L’Irlande, cas d’école pour la Macédoine ?

, par Eva Jovanova, Traduit par Lorène Weber

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L'Irlande, cas d'école pour la Macédoine ?

Ce dimanche, les citoyens macédoniens ont rendez-vous avec les urnes pour décider du changement de nom de leur pays en « Macédoine du nord », avec la promesse d’une adhésion à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et à l’Union européenne (UE).

Le référendum portant sur l’accord sur le nom de la Macédoine entre la Grèce et la Macédoine (du nord) me rappelle inévitablement un autre référendum. Cet autre référendum s’est tenu il y a quarante ans, et après que le oui l’eut emporté, ses implications semblaient analogues à celles que ce référendum aura pour la Constitution de la Macédoine. Cela doit déjà rappeler quelque chose à beaucoup d’entre vous : le référendum auquel je fais référence est celui qui s’est tenu en Irlande (ici, pas du nord) en 1972 alors que la majorité de la population du pays soutenait avec véhémence l’adhésion à la Communauté économique européenne (CEE), qui évolua plus tard en ce que nous connaissons aujourd’hui comme étant l’Union européenne.

Avec son référendum, l’Irlande dû « geler » certaines parties de sa Constitution, qui accordaient à toute personne née sur l’île le droit de faire partie de la nation irlandaise et le droit d’exprimer son désir d’une unification politique pacifique de l’Irlande du nord et de l’Irlande. En 1972, l’Irlande dû donc officiellement abandonner plus d’un sixième de son territoire garanti par sa Constitution, qui dans le même temps abritait presque deux millions de personnes (plus d’un tiers de la population actuelle de la République d’Irlande).

Comparé au cas macédonien (pour lequel les seuls exemples historiques d’exode et de purification ethnique de Macédoniens de Grèce remontent à la Guerre civile grecque de la fin des années 40), en 1972, au sommet des "Troubles" du conflit nord-irlandais, le nationalisme et la violence faisaient partie de la réalité quotidienne de l’Irlande du nord, avec un nombre de morts dépassant 3500 personnes. L’accord oblige vaguement la Macédoine à utiliser des adjectifs plus neutres lorsqu’elle fait référence à son passé lointain (un sujet sur lequel il n’y a pas encore de consensus académique), mais cela n’a pas d’implications sur les frontières actuelles ou les citoyens de la Macédoine.

Comme le dit un proverbe irlandais : « Si vous êtes suffisamment chanceux pour être Irlandais… vous êtes suffisamment chanceux ». Et les Irlandais ont en effet été très chanceux. Aujourd’hui, l’Irlande est l’un des pays les plus pro-Européens, avec plus de 90% de sa population soutenant l’appartenance à l’UE. La raison de cette ferveur européenne repose sur les nombreux avantages dont l’Irlande a bénéficié grâce à l’Union au cours des années. Depuis qu’elle est devenue un Etat membre de l’UE, l’Irlande a reçu près de 6,5 milliards d’euros en investissements du seul Fonds social européen, qui investit régulièrement dans l’employabilité des personnes. Alors que le chômage était le fléau de la société irlandaise, l’Union joua un rôle crucial et en conséquence, dans les années 90, le taux de chômage de l’Irlande a chuté du plus élevé au plus bas de l’UE. L’Irlande tire constamment profit de la politique agricole ou encore des fonds de recherche et d’innovation de l’UE, et le commerce a constitué une aubaine économique croissante depuis l’adhésion du pays à l’Union.

Mais la Macédoine, pays de deux millions d’habitants, dont les frontières actuelles ont été dessinées pour la première fois en 1943 au sein du territoire de la Yougoslavie, peut-elle tirer leçon du scénario irlandais ? Le chômage est monté en flèche en Macédoine après l’effondrement de la Fédération de Yougoslavie, avec un taux de chômage moyen de 30% qui a laissé une bonne partie de sa population au bord de la pauvreté. Le pays traverse actuellement l’une des plus importantes "fuite des cerveaux" d’Europe et a dernièrement été considéré comme une destination à haut risque pour les diplomates étrangers, en raison de la détérioration rapide de la qualité de l’air, qui a rendu la Macédoine tristement célèbre l’année dernière en la haussant au sommet de la liste des pays à l’air le plus toxique au monde.

