Un gouvernement soutenu dans ses réformes
Pour comprendre la situation de l’Irlande en 2020, un petit retour dans le temps s’impose.
C’est depuis 2011 que le Fine Gael (FG), parti de centre-droit de l’actuel premier ministre Leo Varadkar, est au pouvoir sur l’île d’Émeraude. En 2016, malgré une lourde chute (-11%) et la perte de 26 de ses 76 sièges, Enda Kenny, le prédécesseur de Leo Varadkar, est parvenu à se maintenir à son poste de Taoiseach (nom du premier ministre en Irlande), avec l’accord sans participation du Fianna Fáil (FF), parti conservateur, qui talonne le FG avec ses 44 sièges.
Le Sinn Féin (SF), parti républicain fer de lance de la réunification irlandaise a augmenté son score avec 14% des voix alors que le Parti travailliste s’est effondré et a perdu sa deuxième place au Dáil Éireann, la Chambre basse du Parlement.
Un an seulement après sa réélection, Enda Kenny a démissionné et c’est le ministre de la santé qui lui a succédé, Leo Varadkar remportant alors avec surprise la présidence de son parti. Ce jeune loup de 38 ans a “capitalisé” – à son corps défendant bien entendu – sur sa jeunesse, ses origines (son père est né à Mumbai, en Inde), et son orientation sexuelle (il révèle son homosexualité en 2015) et a donné un sérieux coup de fouet à une Irlande très catholique.
Ainsi, après la légalisation par référendum, unique en son genre, du mariage homosexuel en 2015 (62,1% de oui), Leo Varadkar a fait approuver également par référendum l’abrogation du délit de blasphème (64,85% de soutien), la légalisation de l’avortement (66,4%) en 2018 et l’assouplissement des conditions de divorce (82,07%) en 2019. Malgré ces réformes d’envergure, démontrant un libéralisme sociétal qui se raréfie, le gouvernement a continué une politique d’austérité commencée dès après la crise de 2008 qui avait balayé l’économie du pays.
En mai 2019, pour les élections européennes, le Fine Gael a confirmé son leadership en engrangeant près de 30% des voix et cinq sièges sur les douze réservés à la République d’Irlande. Les nationalistes irlandais du Sinn Féin ont eux perdu deux députés au profit des Verts qui en gagnent deux.
Des élections anticipées pour digérer le Brexit
Alors que le Brexit n’avait pas encore eu lieu, Leo Varadkar avait pris les devants et demandé au Président Higgins de dissoudre le Parlement pour permettre un nouveau scrutin. En effet, l’accord de sortie négocié entre le Royaume-Uni et l’Union européenne prévoit de maintenir l’Irlande du Nord au sein du marché commun. Pas sûr cependant que cette solution qui ne satisfait personne au sein du Royaume-Uni et qui coupe ce dernier littéralement en deux, se maintienne à l’issue de la nouvelle période de négociation qui s’ouvre avec l’UE.
Or cette frontière ravive de vieux démons. Le 10 avril 1998, l’accord du Vendredi Saint est signé entre les gouvernements d’Irlande et du Royaume-Uni mais également les représentants des forces politiques agissant en Irlande du Nord dont les représentants politiques d’alors de l’IRA, le Sinn Féin. Il permet le désarmement de l’IRA, groupe terroriste prônant la réunification de l’île, l’abrogation de toute revendication territoriale irlandaise sur la province de l’Ulster ainsi que l’établissement d’une assemblée locale représentative en Irlande du Nord. L’ouverture des frontières entre les États étaient alors un préliminaire essentiel à la pacification.
Surprise des sondages, le Sinn Féin réalise une percée inédite lors du scrutin du 8 février. Si le nombre de députés qu’il présente ne lui permet pas mathématiquement d’obtenir une majorité absolue au Dáil Éireann, une première place (24,5%) en termes de vote représente un nouveau coup de théâtre dans le feuilleton du Brexit.
Difficile en effet de ne pas voir de lien entre la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, alors que l’Irlande du Nord avait majoritairement voté pour le Remain (55,8%), de même que l’Écosse (62%) qui réclame aujourd’hui un nouveau référendum d’indépendance. Le SF a par ailleurs lié la question environnementale à l’unité irlandaise faisant de ces deux thèmes un enjeu majeur de la campagne, et souhaite une consultation populaire sur la question de la réunification de l’Irlande d’ici 2025. Les questions de santé et de logement représentent néanmoins les principales préoccupations des Irlandais dans cette campagne.
D’un côté, une nation souhaite s’affranchir de la tutelle d’un Royaume de moins en moins uni afin, notamment, de rester dans l’UE, de l’autre une deuxième nation se pose la question de s‘affranchir de la tutelle du même Royaume de plus en plus désuni pour réunir deux patries –fratries ? –. Le Brexit – à son corps réellement défendant – a représenté un véritable catalyseur pour certaines populations de bouleversements géopolitiques qui pourraient redessiner la carte d’Europe.
Finalement, avec seulement 20,9%, en recul de près de 5%, le Fine Gael du Premier ministre sortant arrive troisième du scrutin. La droite conservatrice du FF perd 2,2% et s’établit à 22,2%. C’est une défaite claire d’abord pour Leo Varadkar mais également pour le bipartisme centré à droite de la politique irlandaise. À noter également la jolie percée du Parti vert qui améliore son score de 4,4%.
Comme il s’agit d’une élection proportionnelle avec des complexités locales en termes de comptage de votes, le nombre de députés obtenus par chaque parti n’est pas encore connu. Il n’en reste pas moins certain que la formation d’un gouvernement s’avérera plus compliquée que prévue initialement.
Suivre les commentaires : |