Un discours très attendu et un verdict prévu
Conformément au pronostic fait il y a quelques mois dans ces mêmes colonnes , le Brexit sera dur. Dans son discours de janvier, Mme May a défini les priorités qui guideront le pays dans les négociations à venir. Londres vise à contrôler l’immigration en provenance de l’Union européenne, à quitter la juridiction de la Cour européenne de Justice, et poursuivra l’objectif d’un Royaume-Uni « global » en signant ses propres traités de commerce avec le reste du monde. Avec une clarté inhabituelle, elle a annoncé les conséquences de ces objectifs sur la future relation entre le Royaume et l’UE : Londres quittera non seulement l’UE, mais surtout le marché unique et l’union douanière. Tout en continuant de participer à certaines politiques communes, notamment en matière de sécurité, de défense, et de lutte contre le crime organisé, en échange de contributions limitées au budget européen. Ainsi, la Première Ministre a implicitement accepté les conditions européennes avant même le début des négociations. Mais tout n’est pas clair : Londres tentera de négocier un accès au marché unique par secteur – pour l’industrie automobile, par exemple – mais cela risque d’être compliqué aux niveaux légal, technique et politique. En outre, Mme May semble avoir oublié de mentionner que le pays quittera Euratom.
La Cour Suprême Britannique a livré son verdict : le gouvernement ne peut user de la prérogative royale pour déclencher l’article 50 TEU, et doit donc obtenir l’accord du parlement. Ce verdict était attendu, et confirme celui de la Cour de Londres. Un premier vote en faveur du déclenchement de l’article 50 a eu lieu dans la Chambre des Communes le 1er février, mais des amendements sont attendus et la Chambre des Lords doit également voter le texte pour qu’il fasse force de loi. Des assurances supplémentaires seront donc demandées au gouvernement. Les parlementaires Britanniques ont déjà obtenu de la Première Ministre la garantie d’avoir le dernier mot sur l’accord final entre Londres et Bruxelles. Ce verdict, toutefois, n’est pas une défaite totale pour le gouvernement, puisque la Cour Suprême a également décidé que l’affaire ne regarde que le gouvernement central, pas les gouvernements dévolus, notamment l’Ecosse. Cela explique peut-être pourquoi Mme May a tenté de rassurer l’Irlande du Nord en promettant qu’il n’y aura « pas de retour à une frontière physique » en Irlande. Mais puisque la République d’Irlande applique la liberté de circulation des personnes, et que le Royaume-Uni souhaite s’en émanciper, il est difficile de comprendre comment cela serait techniquement faisable.
Le rapprochement Trump-May et ses conséquences
Afin d’illustrer la capacité du Royaume-Uni à devenir « global », Mme May a devancé ses homologues Européens à Washington. Bien sûr, il était aussi question d’agiter devant son électorat les drapeaux de l’Anglosphère et de la « relation privilégiée ». La visite est d’abord apparue comme un succès – avec May et Trump main dans la main, et celui-ci réaffirmant que « le Brexit sera un succès ». Mais, fait révélateur, l’assurance que les Etats-Unis soutiennent l’OTAN « à 100% » est venue de May, pas de Trump. Il semblerait que May ait tenté d’assagir ce dernier, peut-être pour donner l’impression que le Royaume-Uni a toujours de l’influence sur Washington, et surtout échoué, comme le démontre la décision subséquente – et très critiquée – par Trump de bannir les ressortissants de sept pays (musulmans ndlr.). Pendant une visite en Turquie, May n’a pu clarifier la position de son gouvernement sur cette décision. C’est seulement après quelque heures – et une pétition demandant l’annulation de la visite de Trump à Londres – qu’elle a annoncé son « désaccord » avec la politique de Trump en matière d’immigration.
Elle a cependant obtenu de Washington un changement de discours : le Royaume-Uni n’est plus à l’arrière de la queue pour signer un traité de commerce avec les Etats-Unis. Des discussions préliminaires ont d’ailleurs commencé. Mais des obstacles importants se dressent : l’agriculture, et surtout la NHS, le service national de santé, feront probablement partie d’un tel accord, puisque Trump va privilégier les intérêts américains. Et May n’a pas exclu plus de privatisation de la NHS au profit de compagnies américaines. Connaissant le point de vue de Trump sur l’Obamacare, ceci devrait beaucoup inquiéter les Britanniques. En outre, Londres ne peut signer aucun accord de commerce tant qu’il est membre de l’Union européenne. D’autres obstacles existent à une coopération plus poussée entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis : des positions contraires sur le multilatéralisme, sur la Russie, et surtout, sur le libre-échange. Un Royaume-Uni « global » vient peut-être trop tard maintenant que les Etats-Unis se tournent vers le protectionnisme – sans oublier la Chine qui se concentre sur son marché intérieur et l’Inde devenue nationaliste.
De plus, se rapprocher ainsi d’un Trump qui souhaite la dissolution de l’Union européenne n’est peut-être pas la meilleure chose à faire pour débuter les négociations sur le Brexit, malgré les affirmations répétées de May sur la nécessité d’une UE solide. Après tout, les actions valent plus que les mots, et d’un point de vue Européen, Trump est de plus en plus toxique. Ceci vient s’ajouter aux menaces à peine voilées par Theresa May de pratiquer une compétition déloyale avec l’UE en baissant les taxes sur les entreprises si elle obtenait un « mauvais accord ». Mais cela s’apparente à un « bluff transparent » : des cadeaux aux entreprises déplairait à son électorat, provoquerait une réponse de l’UE, et de toute façon, les taxes britanniques sur les entreprises sont déjà plus basses que la moyenne européenne. Et même si elle mettait ses menaces à exécution, il est incertain que les entreprises se précipiteraient dans un pays coupé du plus grand marché au monde, et loin de tout autre grand marché.
Que signifie tout ceci pour la politique étrangère britannique ? Fondée sur les deux piliers de l’appartenance à l’UE et de la « relation privilégiée », un long hiver l’attend. Le premier pilier va pratiquement disparaitre, tandis que le second est aussi imprévisible que le prochain tweet de Trump. Pour la politique étrangère britannique, que reste-il ?
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