. Les derniers recours judiciaires du camp républicain sont rejetés les uns après les autres, tandis que Donald Trump reconnaît sa défaite du bout des lèvres. De son côté, Joe Biden dévoile peu à peu sa future équipe gouvernementale et annonce les grandes lignes de ses premiers jours au pouvoir. Les capitales européennes et la rue de la Loi bruxelloise peuvent maintenant souffler.

Les Européens savent ce qu’ils perdent. Les quatre années du mandat Trump les ont épuisés. En 2017, il avait d’abord fallu attendre de longues semaines après l’investiture du nouveau président pour trouver les bons contacts dans la nouvelle administration, mal préparée. Mais c’était pour se retrouver ensuite face à une diplomatie américaine amateure et chaotique. Le premier secrétaire d’État en place, Rex Tillerson, attaché aux alliances historiques, essaya tant bien que mal d’arrondir les angles avec le vieux continent. Las, il fut systématiquement et publiquement contredit par Donald Trump, jusqu’à sa démission en 2018.

Se sont alors enchaînées les décisions trumpiennes comme autant de coups bas à l’égard de l’Union européenne : soutien au Brexit et aux partisans d’un Brexit dur, tensions commerciales avec l’Allemagne, retrait des accords de Paris sur le climat et de Vienne sur le nucléaire iranien. Quatre années supplémentaires auraient été encore plus douloureuses, avec un Trump libéré de toute contrainte électorale.

Un véritable soulagement

La victoire de Joe Biden et de sa colistière Kamala Harris apparaît inévitablement comme un soulagement. Diplomates et dirigeants européens pourront s’attendre à un minimum de considération et de stabilité. Plus besoin de surveiller Twitter pour apprendre en même temps que le monde entier les dernières décisions de la Maison Blanche. Encore candidat, Joe Biden avait promis dans son programme de restaurer la confiance avec les alliés traditionnels des Etats-Unis, l’Europe en tête. Bruxelles pourrait bien être la première visite diplomatique du futur président. Et surtout, parmi les priorités de la prochaine administration figurent des sujets renouant avec le multilatéralisme, comme le retour dans l’accord de Paris. L’accord sur le nucléaire iranien sera probablement le suivant. Les tensions avec l’Otan, et notamment autour de son financement, devraient baisser.

De même, les Européens discuteront à nouveau avec des interlocuteurs fiables. Le futur secrétaire d’État Antony Blinken, qui est francophone et a vécu à Paris dans sa jeunesse, est le bras droit de Biden depuis près de vingt ans. Le risque de mauvaise communication entre les deux hommes est donc limité. Le constat est le même concernant les autres noms déjà connus du prochain gouvernement américain. Jake Sullivan (futur conseiller à la sécurité nationale), Ronald Klain (futur directeur de cabinet du président) ou encore John Kerry (futur représentant spécial pour le climat) sont des personnalités de l’establishment démocrate, bien connues de Biden, et qui ont un intérêt pour le multilatéralisme et la construction européenne.

Attention aux désillusions

L’Europe attend donc beaucoup du mandat de Joe Biden, mais peut-être trop. Car certaines inflexions prises par les États-Unis lors de la présidence Trump ne vont pas nécessairement s’inverser. Les États-Unis comme gendarme du monde et garant de la sécurité de l’occident n’est plus une idée en pointe à Washington. Joe Biden a ainsi repris à son compte la politique de retrait des troupes américaines projetées à l’étranger, une tendance timidement amorcée par Barack Obama et poursuivie en grande pompe par Donald Trump. Il est difficile de dire si le monde gagnera en stabilité et en paix, mais l’Union européenne devra gagner en responsabilité.

D’autant que le monde a changé depuis l’ère Obama. Au-delà de la lutte contre la pandémie due au covid-19, les États-Unis risquent bien d’être accaparés par l’Asie pendant les prochaines années. Les ambitions chinoises croissantes, notamment en mer de Chine méridionale, sont parfois inquiétantes et vont requérir de grands efforts diplomatiques de la part de Washington. L’Europe n’aura pas vraiment son mot à dire, mais elle aura une occasion inespérée d’accélérer son autonomie stratégique. Ce sera son tour de travailler dur pour mettre fin aux conflits à sa périphérie et en éviter de nouveaux. Les États-Unis ne se sont mêlés ni du conflit ukrainien ni de celui au Haut-Karabakh. Et ils n’interviendront pas cette fois en cas de nouveau conflit au Kosovo.

Il est également inutile d’espérer voir l’administration Biden épouser toutes les grandes causes progressistes. Les gestes faits vers l’aile gauche du parti démocrate n’ont été que temporaires durant la campagne, et le futur président s’est vite replacé au centre de l’échiquier politique, notamment à travers les nominations de sa future administration. C’est un positionnement qui anticipe peut-être l’une des dernières inconnues de cette transition présidentielle : le second tour de deux élections sénatoriales dans l’État de Géorgie, qui aura lieu le 5 janvier 2020. Si le parti démocrate remporte les deux, alors il contrôlera entièrement l’appareil législatif du pays et le président aura les mains libres. Dans le cas contraire, qui apparaît comme le plus probable, le président Biden devra gouverner à grands coups de compromis avec le camp républicain, et ses ambitions en politique internationale pourraient en pâtir.

Avec Joe Biden, les États-Unis redeviendront un partenaire digne de confiance pour les Européens. Mais il ne va pas falloir abandonner trop vite les réflexes pris pendant le mandat de Donald Trump : l’UE ne sera toujours pas le premier centre d’intérêt des États-Unis. Et elle a tout à gagner à ouvrir le débat sur sa souveraineté stratégique.

Cet article est initialement paru dans l’édition locale du Taurillon, à Toulouse.

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