Le 24 juin 2022, au moins 37 personnes ont trouvé la mort en tentant de franchir la frontière entre le Maroc et la ville de Melilla, territoire espagnol enclavé au nord du Maroc. Inquiet de ses relations avec l’Espagne, et alors que 2 000 personnes tentaient de franchir la frontière, les autorités marocaines ont tout fait pour arrêter le passage des réfugié-es, entraînant des situations de panique, des mouvements de foules, accentués par des abus de force de la part des autorités selon les ONG.
Le gouvernement espagnol a envoyé la balle dans le camp marocain par la voix de son premier ministre Pedro Sanchez : « C’est le gouvernement du Maroc qui devrait répondre à cette question [des droits humains] ». Cependant, la responsabilité de l’Union européenne et de ses pays membres ne doit pas être ignorée. En choisissant de confier à ses pays voisins la maîtrise des flux migratoires, elle transfère aussi ses responsabilités vis-à-vis de la protection des droits humains en ignorant leurs multiples violations dans ces pays. Elle participe à la précarisation croissante des réfugié-es, tout en faisant de ces flux une faiblesse pour son territoire et une arme pour ses voisins.
Le choix de l’externalisation
Dans un contexte national-populiste grandissant, l’immigration effraie et les pays européens cherchent à la contrôler à tout prix. En 2013, il est décidé de modifier le règlement européen dit Dublin II sur l’accueil des réfugiés. Dorénavant, Dublin III dispose que le premier pays dans lequel un-e réfugié-e est enregistré-e est responsable de l’accueil et des procédures d’asile de ce dernier. La procédure Dublin III implique donc une responsabilité démesurée des pays frontaliers, notamment du Sud, par rapport à ceux du Nord. Par manque de solidarité européenne, les pays frontaliers vont peu à peu mettre en place des accords bilatéraux avec leurs voisins extra-européens pour maintenir l’immigration au-delà de leurs frontières et se décharger d’un possible accompagnement administratif. En échange, ces pays tiers, comme la Turquie, le Maroc ou encore la Libye, se voient octroyer des fonds européens qui permettent de financer leurs structures d’accueil et de prise en charge.
L’immigration, une faiblesse européenne
Face au discours nationaliste qui invoque une Europe forteresse, l’Union européenne s’incline en sous-traitant les contrôles à ses frontières à des pays tiers. Tout en démontrant son incapacité à gérer ces flux, elle offre aussi aux voisins de l’Europe une arme géopolitique de taille. En effet, à de multiples reprises, les pays voisins de l’Union européenne, ayant signé des accords de coopération sur la migration ou non, ont prouvé qu’ils étaient capables d’utiliser les flux migratoires pour faire pression sur les pays européens.
En mai 2021, pour protester contre l’hospitalisation en Espagne d’un opposant politique, le Maroc laisse près de 10 000 réfugié-es franchir la frontière avec la ville espagnole de Ceuta en moins de 48 heures. En 2021, alors que le président biélorusse est la cible d’une vague de sanctions européennes après le détournement d’un avion européen dans lequel se trouvait un opposant politique, le régime met en place un véritable couloir aérien grâce auquel il transfère des réfugié-es notamment irakien-nes jusqu’aux frontières polonaises, lituaniennes et lettones dans le but de faire pression sur l’Europe. Ainsi, la Biélorussie, qui n’est pas signataire d’accord de coopération avec l’UE, profite aussi de la migration comme d’un levier d’action géopolitique.
Une contradiction avec la charte des droits fondamentaux
Considérer les réfugié-es comme une monnaie d’échange géopolitique reflète une Europe qui n’estime plus leur protection comme prioritaire mais qui essaie à tout prix de s’affranchir de leur poids administratif, économique et politique. On observe un contournement, si ce n’est un viol, de la Charte des Droits fondamentaux de l’Union qui interdit entre autres l’esclavage et les traitements inhumains et dégradants. Pourtant en connaissance de cause de ce que les réfugié-es subissent en Libye (découverte de filières esclavagistes) et de ce que les camps de réfugié-es impliquent en Turquie (conditions de vie inhumaines et agressions par les autorités), l’Union européenne continue de s’ériger en forteresse en dérogeant à son devoir de protéger la dignité humaine. De plus, le barrage de certaines routes migratoires a pour conséquence l’ouverture de nouvelles routes, plus dangereuses, plus mortelles, comme la traversée jusqu’aux îles Canaries, devenue la route migratoire la plus mortifère d’Europe.
Ces murs-frontières servent aussi à rassurer les populations européennes. Le chercheur Steffen Mau, dans son livre Machines à trier, la réinvention de la frontière au XXIe siècle parle de la « fonction performative » des murs-frontières, qu’il considère comme des instruments de politique intérieure, à l’impact électoral important pour les gouvernements des États membres. Saskia Brickmont, députée européenne du groupe Les Verts résume parfaitement le cynisme de la situation : « Cette Europe forteresse empêche le passage des migrants et sous-traite sa politique migratoire à des pays comme la Turquie, la Libye, le Maroc, via des accords de coopération et des milliards d’euros de financements. Tout cela pour faire en sorte que d’autres Etats bloquent le passage de migrants. »
Des migrants qui deviennent des « armes diplomatiques », des « monnaies d’échange » et des milliards d’euros de financements, qui pourraient, selon elle, être investis dans des politiques de relocalisation et d’accueil des réfugié-es dans l’Union Européenne. La chercheuse Nora El Quadim, dans un article de La Revue Internationale, affirme elle que « le fait que la migration devient aussi une arme, est possible uniquement parce que ce sujet est central dans les politiques extérieures européennes. » L’obsession migratoire européenne incite donc à un marchandage inhumain et mortifère.
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