Sur une note plus positive, selon « l’indice de la facilité de faire des affaires » de la Banque mondiale, la Macédoine est le onzième pays au monde auquel les investisseurs devraient s’intéresser cette année. Cependant, sans être membre d’organisations telles que l’OTAN et l’UE, la Macédoine n’a pas grand-chose pour garantir sa stabilité. Être un Etat multi-ethnique (environ 25% de la population est albanienne) dans les Balkans, une région notoire pour son instabilité à la fin des années 90, ne semble pas améliorer la réputation de la Macédoine parmi les investisseurs potentiels.

La plupart des liens commerciaux de la Macédoine se font avec les Etats membres de l’UE, l’Allemagne seule équivalant à 50% des exportations de la Macédoine. Ouvrir le marché de la Macédoine aux 28 (ou bientôt plus) Etats membres améliorerait le chiffre d’affaires commercial et la libre circulation des personnes et des capitaux bénéficierait grandement aux Macédoniens vivant déjà dans l’UE – selon certains chiffres, la diaspora macédonienne a envoyé jusqu’à 25 milliards d’euros à leurs familles en Macédoine ces 15 dernières années. Les effets que l’adhésion à l’UE est susceptible d’avoir sur une potentielle augmentation de la fuite des cerveaux a heureusement été atténuée au début de la décennie. Une fois que l’UE a ouvert son marché du travail à la Bulgarie, pays dont le déni d’une nationalité macédonienne a rendu aisée l’obtention d’un passeport bulgare pour les citoyens macédoniens, de nombreux citoyens macédoniens ont demandé la citoyenneté bulgare et ont rejoint la force de travail européenne.

Dans le cas irlandais, si on cherchait un argument pour s’opposer au référendum, un nationaliste extrême pouvait en trouver un très concret : l’abandon d’un territoire et d’une population qui étaient garantis par la Constitution. Les opposants au référendum en Macédoine, en revanche, contestent l’accord sur le nom en invoquant des notions abstraites, telles que la perte d’identité ou le fait de priver de leur dignité l’ethnie des Macédoniens (aujourd’hui largement décimée) qui ont souffert de l’exode en Grèce à la fin des années 40. Dans un pays se débattant avec la misère, s’accrocher à des termes abstraits comme l’identité et la dignité en perpétuant l’isolement international est proche du ridicule.

La participation électorale de dimanche doit dépasser la moitié des électeurs, ce qui équivaut à 900 000 votants, mais il semblerait que le registre soit très imprécis, rendant la réussite du référendum très difficile. Un pourcentage significatif de la population, à grand renfort de slogans clichés nationalistes, a annoncé qu’il boycotterait le référendum, rendant encore plus difficile d’atteindre le taux de participation requis. A la fin du mois d’août, cependant, un sondage mené par l’International Republican Institute a suscité l’optimisme parmi la population, avec 57% des participants ayant répondu qu’ils soutenaient assez ou complètement l’adhésion de la Macédoine à l’UE et à l’OTAN sous le nom de « République de Macédoine du nord ».

L’adhésion à l’UE et à l’OTAN sont des facteurs cruciaux pour la stabilité de la Macédoine et offre des solutions à tous les défis rencontrés par le pays. Si cet accord ne passe pas, la Macédoine perdra 27 ans de médiation internationale, ainsi que la perspective de prendre le train de l’UE en marche. Ce dimanche, nous pourrions bien voir comment l’histoire se répète – dans le scénario irlandais, cela était loin d’être une tragédie, alors espérons que ce référendum ne se termine pas en mascarade.

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