L’initiative citoyenne européenne en 5 questions

, par Jérôme Flury

L'initiative citoyenne européenne en 5 questions
Le départ du Royaume-Uni de l’Union n’a eu aucune conséquence sur le nombre minimal de signatures nécessaire à toute ICE : il reste d’un million de citoyens européens. Photo : Edar / Pixabay

Une nouvelle initiative citoyenne européenne (ICE), mécanisme introduit sur le plan législatif en 2011, a été enregistrée par la Commission européenne le 21 août 2020. Elle vise à assurer un droit d’accès aux potentiels vaccins contre la Covid-19. Depuis sa création, cet instrument de l’ICE a pour le moment peu abouti.

Les initiatives citoyennes européennes (ICE) sont des instruments accessibles aux citoyens des États membres de l’UE. Instauré en 2011, le mécanisme a été pensé dans un objectif de démocratie directe, permettant à un million de citoyens européens de demander à la Commission une législation sur une question. Cependant, son champ précis de possibilités est restreint. La proposition doit concerner un domaine relevant de la compétence de la Commission européenne et porter sur un problème sur lequel les signataires estiment qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités.

Entérinée au titre II du traité UE, l’ICE, dont le cadre de base est donné à l’article 11, et les principes généraux à l’article 24 du Traité de fonctionnement de l’UE, reste un outil qui a eu très peu de conséquences dans la législation européenne. Dressons un bilan en cinq questions.

Quelle est la dernière initiative citoyenne lancée ?

Le 21 août 2020, une initiative intitulée “Droit aux vaccins et aux traitements”, en anglais, “right2cure”, a été enregistrée. Elle vise explicitement à assurer aux citoyens européens un accès aux éventuels vaccins qui pourraient être trouvés pour contrer la pandémie de Covid-19. Le premier objectif est de “veiller à ce que les droits de propriété intellectuelle, brevets compris, n’entravent pas l’accessibilité ou la disponibilité de tout vaccin ou traitement futur contre la COVID-19”.

Alors que la course au vaccin est lancée sur toute la planète, l’Union européenne notamment réserve de grandes doses des futurs vaccins. 300 millions de celui préparé par le Français Sanofi, 400 millions de celui de l’Américain Johnson & Johnson et 225 du potentiel vaccin contre le Covid-19 de l’Allemand CureVac. La Commission a aussi signé le 14 août un contrat d’achat anticipé avec le groupe pharmaceutique suédo-britannique AstraZeneca pour 300 millions de doses, avec une option pour 100 millions de doses supplémentaires.

La volonté du groupe de citoyens à l’origine de cette initiative est d’éviter que les “grandes entreprises pharmaceutiques fassent du profit de cette pandémie aux dépens de la santé des individus”. Ils prennent l’exemple des traitements mis en place dans les années 1990 pour contre le VIH, dont les tarifs “exorbitants” ont coûté des “millions de vies”. “L’Union européenne doit placer la santé des gens avant les intérêts économiques privés.

Comment fonctionne le mécanisme ?

Avant de demander l’enregistrement d’une initiative, il est nécessaire de composer un groupe d’organisateurs d’au moins sept citoyens de l’UE, issus de sept pays différents. Ensuite, une description de l’initiative doit être réalisée dans une des langues officielles de l’UE, ainsi que des détails sur les représentants, le financement et le processus de collecte. Dans les deux mois, parfois quatre en cas de contexte exceptionnel, la Commission répond alors à ce projet et peut décider de l’enregistrer. Sur 98 initiatives, 75 ont été enregistrées à ce jour. Une fois l’enregistrement effectué, le million de signatures doit être obtenu en 12 mois. De plus, dans au moins sept pays de l’Union, des nombres minimum de personnes signataires doivent être atteints.Par exemple, en France, depuis le 1er février 2020, tout projet du type doit recueillir au moins 55 695 signatures pour être étudié.

Pour illustration, la proposition “Sauvons les abeilles et les agriculteurs !” est en cours de collecte depuis le 30 septembre 2019 et a obtenu 410 634 signatures, pour la plupart issus d’Allemagne. Malgré la prolongation de six mois du délai pour la collecte, il n’est pas certain que le million de signataires soit atteint.

Si le cap fatidique est franchi, une fois le dernier certificat délivré par les autorités nationales compétentes, les organisateurs ont trois mois pour présenter leur initiative à la Commission, qui doit ensuite répondre mais qui n’est pas tenue de proposer un acte législatif. “De nombreuses autres mesures peuvent être plus appropriées”, précise le site europa.eu.

Combien de procédures sont allées au bout ?

Depuis 2012, seules quatre initiatives citoyennes sur les 98 tentées sont allées jusqu’au terme du processus. Le bilan des ICE est globalement négatif. Le nombre de projets enregistrés chaque année est en diminution.

Un bilan des résultats et de la visibilité médiatique des initiatives citoyennes européennes a été réalisé par le think tank Bertelmann Stiftung en avril 2018, sur lequel est revenu Michael Malherbe, expert en communication européenne. Sur son blog, celui-ci écrit alors : “Certes, 8 millions de citoyens ont signé une ou plusieurs ICE. Néanmoins, seulement 4 initiatives enregistrées ont réussi à recueillir le million de signatures requis. La Commission a répondu à toutes les ICE réussies ; mais, à ce jour, aucune initiative citoyenne n’a été directement transposée dans un acte législatif.” La première ICE qui a recueilli le million de signatures est celle nommée “Right2water”, dont l’objectif était notamment d’assurer un accès à l’eau potable à chaque Européen, lancée le 10 mai 2012. “One of Us”, promettant un droit à la dignité et à l’intégrité tout au long de la vie de chaque individu a suivi, lancée le 11 mai 2012. Depuis, plus aucune proposition n’a obtenu le même niveau de signatures (plus de 1,6 millions dans les deux cas) mais la dernière à avoir franchi le cap nécessaire à une étude par la Commission est celle visant l’interdiction du glyphosate et qui a commencé le 25 janvier 2017.

De quelle manière les institutions européennes sont-elles contraintes ?

Une initiative qui accède à un examen final par la Commission ne se traduit cependant pas nécessairement par une proposition législative. À propos de l’ICE ayant pour but d’interdire le glyphosate, la Commission a déclaré que l’outil « n’a aucune base pour soumettre aux co-législateurs une proposition d’interdiction du glyphosate ». Le principal reproche que l’on puisse faire à l’ICE tient à son caractère non-contraignant. De plus, la Commission n’est tenue de donner une réponse qu’aux organisateurs qui ont réussi à recueillir suffisamment de signatures. Enfin, dans le cas où la Commission estime qu’un acte législatif est pertinent, elle élabore une proposition pour laquelle plusieurs étapes préparatoires (consultations publiques, analyses d’impact) sont nécessaires et qui est ensuite présentée au Parlement européen et au Conseil de l’UE qui devront l’adopter tous les deux, sauf exceptions, pour qu’elle ait force de loi. Ce manque de suivi et de transparence est un obstacle à l’épanouissement de ces initiatives comme instrument de démocratie participative.

Quelles pistes de réforme(s) ?

Le processus est lourd et aboutit peu. S’il a provoqué un certain intérêt à son lancement, d’année en année, son influence a diminué : 16 demandes ont été introduites en 2012, 9 en 2013, 5 en 2014 et 2 seulement en 2015. Le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, avait reconnu le 11 avril 2017 la nécessité de réformer l’ICE : « Je veux le rendre plus accessible et plus proche des citoyens ».

Dans nos colonnes, le 7 janvier 2019, Caroline Iberg expliquait que “la Commission doit continuer à négocier avec les États membres afin de réduire les exigences relatives aux formulaires de signature”. “Il faudrait aussi que la Commission européenne ait la possibilité, en cas de rejet du texte, de débattre des propositions formulées ou même de proposer un contre-projet plus réaliste”, estimait l’autrice.

Autre souci, la publicité. Une étude menée par le think tank Bertelmann Stiftung en avril 2018 démontre que la visibilité médiatique des initiatives citoyennes européennes est quasi inexistante : “entre 2011 et 2017, seulement 516 mentions dans 14 pays et 84 sources, soit un peu moins d’un article par an et par média”.

Des discussions menées par la Commission européenne pour réformer l’ICE ont débuté à l’été 2017 et une nouvelle formule a été introduite en début d’année. “Le nouveau règlement relatif à l’initiative citoyenne européenne [règlement (UE) 2019/788] abroge le règlement (UE) n° 211/2011 et s’applique depuis le 1er janvier 2020.

La Commission proposait notamment une traduction des initiatives dans toutes les langues de l’UE, la réduction des données à fournir pour soutenir une initiative et l’abaissement de 18 à 16 ans l’âge requis pour les soutiens.

Au 1er septembre, la pétition #Right2Cure n’avait pas encore recueilli 21 000 signatures. Celle visant à instaurer un prix minimum pour les émissions de CO2 et qui devait initialement se terminer le 22 juillet mais qui a aussi obtenu une prolongation de six mois n’en compte que 40 218. Le million est encore loin.

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